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Samedi 9 avril, des enseignants de la région toulousaine ont bravé le ciel bleu pour découvrir ou partager les principes et pratiques de la pédagogie Freinet. Pour Christian Borgetto, l’un des organisateurs, se retrouver est important pour ne pas tomber dans l’isolement et rester en mouvement malgré la pression de l’Institution.

S’évaluer pour progresser

La journée s’adressait à tous les niveaux, tous les cycles, de la maternelle à l’Université. La pédagogie Freinet sort de l’école primaire là où nos représentations la cantonnent généralement et ce n’est guère étonnant. Les contraintes imposées par le système rapprochent les différents cycles : morcellement de la journée, contraintes des évaluations. La liberté pédagogique doit contourner le culte de la performance pour favoriser la réussite scolaire. Le mouvement ICEM (Institut Coopératif de l’Ecole Moderne-Freinet) propose « une école où chaque enfant peut s’exprimer, se responsabiliser, coopérer, expérimenter et s’ouvrir sur le monde ». « C’est par la liberté que l’on prépare la liberté », le slogan affiché ne dépareille pas dans le cadre des compétences du XXIe siècle.

Et dans ce cadre, les évaluations occupent désormais une place de choix. Evaluations contraintes comme celles du CE1 et du CM2, évaluations choisies dans le cadre de la pédagogie Freinet. Le thème a fait l’objet d’un débat. Selon les acteurs, l’attente concernant les évaluations diffèrent. Côté parents, elles prennent souvent la voie du classement permettant de situer son enfant dans la compétition au sein de la classe. Pour les enfants, l’évaluation peut être une façon de mesurer sa progression, de constater sa réussite, ses acquisitions. Pour l’institution, l’évaluation se fait normative avec des critères pointant la classe, l’enseignant dans un système induisant le classement, la comparaison avec d’autres classes. Concilier les attentes sociales et de l’élève, l’enjeu réside dans l’équation, sa résolution dans la communication avec les parents.

Pour progresser, l’enfant constate le chemin parcouru tout au long de l’année. Il ne s’agit plus de référence à une norme mais à ses propres acquis, ce qu’il sait maintenant faire. Le parcours d’apprentissage est objectivé, visualisé aussi. L’arbre de compétences est un des moyens proposés par le mouvement Freinet. Individuel ou collectif, il croit et se déploie sous la poussée des acquisitions. L’évaluation permet aussi de repérer les difficultés rencontrées par l’élève et de lui proposer un moyen d’y remédier : fiche d’activités ciblée, travail en petit groupe ou tutorat par un pair, un autre élève. Ce voyage entre individuel et collectif, individualisation et coopération, amoindrit les risques de compétition qu’une évaluation même à la sauce Freinet pourrait engendrer. Comment ne pas favoriser une comparaison entre les élèves, au vu des livrets de compétences bien garnis chez les uns, peu épais chez les autres ? En les composant avec les travaux réalisés, en basant l’évaluation sur le point de départ de l’élève, mais ce n’est pas suffisant. Le climat dans la classe est un ingrédient indispensable. Elle s’instaure aussi par des séquences consacrées à l’expression, exposé de trois minutes où l’enfant présente un sujet qui le passionne ou l’intrigue par exemple. Elle se cultive en permettant par des activités variées, incluant le bricolage ou l’expression artistique, à chacun de trouver un domaine où il sera expert, tuteur. Confiance, coopération, ôter la tentation de compétition, les méthodes outillent l’enseignant pour faire de l’évaluation une véritable ressource partagée. Elle devient alors un outil de communication, d’échanges avec les parents reçus au moins une fois dans l’année pour un entretien autour de l’enfant et de sa progression.

S’exprimer pour apprendre en confiance

La journée toulousaine donne l’occasion aux participants de partager, de raconter mais aussi de puiser idées et énergie. Hélène enseigne depuis quatorze ans, la pédagogie Freinet a été le thème de son mémoire d’études mais elle ne l’applique que depuis novembre, suite à une formation organisée par l’ICEM. Avec sa classe de moyenne section, elle a commencé à développer des pratiques d’expression. Toutes les semaines a lieu le « Quoi de neuf », un atelier d’expression où chaque enfant peut parler de son actualité. Un président de séance est nommé, il distribue la parole et est maître du temps. L’enfant est pris au sérieux, il est responsable de la séquence. Hélène mesure déjà les progrès que favorise l’exercice. Des enfants qui ne prenaient pas la parole, la prennent désormais, encouragés par le climat de confiance et d’écoute. Dernièrement, sa directrice est venue la voir dans la classe pour lui parler d’un sujet urgent, en plein Quoi de Neuf. Hélène a demandé la permission au président de séance d’interrompre l’atelier. Cinq minutes ont été accordées et au bout de cinq minutes, il est venu poliment indiquer à Hélène que le temps était écoulé. La directrice, enseignante de petite section, a constaté les progrès de son ancien élève, mutique et très timide par le passé.

Au collège et au lycée, de tels ateliers peuvent aussi être organisés, régulant la vie de classe, favorisant l’épanouissement de l’expression et de la qualité d’écoute. Ils nécessitent de travailler en équipe et sur la durée. Proposer un modèle coopératif dans un système marqué de plus en plus par la compétition n’est pas chose simple. A l’Université, la question du nombre accentue encore la complexité. Comment encourager la construction des savoirs dans un amphithéâtre ? Peut être en associant avant le cours les étudiants par des contributions, des questions permettant de le construire.

Les Tice réactivent et relancent les intérêts de la pédagogie Freinet en outillant les objectifs de coopération et d’individualisation. Elles ne sont pas la seule cause de ce regain d’intérêt. Le mouvement Freinet propose aussi une certaine résistance au modèle compétitif et à la pression de l’Institution que nombre d’enseignants et de parents rejettent. Inviter les différents cycles à échanger, de la maternelle à l’Université, est une façon de montrer d’autres voies possibles pour la réussite de l’élève tout au long de sa scolarité. Sylvie, une des participants proposait l’analogie du permis de conduire. « Quand on te demande ton permis de conduire, on ne te demande pas si tu l’as eu au bout de deux fois ou après trente leçons ». L’école devrait permettre cela aussi : reconnaitre la réussite quelque soit le chemin emprunté.

Monique Royer

Le site de l’ICEM
http://www.icem-pedagogie-freinet.org/