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Comment faire face aux défis de l’éducation ? Mardi 1er mars, l’Institut de France et les Académies (Académie des sciences, Académie des sciences morales et politiques et Académie française) tenaient une séance solennelle pour évoquer les problèmes de l’Ecole et avancer des solutions. Xavier Darcos, Pierre Léna et Michel Serres, les trois représentants des académies, confirment qu’il n’y a pas d’accord sur l’Ecole…


C’est peut-être à cause de l’uniforme. Mardi 1er mars, sous la coupole de l’Institut, les mots volaient comme des missiles et les arguments faisaient mouche. Plusieurs visions de l’Ecole se sont affrontées sous le regard de Luc Chatel venu assister au débat et encaisser quelques coups.


Xavier Darcos va bien. En habit d’académicien (des sciences morales et politiques), beaucoup plus détendu que du temps de la rue de Grenelle, il prononce un discours conforme à ses propos ministériels. X Darcos condamne les « imprécations » et ceux qui « idéalisent le passé », mais il donne comme but à l’Ecole d’être « l’unificatrice de la communauté civique et nationale » et il trouve que « l’universalisme suscité par la mondialisation des techniques et de la communication n’est pas sans risque ». Ses solutions : l’exclusion précoce des élèves qui dérangent (« il vaut mieux que certains jeunes de moins de 15 ans puissent rejoindre l’apprentissage »), l’apprentissage des fondamentaux y compris le vocabulaire, l’autonomie des établissements. Toutes solutions qu’il a tenté de mettre en pratique comme ministre, avec le succès que l’on sait et que l’on retrouve dans le programme de l’UMP.


La réponse de la main à la pâte. Pierre Léna porte les demandes de l’académie des sciences avec force, faisant de nombreuses allusions à Georges Charpak dont la mémoire vient d’être honorée par l’Institut. Avec lui les coups pleuvent. Il défend la scolarisation à deux ans (« elle pourrait aider certaines familles ») au moment où le gouvernement achève de la faire disparaitre, après que X Darcos ait raillé ses enseignants. Il souligne que, si la France dépense beaucoup pour l’Ecole c’est en valeur absolue. En valeur relative, elle représente « une part décroissante de la richesse du pays ». Il attaque la théorie des fondamentaux : « ne met-on pas à l’excès l’accent sur les apprentissages mécaniques du lire et écrire » ? Enfin il dénonce l’effondrement de la formation continue des enseignants.


Pour lui, « tout exprime la nécessité de changements profonds dans la transmission de l’héritage scientifique ». Il propose « trois voies prometteuses et enthousiasmantes (qui) peuvent remettre l’éducation en phase avec la science et le rôle social que celle-ci peut jouer : une transformation de la pédagogie, le développement professionnel des professeurs au contact de la science vivante…, une conception plus globale du savoir ». Sur le terrain pédagogique, il défend les pratiques de la main à la pate, dont il est l’initiateur avec G Charpak. Il veut « une pédagogie de l’investigation, mélange subtil d’inductif et de déductif, pratiqué avec bonheur par l’élève ». Et il invite à s’appuyer sur le numérique. « Vous déplorez que nos CM2 ne sachent plus leurs tables de multiplication… Pourtant nous savons tous que ces mêmes enfants … excellent bien plus que nous dans l’univers numérique où ils fréquentent des nombres sans le savoir ». Il défend l’idée de savoirs décloisonnés, à l’image de l’enseignement intégré des sciences. Tout cela se résume dans une formule qui est la demande de l’Académie des sciences : donner à l’Ecole l’objectif du « lire, écrire, compter, raisonner ».


Poucet et Poucette. C’est le surnom que donne Michel Serres (Académie française) aux jeunes d’aujourd’hui, capables de taper avec leurs deux pouces des SMS à une vitesse incroyable. Justement Michel Serres parle de la langue. « Ils ne parlent plus la même langue. Depuis Richelieu l’Académie française publie, à peu près tous les quarante ans, le dictionnaire de la nôtre. Aux siècles précédents la différence entre deux publications s’établissait autour de 4 à 5 000 mots… Entre la précédente et la prochaine elle sera d’environ 30 000 ». Tout au long de son exposé, M Serres souligne la rupture de génération qui vient de se produire, changement morphologique, familial, culturel. Le savoir « est partout sur la toile… Ne dites surtout pas que l’élève manque des fonctions cognitives qui permettent d’assimiler le savoir ainsi distribué, puisque, justement, ces fonctions se transforment avec le support ». Pour lui on vit une époque « incomparable », de mutation générale. Il faut « inventer d’inimaginables nouveautés ».


Tête bien faite vs tête bien pleine. A tous les niveaux de la société française, l’Ecole divise. Il n’y a pas de projet commun sur l’Ecole. Pour Xavier Darcos, « le sujet a toujours divisé ». En un certain sens le conflit porte toujours sur les valeurs à transmettre. Il n’est plus entre valeurs de l’Eglise et de la République, mais sur le rapport au savoir et la construction des individus. Nul ne sait ce que Luc Chatel aura retenu de ces échanges. Mais, le 1er mars, le balancier que Robien et Darcos avaient lancé loin vers la tête bien pleine était largement revenu vers la tête bien faite. Mais, si les idées de Georges Charpak étaient justement honorées, on peut se demander si en 2011 un destin comparable au sien est encore possible. Fils d’immigrés polonais, de milieu modeste, il a fait ses études dans l’école républicaine (prépas, Ecole des mines) à une époque où elle était réellement gratuite…


Les textes des interventions de Pierre Léna, Michel Serres et Xavier Darcos seront publiés in extenso par Le Monde dans l’édition du mardi 8 mars 2011.