Print Friendly, PDF & Email

Par François Jarraud

Connaissez-vous un métier où on est le matin coach, diplomate et secouriste; à midi flic, plombier et balayeur; le soir comptable, réparateur et psychologue ? Oui je parle bien de directeur d’école. Les rayons des librairies ne manquent pas de pamphlets et de livres sinistres sur l’école. Celui de Yann Bloyet est léger, drôle et finalement optimiste. Il est aussi certainement plus sincère que beaucoup d’autres.

Quand l’inattendu sonne à la porte de l’école. Yann Bloyet est directeur d’école à Romainville. Dans ce récit il raconte son quotidien, c’est à dire l’exercice difficile qui consiste à accompagner la confrontation d’une institution à la vraie vie. Si un adjectif peut définir le métier (pas la fonction !) de directeur c’est « inattendu ». Il se passe tout dans les écoles : des alertes incendie, des repas perdus, des larmes, des discussions à bâtons rompus avec les parents, les collègues, les enfants, l’inspecteur, la mairie… Tout ça retombe sur les bras du directeur.

Alors le récit de Yann Bloyet est aussi un plaidoyer. Il fait connaître ce qui n’est pas réellement un métier. Parce que directeur d’école aujourd’hui c’est une fonction qui échappe aux usages étatiques et sociaux. Et on sait que ça défrise certains qui voudraient en faire une fonction. Le directeur assume beaucoup de responsabilités. Pour autant il n’appartient pas à un corps spécifique et n’est qu’un parmi les enseignants de son école. C’est lui qui assume au quotidien cet écart entre la loi de l’école et celle du monde qui l’environne. Avec la seule arme de la confiance il défend une valeur fondatrice de l’école. Mais l’ouvrage n’est ni une apologie, ni une défense, encore moins un tract.

C’est juste un récit, facile à lire, prenant par le style enjoué de Yann Bloyet. Né sur Internet, il restitue le quotidien. Pour l’extérieur, il permet ainsi de mieux connaitre et comprendre le fonctionnement d’une école. Les enseignants y retrouveront ce qui fait le métier et qui donne le matin l’envie d’aller l’exercer.

Yann Bloyet, Chut ! Le journal d’un directeur d’école, Paris, éditions Jacob Duvernet. Sortie le 7 avril 2011.

« Les élèves ne se gèrent pas comme des boîtes de conserve sur une étagère » – Entretien avec Yann Bloyet

Votre livre « Chut ! » raconte la première année d’un directeur d’école élémentaire à Romainville, en banlieue parisienne. C’est vraiment votre poste ?

Ce livre raconte ma première année en tant que directeur d’école. Devenu directeur, j’ai quitté mon ancienne école de Vaujours dans laquelle j’étais resté 11 ans, c’était l’occasion de me rapprocher de Paris.

A vous lire un directeur d’école c’est une sorte de superman : réparateur, aide soignant, négociateur, gestionnaire et j’en oublie surement. Est ce lié au fait que vous êtes dans une école importante ? Dans un endroit difficile ? Est ce toujours comme cela ?

C’est une école urbaine, elle est deux fois plus grande que la moyenne des écoles françaises (4 classes). Avec 220 élèves, treize enseignants, une secrétaire, un gardien, les dames de service, c’est un peu normal qu’il se passe des imprévus de temps en temps. Le problème c’est lorsque tous les imprévus arrivent le même jour à la même heure. Quand je travaillais en Bretagne dans des écoles de deux classes, nous avions dix fois moins d’élèves, en théorie dix fois moins de soucis.

Une journée de directeur en principe c’est plutôt calme: préparer la navette pour les enseignants, du courrier à lire (un peu), des mails (beaucoup), des coups de téléphone divers et variés, écouter les messages des répondeurs téléphoniques (on finit par se lasser), un car à réserver, une REE à préparer (le plus long étant de trouver une date qui conviennent à tous), préparer un conseil de maître ou de cycle, rédiger un procès verbal de conseil d’école, une réunion en mairie, une autre à l’inspection, un stage de formation non remplacé sur les heures de bureau, recevoir des parents pour les rassurer, recevoir des parents pour leur rappeler qu’ils sont parents, faire son service de cour, soigner un élève blessé, et en cas d’épidémie ce seront plusieurs élèves, préparer un spectacle, les commandes … Mais cela ne se déroule jamais comme ça !

