Print Friendly, PDF & Email

Par Jeanne-Claire Fumet

La Gladsmore Community School se prête volontiers aux visites de presse : vitrine de la société SMART technologies, elle bénéficie d’un niveau d’équipement exceptionnel. Une aubaine pour cette petite école de la banlieue nord-est de Londres, située dans un quartier défavorisé et qui peinait il y a peu encore à remplir ses classes. Depuis que la révolution numérique et la rénovation sont passées, le principal adjoint, Goldwater Ojoko, qui nous guide au long de la visite, peut afficher des résultats scolaires exceptionnels et avoue refuser des candidats.

L’école accueille 1200 élèves de 11 à 16 ans, l’équivalent du collège français, répartis en classes de 19 à 25 élèves, avec un mélange de 54 langues maternelles différentes, annonce fièrement G. Ojokor. Le taux de réussite au GCSC (équivalent du Brevet des Collèges) est passé de 40% à 91%. L’informatisation suffit-elle à expliquer cette réussite spectaculaire ?

« Les facteurs sont multiples, reconnaît M. Ojokor. La technologie joue un rôle indiscutable. Les élèves sont très attirés par ses équipements et cela les motive. Mais il faut aussi tenir compte de l’environnement pédagogique et local. L’établissement dispose de 😯 tableaux numériques, 16 salles entièrement équipées de 30 postes, un service de maintenance assuré en permanence par deux ingénieurs, capable d’intervenir sur les logiciels particuliers de toutes les disciplines. Chaque salle est dédiée à une discipline et contient le matériel correspondant : en changeant de salle, les élèves changent d’univers, ce qui rompt la monotonie des journées de cours. »

« Notre équipe de professeurs est aussi très motivée et très impliquée. Ils ont tous une double qualification, dans leur discipline et en informatique. Certains sont venus de l’informatique vers l’enseignement, d’ailleurs. Ils bénéficient tous d’une formation et d’un suivi en interne, précise M. Ojokor. La compétence requise est d’abord éducative ; mais il est évident qu’ils ne peuvent pas s’intégrer s’ils ne souscrivent pas à nos méthodes. ». Chargée d’encadrer leur formation, Christel Mitchell, professeur d’histoire et coordonnatrice high-tech depuis 5 ans, précise que tous peuvent y trouver un gain, même si l’équipement n’est qu’un outil subordonné à la qualité du contenu. Mais les échanges, la mutualisation des cours et des ressources personnelles, se révèle très utile pour les débutants, souvent plus familiers en revanche des technologies numériques.

Dans la salle de musique, nous rencontrons des élèves occupés à composer sur des synthétiseurs dotés de logiciels spéciaux ; casque sur les oreilles, clavier musical sous la main, il nous font écouter leurs créations en cours. En informatique, les élèves se lèvent volontiers pour venir effectuer un exercice au tableau interactif. L’objectif du cours est de les rendre autonomes sur des logiciels de bureautique. S’ils le souhaitent, les élèves peuvent utiliser les équipements en dehors du temps de cours et le samedi matin. Un dispositif permet aussi d’aider les familles à s’équiper à la maison.

Pour réaliser cette mutation, l’école a bénéficié d’une dotation exceptionnelle de l’État, dans le cadre du Programme BSF du dernier gouvernement : un financement de 12 millions £, en 2008, pour se rénover intégralement, et quelques financements privés en prime. « C’est un pari risqué qui a porté ses fruits, commente G. Ojokor. Les élèves sont fiers de savoir qu’on leur a accordé une telle valeur. C’est très valorisant.» Système concurrentiel oblige, les parents cherchent à faire inscrire leurs enfants dans n établissement qu’ils fuyaient quelques années plus tôt. Mais ironie des mesures d’exception, les crédits ont été suspendus par le nouveau gouvernement, avant même la fin des travaux de rénovation des bâtiments. Il en faudrait plus pour décourager Goldwater Ojokor, qui a réussi à mobiliser des financements privés. D’autres écoles voisines, moins chanceuses, s’arrangent au mieux avec la Gladesmore School pour bénéficier de la manne.

« On devrait laisser les écoles s’ouvrir aux sociétés privées pour financer leurs projets, décrète M. Ojokor. Ce serait normal qu’elles investissent largement dans l’éducation : ce sont leurs futurs collaborateurs que l’on forme, c’est leur avenir ! » Mais il évoque aussi une école voisine, financée entièrement par des crédits privés et entièrement sous contrôle des autorités locales. « Il faudrait pouvoir continuer d’accueillir tous les enfants du quartier », regrette-t-il. Pour beaucoup d’entre eux, c’est la sélection financière qui détermine leur affectation.

Au sortir de cette école vitrine, on ne peut ignorer le rôle essentiel qu’ont dû jouer la personnalité et la détermination de son principal adjoint. Mais au-delà, on reste perplexe devant la démesure financière d’une expérimentation certes exemplaire, mais impraticable à grande échelle et peut-être excessive dans les moyens mobilisés, en tout cas impossible à généraliser – comme si la réussite programmée de la Gladsmore Community School n’était vouée qu’à rester une belle vitrine pour les industries technologiques.

BETT : L’explosion des technologies éducatives