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Par François Jarraud

Peut-on être à l’UMP et tenir un discours nuancé sur les jeunes issus de l’immigration ? C’est ce que fait la sénatrice Fabienne Keller. Remis le 16 mars 2011, son rapport sur « l’avenir des « années collège » dans les territoires urbains sensibles » propose une approche globale de l’avenir de ces jeunes avec l’objectif de « banaliser » ces quartiers c’est à dire de rompre avec la stigmatisation et la ghettoïsation. Pour construire cet avenir, les collèges sont en première ligne.

Quel futur à l’horizon 2025 pour ces jeunes adolescents des quartiers ? Chargée de ce rapport pour la Délégation à la prospective du Sénat, Fabienne Keller peut s’appuyer sur son expérience de maire de Strasbourg, une ville qui a des zones sensibles (ZUS). Elle s’est entourée d’experts, comme le sociologue Didier Lapeyronnie). Mais son atout c’est sa capacité à communiquer avec les gens. Elle a multiplié les visites dans les quartiers où elle a écouté tout le monde, habitants, élus, responsables d’association, enseignants, collégiens bien sûr. Elle aboutit ainsi à un constat qui est global, nuancé et sans langue de bois.

La ghettoïsation est en marche. Relevant que 220 000 collégiens sont scolarisés en ZUS, elel montre que ces quartiers « concentrent la fragilité économique et sociale » avec deux fois plus de chômeurs et de pauvres que la moyenne nationale. 42% des 215-25 ans des ZUS sont au chômage. « Un processus de ghettoïsation est à l’oeuvre », affirme-t-elle, prenant le mot dans son acception ethnique : selon elel le pourcentage de jeunes issus de l’immigration atteint 76% de la population dans certaines communes (Clichy par exemple) et est en augmentation. Ces jeunes sont « stigmatisés » et on leur envoie une « image de soi dévalorisée ».

Les dispositifs ne sont pas à la hauteur des enjeux. Pour F Keller, les collèges « assurent néanmoins très bien leur mission » dans un environnement où les autres services publics sont absents. Elle rend hommage aux équipes « engagées », impliquées et volontaires, d’enseignants qui devraient être davantage reconnus. Mais « les dispositifs ne sont pas à la hauteur des enjeux ». Par exemple, pour 222 000 collégiens, il y a 6 300 places en internats d’excellence, 150 en établissements de réinsertion scolaire (ERS). « Ce serait suffisant pour Strasbourg », ironise la sénatrice. De plus les dispositifs s’additionnent et se chevauchent.

Comment éviter un scénario catastrophe ? C’est là où Fabienne Keller tire le plus profit de son expérience municipale avec une approche qui se veut globale. Pour elle on ne s’en sortira qu’en agissant en même temps sur la reconnaissance de la double culture et de la religion, l’emploi, la rénovation urbaine et sur la pédagogie au collège.

Un manuel franco-africain. « Il faut effectuer l’indispensable travail de mémoire et parler de la relation à la double culture et à la religion », plaide Mme Keller. « Il faut prendre en compte la pratique religieuse », estime-t-elle. « A Strasbourg les cantines proposent un menu Hallal depuis longtemps. Refuser de prendre en compte cette demande ce serait donner le sentiment à une large partie de la population musulmane qu’on la rejette ». Elle se base sur les travaux de Leyla Arslan qui montrent la complexité des attitudes sur cette question chez les musulmans. « Demandons-nous plutôt pourquoi cette question est arrivée ? ». D’où l’idée d’un manuel d’histoire « franco-africain », à l’image du manuel franco-allemand, qui « faciliterait la construction du vivre ensemble ». Derrière cette proposition, peut-être un peu aventurée car l’Afrique a plusieurs passés, il y a l’idée que les jeunes issus de l’immigration de seconde génération « ne se reconnaît pas dans la France actuelle » et qu’il faut créer un pont vers la troisième génération, les collégiens d’aujourd’hui qui ont « un problème personnel d’identité ». En tous cas c’est clairement la question culturelle que met en premier F Keller, devant celle de l’emploi.

Quel rôle pour le collège ? Il doit d’abord aider à décloisonner l’univers des jeunes. Pour cela elle propose que les stages de 3ème , « miroirs de l’enfermement des quartiers » pourraient avoir lieu en dehors du quartier. Son rapport propose une comparaison très éclairante des stages effectués par des collégiens du 5ème arrondissement parisien et d’Aubervilliers. A quelques kilomètres deux univers se côtoient… F Keller plaide pour « une nouvelle organisation pédagogique » des collèges. « Les moyens ne suffisent pas. C’est dans la forme qu’il y aune partie de la réponse ». Elle veut des travaux interdisciplinaires, des projets, des classes à thèmes, une meilleure exploitation des TIC. « Les profs s’épuisent à faire des dossiers chaque année pour des projets. On devrait évaluer ce qui marche et faire plus confiance aux établissements ».

Les limites du rapport. Qu’est ce qui empêche d’aller de l’avant et d’attaquer les problèmes du chômage, de la ghettoïsation, du renouvellement urbain, de l’investissement pédagogique ? Fabienne Keller évoque la complexité des dispositifs, la nécessité d’un chef de file (elle verrait bien le maire) pour diriger tout cela. C’est justement là qu’est la limite. Son propre chef de file construit son avenir politique sur la stigmatisation de ces jeunes. Il supprime par milliers les emplois de policiers et de professeurs. Il casse la carte scolaire et laisse partir les enfants des classes moyennes des écoles du quartier, tout comme il laisse les services publics déserter les quartiers et le chômage galoper. Saluons la position originale de Fabienne Keller dans son camp.

Liens :

Le rapport de F Keller

http://www.senat.fr/rap/r10-352-1/r10-352-11.pdf

Respect pour les collèges zep !

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/1[…]

Le blog des « années collège »

http://blogs.senat.fr/annees-college/

Sur l’enseignement prioritaire

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/[…]