Il y a un côté du directeur que l’on ne voit pas dans votre livre : c’est que le directeur est aussi professeur. Pourquoi l’avoir gommé?

Je parle peu des deux journées hebdomadaires passées avec ma classe pour deux raisons: je souhaitais me centrer uniquement sur la fonction de directeur que je découvrais, et si j’avais commencé à parler de la classe le livre ferait 700 pages! (minimum).

On sait que la fonction fait débat. Il y a la tradition qui veut que le directeur soit un enseignant parmi d’autres. Il y a l’image du manager qui est très présente au gouvernement. Un bon directeur, pour vous, c’est un manager ou un enseignant ?

Je pense que le directeur doit être d’abord un enseignant. Le pédagogique doit primer sur l’administratif. Malheureusement depuis quelques années le temps passé à gérer de l’administratif pur est de plus en plus chronophage au détriment de la pédagogie. Une journée de classe n’est pas extensible, celle du bureau peut se terminer bien tard parfois.

Il est important que le directeur soit un enseignant, les élèves ne se gèrent pas comme des boîtes de conserve sur une étagère dans une réserve bien ventilée avec un code barre sur le front. Il est nécessaire d’être réactif en situation de crise, et donc de connaître le monde des enfants. Je m’en rends compte par certaines réflexions, qui se veulent constructives, de nos partenaires lors de réunions, ils pensent bien faire et sont loin de la réalité de l’enfance. Si un jour il existe des super directeurs administratifs gérants plusieurs écoles, les directeurs pédagogiques seront incontournables. Je ne sais pas s’il existe une taille idéale pour une école, mais ce n’est certainement pas un grand complexe.

L’équipe d’enseignants doit rester une équipe pour continuer de travailler en équipe justement. Une équipe de foot c’est onze joueurs!

Autour du directeur gravitent beaucoup d’acteurs de l’école. Quels sont ceux qui vous paraissent indispensables ? A votre avis leur rôle doit-il être affermi dans le fonctionnement de l’école ?

L’inspection évidemment, mais nous sommes de la même famille. La mairie qui est notre trésorier. Suivant la taille de la ville, il existe des services administratifs municipaux qui sont d’une grande aide par exemple pour la préparation d’une classe de découverte. Les partenaires culturels, à Romainville nous avons un cinéma dynamique et une politique culturelle qui permet aux élèves de se rendre à une exposition, à un spectacle, un concert, dans leur ville. Sans oublier la médiathèque.

Les parents sont incontournables. Mais l’investissement des parents dans l’école est directement lié à l’équipe enseignante. Dans certaines écoles cela fonctionne très bien. J’ai travaillé dans une école dont la BCD était admirablement tenue quotidiennement par une grand-mère d’élève.

Des médias des livres nous expliquent que les parents sont démissionnaires, que les enfants sont devenus impossibles. Qu’en pensez vous ?

Les mentalités ont beaucoup changé depuis mes débuts et je ne suis pas encore à la retraite malgré quelques cheveux blancs. Avant, certains parents m’appelaient « maître », maintenant le « monsieur » tend à disparaître. « Maître » représentait une fonction, une certaine reconnaissance.

Cela m’arrive régulièrement d’intervenir lors de discussion entre un parent et son enfant pour rappeler à l’enfant quelques usages basiques de la communication orale avec son père ou sa mère. Et parfois aussi, de devoir le rappeler aux parents.

Cette année, nous avons demandé à un père d’élève de CP de réduire le temps de télévision avant l’école (à 6 ans notre élève regarde la télévision deux heures avant de partir apprendre à lire). Réponse du père: « Mais il ne voudra jamais! »Plusieurs fois par mois, je dois expliquer à des élèves, devant leurs parents, quels comportements ils doivent avoir à la maison. Est-ce vraiment mon rôle? Evidemment ce n’est pas le cas de tous les parents, il y en a qui sont extraordinaires, qui s’investissent dans l’école avec plaisir et efficacité.

