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Nathalie Mons a analysé les politiques de certifications et leurs effets sur les acquis des élèves. Elle a aussi, pour la Commission Européenne, une analyse comparative de l’autonomie des établissements incluant les évaluations des élèves. Elle revient sur les mesures présentées par Luc Chatel sur le baccalauréat.

Luc Chatel a annoncé le 12 mars un ensemble de mesures visant à réformer le bac : notes éliminatoires, développement du contrôle continu, suppression des options… Qu’en pensez-vous ?

N. M. : Il me semble que, comme l’année dernière lorsque l’affaire des fuites au bac fut largement entretenue par les interventions du ministre lui-même, ces propositions de réforme visent un double objectif : délégitimer le baccalauréat pour imposer à terme un contrôle continu, dans le cadre d’une politique plus générale d’autonomie des établissements et de déconstruction des cadres nationaux de l’éducation et limiter les coûts d’un tel examen (en supprimant la certification qui repose sur un champ large de disciplines et d’options). A ces objectifs récurrents sous le quinquennat Sarkozy, cette année, s’ajoute également un objectif strictement électoraliste : le développement d’une proposition qui porte une coloration malthusianiste – il faut que moins d’élèves aient le bac – qui s’inscrit dans une perspective de droite populiste.

A l’étranger également de façon récurrente, les modalités de certification et d’évaluation – mettre ou non des notes par exemple dans le primaire – sont des enjeux électoraux portés par les gouvernements de droite, comme en Suède récemment, voire d’extrême droite, comme dans certains cantons suisses. Mais, en France, cette politique malthusianiste de limitation du nombre de diplômés du secondaire va à contre-courant de ce qui se fait dans les pays de l’OCDE et en Europe.

Pourquoi ?

On assiste dans ces deux ensembles de pays, qui se recoupe partiellement, à un développement important depuis 15 ans du nombre de jeunes diplômés du secondaire. Entre autres dans une perspective d’appui au développement économique, les pays ont le plus souvent conduit des politiques qui visent à développer la certification en fin de secondaire supérieur dans le but d’ouvrir les portes des universités. Ainsi, depuis 1995, le taux d’obtention d’un diplôme de fin d’études secondaires a augmenté de 8 points de pourcentage, en moyenne, dans les pays de l’OCDE (1). De même, entre 2000 et 2010, d’après les derniers chiffres d’Eurostat (2) , la proportion des jeunes de 20 à 24 ans qui ont finalisé le secondaire supérieur a progressé de deux points.

Tous les pays européens visent à limiter le nombre de non diplômés qui sortent de leur système éducatif et à accueillir davantage de jeunes à l’université. La mise en place de notes éliminatoires aurait pour effet de fermer les portes de l’université à certains jeunes qui ne décrochent pas leur bac puisque en France depuis Napoléon ce diplôme possède deux facettes : une certification de fin de secondaire supérieur et une autorisation d’accès à l’université, ce qui n’est pas le cas dans les pays qui distinguent ces deux fonctions et imposent à l’entrée de l’université des examens.

Comment se situe la France par rapport aux autres pays développés ? Donne-t-on son bac à tout le monde chez nous ?

Nous en sommes loin, et l’objectif de 80% d’une cohorte de bacheliers n’a jamais été atteint, voire même s’éloigne depuis une décennie. En 2010, en termes de diplomation à la fin du secondaire, nous sommes dans la moyenne des pays de l’Union européenne. Et nous sommes loin derrière un certain nombre de pays de l’OCDE dont le taux d’obtention d’un diplôme de fin d’études secondaires dépasse 90% comme la Finlande, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Norvège ou l’Irlande.

Est-ce à dire que dans ces pays ces diplômés sont bradés ?

Non ces taux de diplômation fort élevés s’expliquent par le développement de programmes dits « de la seconde chance » ou de programmes du secondaire destinés aux adultes déjà entrés dans la vie active. En Finlande, en Norvège ou en Nouvelle-Zélande, par exemple, 10% des diplômés du second cycle de l’enseignement secondaire – l’équivalent de notre bac – ont plus de 25 ans.

Que pensez-vous d’un bac qui serait attribué sur la base d’un contrôle continu ?

Là encore c’est à contre-courant. Désormais la très grande majorité des pays développés ont adopté une certification qui repose sur un contrôle externe standardisé à la fin de l’enseignement secondaire. De fait on peut dire que notre bac français est devenu un standard international même si dans les autres pays cette certification peut prendre des formes variables.

Aujourd’hui par exemple, dans 80% des pays de l’Union européenne la certification en fin de secondaire supérieur repose sur un examen externe par opposition au contrôle continu qui est donc devenu marginal. Nombre de pays, dans lesquels les diplômes de fin de secondaire étaient délivrés par les établissements, sont passés à une certification externe. Je ferai ici un parallèle avec la proposition de l’actuel gouvernement de développer une évaluation interne des enseignants dominée par le chef d’établissement par opposition avec l’évaluation externe pratiquée par les corps d’inspection traditionnellement. Dans les deux cas – dans le cadre du bac en contrôle continu et de cette nouvelle évaluation dominée par un acteur interne, le chef d’établissement -, on voit bien que les propositions gouvernementales visent à déconstruire les cadres externes et nationaux de l’évaluation et à déléguer à des acteurs locaux des responsabilités qui sont importantes.

Vos recherches ont aussi porté sur les effets des différentes modalités de certification sur les acquis des élèves ?

Oui, ces recherches ont montré que les évaluations standardisées sont associées à des inégalités scolaires globales et d’origine sociale moins importantes que le contrôle continu réalisé par les établissements. Autrement dit, quand l’évaluation est externe et standardisée, les différences d’acquis scolaires entre les élèves sont plus limitées et l’école s’avère socialement moins reproductrice. On peut faire l’hypothèse qu’en imposant des cadres de certification nationaux et externes à la fois aux élèves et aux enseignants, dont les repères dépassent alors leur établissement, des exigences scolaires de même niveau s’imposent de façon uniforme à l’ensemble des élèves et limitent ainsi les inégalités inter-établissements et inter-individuelles. Ce serait donc une erreur de déconstruire le bac alors qu’à l’étranger de tels systèmes d’évaluation externes sont en cours de construction.

Nathalie Mons

Notes :

1 Voir la dernière publication de Regards sur l’Education de l’OCDE : http://www.oecd.org/dataoecd/39/16/48640049.pdf

2 http://eacea.ec.europa.eu/education/eurydice/documents/key_[…], les données sont présentées p. 171

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