Print Friendly, PDF & Email

« L’avenir ce sont des serious games conçus spécifiquement pour l’enseignement en formation initiale » Hélène Michel, directrice de la recherche de l’école supérieure de commerce de Chambéry, connaît bien le sujet : son Ecole investit beaucoup de temps et d’énergie dans l’utilisation des jeux sérieux pour la formation des étudiants. Ses travaux attestent de l’efficacité du cursus. Elle montre l‘intérêt des jeux pour l’apprentissage du savoir être, une éducation qui est souvent ressentie comme nécessaire dans l’enseignement scolaire.

La notion de « jeu sérieux » est-elle si nouvelle que sa médiatisation le laisse entendre ? N’y a-t-il pas un effet de mode ?

Le « jeu sérieux » n’est effectivement pas si récent. Des mises en situations, plus ou moins ludiques, et plus ou moins virtuelles, ont depuis longtemps été utilisées dans l’enseignement. Ainsi, les étudiants jouent depuis une vingtaine d’années à des « business games » et des jeux de stratégie d’entreprise.

Toutefois, les serious games présentent deux grandes nouveautés: premièrement les développements technologiques. Ils permettent, d’une part, d’offrir des jeux avec des graphismes et animations (avatar etc.) donc une plus grande immersion de l’apprenant dans le dispositif, et théoriquement un plus grand état de flux. C’est ce fameux « flow » qui permet un apprentissage en jouant non plus sur le canal cognitif, mais sur le canal émotionnel. Le traitement des données permet également de fournir à chaque étudiant obtient ensuite un debriefing personnalisé et des voies d’amélioration.

Deuxièmement, les serious games sont particulièrement intéressants pour l’apprentissage de comportement et savoir-être. Aujourd’hui, au-delà des connaissances théoriques et des compétences techniques, il est primordial de permettre à l’étudiant de développer ces « soft skills » (par exemple: savoir gérer l’inattendu, accueillir un client, etc.). C’est un apprentissage qui passe par la mise en situation. Or, il est aujourd’hui difficile -et coûteux- de faire jouer des situations ou sketchs à un amphi entier. Les serious games permettent alors des expérimentations individuelles, par essai-erreur et en univers protégé.

Le jeu sérieux est-il l’ajout d’une couche ludique sur un objet sérieux ou le détournement d’un jeu vidéo pour des fins sérieuses ?

Le jeu sérieux a (au moins) un point commun avec le jeu vidéo: il utilise le canal émotionnel, notamment en utilisant des technologies et des ressorts scénaristiques (comme la quête d’un graal, la compétition ou l’humour).

Toutefois seul le serious game est totalement conçu pour une fin d’apprentissage. L’objectif pédagogique est clair. Le dispositif permet un retour sur l’apprentissage et une lecture des résultats. Le travail de l’enseignant est donc en partie facilité. Il peut se concentrer sur la re-médiation: c’est-à-dire aider l’étudiant à réutiliser les apprentissages du jeu dans des situations professionnelles.

Effectivement, il est possible d’utiliser un « pur » jeu vidéo à des fins sérieuses. Par exemple, utiliser World of Warcraft pour faire comprendre la gestion de projet aux étudiants etc. Cela est trés intéressant. Mais dans les cas d’utilisation, le rôle de l’enseignant est beaucoup plus complexe. Il doit justifier de l’intérêt pédagogique du jeu, faire un maillage très étroit entre les concepts et la mise en situation et surtout, il n’a pas de dispositif organisé de suivi des résultats individuels. La re-médiation est également plus difficile: passer de troll à chef de projet nécessite encore une dose d’explicitation :-). Bref, si cela est très intéressant, aujourd’hui seuls quelques profs passionnés de jeux vidéos s’y lancent.

Vous évoquez, dans vos travaux, la question de l’efficacité des serious game pour l’apprentissage. Vous parler d’effet renforcement, de problème de transfert entre virtuel et réel, qu’en est-il en ce moment ?

Aujourd’hui nous observons dans les expérimentations menées que les jeux sont très prometteurs pour du renforcement, plutôt que pour de la découverte. Le jeu permet notamment à des personnes qui ont une première expérience dans le thème du jeu de renforcer leur performance. En tant qu’outil de découverte, les jeux n’amènent pas de différence significative avec un dispositif classique de formation (au-delà de la satisfaction des étudiants et du stress du responsable informatique, ce qui en soit n’est pas négligeable ;-). Nous avons donc fait le choix d’utiliser les jeux de façon prioritaire pour de l’entraînement et le renforcement.

Au vu du nombre de projets de réalisation de serious game, on aimerait mieux identifier ce que sont les serious game, peut-on classer les projets selon leur conception, selon leur ambition, selon leurs thèmes ?

Des typologies sont en cours d’élaboration. Nous réfléchissons peu par thème. Nous travaillons plutôt sur une typologie par type d’apprentissage (connaissances, compétences, comportements), par type de joueur (expérience du thème ou non, etc.) et par dispositif pédagogique (en collectif ou non, en présentiel ou à distance). A ce jour, le plus grand potentiel de ces dispositifs reste, pour moi, l’apprentissage de comportements et habiletés.

Le monde scolaire est en général méfiant par rapport au monde du jeu et du jeu vidéo en particulier. Pensez vous que cela puisse évoluer ? Est-ce que dans les universités ce type d’outil pourrait être utilisé pour les étudiants ? Quel est, selon vous l’avenir du serious game ?

L’avenir ? Les « academic serious games ». C’est-à-dire des serious games conçus spécifiquement pour l’enseignement en formation initiale. Aujourd’hui les serious games traitant de comportements sont conçus pour des entreprises et éventuellement transformés pour l’éducation. Or il faudrait intégrer dès leur conception certaines variables comme le suivi, l’évaluation, le dispositif pédagogique à mettre en .oeuvre etc. Nous conduisons des expérimentations avec l’entreprise Daesign dans ce sens en testant des jeux auprès de nos étudiants et en détectant les points de basculement vers l’ « academic serious game ». Cette année nous avons utilisé 4 jeux auprès de 300 étudiants. Nous avons observé une attention accrue, une implication renforcée, sur certains un renforcement des performances.

Entretien : Bruno Duvauchelle