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Par François Jarraud

Le proviseur doit-il embaucher un agrégé hors classe ou deux certifiés en début de carrière ? Si je ferme le latin et le portugais, pourrai-je refaire les toilettes de la cour ? Recevant, mardi 8 mars 2011, la quasi totalité des syndicats d’enseignants et de cadres du système éducatif en audition, la « Mission d’information du Sénat sur l’organisation territoriale du système éducatif et sur l’évaluation des expérimentations locales en matière d’éducation », pilotée par les sénateurs Serge Lagauche (PS) et Jean-Claude Carle (UMP) les a interrogés sur les expérimentations, le rôle des chefs d’établissement, l’autonomie des établissements. Des questions qui révèlent le progrès des idées de gestion libérale du système éducatif chez nos élus au point qu’elles pourraient prochainement être posées dans votre établissement.

Mardi 8 mars, alignés le long d’une grande table ovale presque tous les syndicats d’enseignants, de chefs d’établissement et d’inspecteurs avaient répondu à l’appel de la Mission d’information du Sénat sur l’organisation territoriale du système éducatif et sur l’évaluation des expérimentations locales en matière d’éducation. Quatre questions étaient au programme.

La première portait sur les expérimentations. Hors du Snalc, qui estime qu’il y a « un recours excessif au changement », les autres syndicats n’y sont pas opposés mais veulent les encadrer. Pour le Snes, représenté par Fabienne Bellin, elles servent surtout à contourner par le local ce que les professeurs refusent et à déréglementer. Pierre Garnier (Snuipp) déclare que « les expérimentations servent de paravent à une politique éducative qui privilégie l’immobilisme. A chaque problème on expérimente, mais rien ne change ». Philippe Tournier, secrétaire général du Snpden, principal syndicat de chefs d’établissement, croit savoir pourquoi : une expérimentation qui va jusqu’au bout c’est 4 ans. Un ministre en moyenne 1 an et 9 mois… Pour Patrick Roumagnac, secrétaire général du Sien Unsa, « les recueils de bonnes pratiques font partie du quotidien des inspecteurs. Mais elles ne sont pas bonnes par nature, mais par l’engagement des équipes. Imposer des expérimentations, au contraire, implique des résistances ». Mais c’est Jean François Le Borgne, président du SNIA IPR qui révèle que dans l’éducation nationale « on expérimente toujours avec les mêmes et quand on généralise les établissements ne savent pas faire ». Il donne en exemple la généralisation de l’accompagnement personnalisé en lycée : « dès novembre on savait que la voiture est allée au fossé »…

Trente ministères de l’éducation nationale. « Comment concilier autonomie des établissements et renforcement des rectorats », interrogent les sénateurs. Pour Michel Gonnet, secrétaire général du SNPI FSU, « l’autonomie est surtout utilisée comme une variable d’ajustement pour la réduction des moyens… Dans les relations avec les rectorats, peu à peu on abandonne le droit commun au profit d’accords entre individus. Il y a là un piège à dénoncer ». Pour Philippe Tournier (Snpden), la France est un pays qui compte « 30 ministères de l’éducation nationale ». On assiste « à un déversement du rectorat à qui on donne le soin de gérer le réel et à la fonte du pilotage national depuis une quinzaine d’années ». Une tendance qui s’accélère puisque même les suppressions de postes sont maintenant confiées aux recteurs. Résultat : « qui s’occupe de quoi ? Tout le monde »…

Contre-attaque syndicale. Et c’est Christian Chevalier (Se Unsa) qui sort la réunion du ronron poli. « Vous nous parlez d’autonomie et de Pisa, mais les politiques ne se soucient pas de ses enseignements. Le fait que la France soit le pays où les inégalités sociales prédisent le plus la réussite ou l’échec scolaire semble vous laisser indifférents. Il va bien falloir apporter des réponses ». Jean-Claude Carle s’offusque et pose une question qui va achever de mobiliser les syndicats.

Faut-il choisir entre un prof et un tracteur ? Reprenant l’idée d’autonomie des établissements, Jean-Claude Carle propose qu’on leur confie la gestion d’un budget global intégrant le montant en euros de la Dotation globale horaire (DGH), autrement dit la masse salariale liée à l’établissement. La réponse fuse. « Si on se sert d’une monnaie heure (celles de la DGH) », répond P Tournier, « c’est qu’on se place du côté de ce que reçoit l’élève, pas de ce que coûte l’élève. Si on parle en euros éducation, alors je demande deux stagiaires à la place d’un agrégé ! » « Il est utile que les citoyens connaissent ce que coûte l’éducation nationale. Mais votre message est d’une autre nature », répond C Chevalier. « Nous on considère que l’éducation n’est pas un bien de consommation mais un droit ». Albert-Jean Mougin (Snalc) résume cet échange : dans l’établissement « faudra-t-il choisir entre un prof et un tracteur ? »

Si la Mission d’information du Sénat sur l’organisation territoriale du système éducatif et sur l’évaluation des expérimentations locales en matière d’éducation du Sénat trouve ces questions normales c’est que peut-être elle a déjà la réponse. Pour elle, transformer les écoles en établissements scolaires et ces derniers en entreprises d’éducation, soumises au chef d’établissement-manager et aux règles de la concurrence, semble peut-être aller de soi. Les élus de la République en ont-ils soupé de l’éducation nationale ?

François Jarraud