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Par François Jarraud

« Cette réforme est en marche. C’est une vraie révolution pédagogique ». En présentant le 15 mars 2011, le rapport de l’Inspection générale sur « le suivi de la mise en oeuvre de la réforme des lycées d’enseignement général et technologique », Luc Chatel a plus vanté l’oeuvre accomplie que répondu aux inquiétudes soulevées par l’annonce de fortes réductions de moyens dans les lycées à la prochaine rentrée. A-t-il même vraiment entendu les inspecteurs ? Derrière l’optimisme officiel, le rapport montre que les objectifs fixés à la réforme sont loin d’être atteints et que la réforme reste « très fragile ».

Présenté par Catherine Moisan et Jean-François Cuisinier, le rapport aborde la réforme du lycée sous 4 axes : un bilan des enseignements d’exploration, de l’accompagnement personnalisé, l’autonomie des établissements et le pilotage de la réforme.

Les enseignements d’exploration améliorent-ils l’orientation des élèves ? Si l’offre d’enseignements d’exploration (EE) a été généralement assez diversifiée (la majorité des lycées en propose entre 5 et 9), les choix d’EE sont restés « imprégnés de la logique de prédétermination de l’orientation » a pu affirmer JF Cuisinier. Les familles ont vite repéré que MPS ouvrait la porte de la série S par exemple. C’est peut-être ce qui explique que 85% des élèves ont opté pour les SES et 20% pour PFEG (le choix de l’un des deux au moins étant obligatoire). « Les goûts personnels semblent avoir faiblement présidé aux choix » assure le rapport. Les établissements ont organisé leurs classes de seconde selon les choix d’EE et donc reconstitué des profils de classe avec des enseignements de tronc commun de niveau différent. Le rapport signale que souvent les EE d’économie, étant obligatoires, sont restés des cours magistraux. Pour les élèves, les EE sont vus « comme des options préfigurant leur futur choix d’orientation » alors même que la prise en compte de l’évaluation des EE dans les décisions des conseil de classe reste une question sans réponse officielle… Les inspecteurs préconisent d’améliorer l’information des professeurs principaux de 3ème et des collégiens, de réfléchir à l’offre académique (les EE ont aussi servi à aviver la concurrence entre établissements) et de « répondre aux interrogations » des enseignants des EE d’économie. Enfin, « une mise au point doit être faite sur le rôle des EE dans l’orientation en fin de seconde ». C’est revenir aux préoccupations du point de départ et reconnaître que l’objectif d’une orientation progressive permettant la découverte de nouvelles disciplines n’est pas atteint.

C’est pire pour l’accompagnement personnalisé (AP). « On constate une très grande difficulté », précise le rapport. « On voit souvent resurgir les approches classiques de séances d’exercice ». Les élèves semblent déçus : « c’est un cours de plus avec des choses qu’on n’a jamais vues avant ». L’inspection note des réussites mais aussi des dérapages qui vont du cours approfondi à la méthodologie dégagée de tout contenu disciplinaire. Le choix de l’AP est parfois fait par le lycée, parfois, et c’est ce que recommande l’inspection, par les élèves. Quant au tutorat, « il est encore à construire dans la majorité des lycées ». Le rapport préconise de développer des outils diagnostics et d’accompagner les enseignants. « Les avancées sont extrêmement fragiles », notent les auteurs. « Il peut suffire d’un rapport de force qui bascule dans un lycée à l’occasion d’une DGH diminuée » pour que le dispositif recule. « Les professeurs vivent une transformation importante dans un temps très court et au même moment les programmes sont modifiés sans toujours aller dans le sens de ce qu’on leur demande en AP par exemple » ajoutent-ils, faisant allusion à l’encyclopédisme croissant de nombre de programmes.

L’autonomie des établissements s’est accompagnée d’une dégradation des conditions de travail. Analysant l’organisation des groupes et du temps scolaire, le rapport note que des établissements ont gardé une organisation par classe ce qui aboutit à des secondes prédéterminées et souvent des classes homogènes de niveau. Mais le dispositif en barrettes, s’il a la préférence des rapporteurs, n’est pas vierge de problèmes. Il a souvent dégradé les conditions de travail des élèves. « Il arrive trop souvent que les élèves aient des journées de 9 heures de cours », note le rapport, ce qui n’empêche pas l’existence de nombreux trous. « La multiplication des options et des cumuls conduit parfois des élèves à suivre plus de 33 heures de cours par semaine, allant jusqu’à 35 pour ceux en classe européenne ».

Un conflit à venir. Les inspecteurs ont clairement vu que la répartition des heures laissées au libre arbitre des établissements est source de conflit. Elle a donné lieu à « une mise en concurrence des disciplines ». En général, les lycées ont consacré deux heures aux dédoublements en maths, français et histoire-géo, 3 heures aux dédoublements en sciences expérimentales, 2,5 heures pour des dédoublements en langues et la marge pour l’AP et les EE, entre autre avec l’objectif de « préserver la paix sociale ». Mais « les marges de souplesse seront plus réduites à la prochaine rentrée… Cette question est très délicate » note le rapport. Un autre point difficile est l’évolution de la fonction de professeur principal « un nouveau métier » en émergence du fait de la réforme.

Un soutien insuffisant. « Il y a dans presque tous les lycées un conseil pédagogique », affirme le rapport, mais son rôle est très variable d’un établissement à l’autre. Le rapport demande un accompagnement des proviseurs et une aide pour les IPR. Il encourage la mutualisation entre établissements. Globalement le rapport estime que « les risques d’essoufflement sont nombreux : sentiment de contradiction entre l’adaptation aux besoins des élèves et la pression des programmes et des examens; choix difficiles concernant les réductions de moyens qui seront mal acceptées, fatigue des équipes d’innovateurs ».

Luc Chatel a annoncé plusieurs décisions pour répondre à ces questions. D’une part il va demander aux recteurs d’améliorer l’information des collégiens et des parents. Les formations à l’AP seront privilégiées dans les plans académiques de formation et auront lieu dans les établissements. Compte tenu de la forte réduction des crédits de formation , ce voeu va être difficile à exaucer. Mais le ministre envisage une mutualisation de « bonnes pratiques » sur un site de formation des enseignants développé par l’INRP. Les chefs d’établissement et les inspecteurs bénéficieront de formations de l’ESEN.

Répondant aux critiques du SNPDEN qui a dénoncé le 14 mars l’irrespect des textes réglementaires sur les lycées par 80% des académies dans la préparation de la rentrée 2011 et l’avènement de « 30 ministères de l’éducation nationale », Luc Chatel a assumé. « Je ne regrette pas le temps des décisions autoritaires; il faut assumer le fait d’avoir voulu une réforme qui privilégie l’autonomie ». Il demande aux recteurs de signer des « contrats d’objectifs » entre les académies et le ministère. Les recteurs devront aussi préparer pour la rentrée des contrats entre les académies et les lycées.