Des élèves difficiles? Oui nous en avons, de très difficiles aussi, qui mettent en péril une classe voire une école sans oublier le calvaire quotidien de l’enseignant durant une année (les procédures d’aides aux élèves peuvent s’avérer bien lentes, quand elles existent). Il y a quelques années j’ai croisé une très vieille dame dans un musée, on me l’a présentée, c’était l’institutrice de mon père. (école privée catholique en Bretagne). Nous avons bien évidemment parlé de nos élèves. Je ne sais pas si cela a beaucoup changé tout compte fait.

Comment rendre plus légère une fonction dont on voit bien dans l’ouvrage qu’elle est prenante ?

Déjà si chaque directeur avait une (un) secrétaire, cela permettrait d’alléger une partie des taches administratives comme le classement, la saisie du courrier, répondre au téléphone, accueillir des visiteurs, s’occuper des enfants malades… Les écoles sont inégales dans l’attribution des CUI.

Peut-être faudrait-il aussi s’attaquer sérieusement à tout le courrier qui nous vient de notre administration. A l’époque du courrier papier, les circulaires arrivaient par l’appariteur. Aujourd’hui elles sont expédiées par mail. Le directeur la lit, la transmet à ses collègues, deux jours plus tard arrive une nouvelle circulaire qui annule la première. Le directeur la lit à nouveau … Une même circulaire peut arriver envoyée par trois services différents.

Je me rappelle d’un tableur pour une saisie des premières évaluations de CE1. Il y en a eu trois versions avant la bonne! Conclusion, plus personne ne voulait saisir les résultats une troisième fois! Et tout ce temps a été perdu pour rien, l’administration n’a pas obtenu les résultats, et les enseignants ont appris à perdre leur temps devant un écran alors que les copies et les préparations attendaient.

Des ordinateurs qui fonctionnent, des logiciels qui ne bogguent pas. On perd un temps fou en étant phagocytés par des détails inutiles. Au XIXème siècle les stylos plumes ne tombaient pas en panne.

L’ouvrage sort cette semaine en librairie. Mais je suppose qu’autour de vous beaucoup sont au courant. Comment est il accueilli par les collègues, l’inspection , la mairie, voire les parents ?

Ceux qui ne l’ont pas lu l’attendent avec impatience, car mon humour est connu de tous (services de la mairie, collègues). Les parents d’élèves viennent seulement de l’apprendre, quand il est sorti de chez l’imprimeur je l’ ai montré à mes élèves en leur demandant de garder le secret, ils ont réussi à le conserver jusqu’à mardi… J’ai croisé l’inspecteur cette semaine, il souriait en parlant du livre.

Pourquoi l’avoir écrit finalement ?

Depuis toujours j’ai aimé écrire pour m’amuser. Adolescent, ma correspondance était photocopiée et circulait déjà . Plus tard j’ai écrit des sketchs. Aujourd’hui, j’utilise beaucoup internet pour communiquer. Après avoir quitté mon ancienne école dans laquelle je me plaisais beaucoup, j’ai régulièrement envoyé des courriels à mes collègues (les « ex » à qui est dédicacé le livre). Petit à petit les mails sont devenus plus longs, plus travaillés, un style s’est dégagé. J’ai appris que ces courriels commençaient à circuler d’école en école. Quand une semaine se passait sans « aventure », je recevais des « plaintes ». Plusieurs collègues me poussaient à franchir le pas. C’est ainsi que l’idée de transformer les courriels en livre est venue. A partir de février chaque mail représentait un chapitre que j’ai à peine retouché par la suite. Durant l’été j’ai réécris toute la première partie afin que le style soit plus homogène.

C’est simplement un témoignage. Nombreux sont ceux qui n’imaginent pas du tout ce que peut être le quotidien d’un directeur, moi le premier avant d’en vivre l’expérience au fil des jours. L’humour permet la lecture de messages par un public qui au premier abord pourrait ne pas être intéressé par la vie d’un directeur de la banlieue est de Paris.

Entretien François Jarraud