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La plupart sont des femmes. Il faut voir leur bonheur de cette parole enfin prise, dans les allées désertes ou sur les ronds-points des zones périphériques embouteillés de hordes de consommateurs empêchés, mais manifestement compatissants. Surprises elles-mêmes de cette sympathie soudaine, elles si souvent invisibles derrière leur uniforme frappé du logo de la marque du distributeur qui les emploie. Et fières de ce collectif manifeste, au point de libérer l’émotion : « Comment voulez-vous que j’y arrive, avec mes deux enfants ? » explique avec force Elisa aux micros tendus.

On imagine sans peine Kévin ou Samira, levés tôt pour rejoindre le centre de loisirs du matin, histoire de pouvoir attendre en sécurité l’heure de l’école, ou passant la fin de l’après-midi devant leurs écrans, en attendant le retour de leur mère retenue jusqu’à vingt heures par l’ouverture contrainte du soir. Quand ce n’est pas le recours aux voisins pour faire la soudure du samedi, jour d’affluence pour lequel il est si difficile de ne pas répondre aux pressions de l’employeur… « Ce qui est le pire, avec ces contrats de travail à temps partiel, c’est l’amplitude des journées avec les coupures non-payées de l’après-midi, où j’ai le choix entre perdre trois heures dans la zone commerciale ou faire deux fois une demi-heure de transport pour rentrer à la maison faire le repassage en retard ».

A l’heure où les propositions de modifications des rythmes scolaires vont être rendues publiques, ce mouvement social plutôt rare dans ces professions rappelle crûment la quadrature du cercle : comment dissocier les questions de l’organisation du temps des adultes avec celles des temps de l’Ecole ? « Quand on gagne comme moi 1050 euros, tout compris, la moindre des dépenses est une angoisse. Avec le sentiment de ne pas être à la hauteur pour mes enfants, de ne pas avoir assez de temps et d’énergie à leur consacrer… De ne pas pouvoir faire face… ».

Alors, quoi d’étonnant à voir les sourires de ces nouvelles porteuses de drapeaux, contrastant avec le sourire crispé du chargé de communication du grand groupe de distribution, peinant à justifier que les milliards promis aux actionnaires ne puissent subir une petite coupe au bénéfice de ses employés ? La prochaine fois que vous croiserez Elise, à la sortie de l’Ecole ou à la caisse du supermarché, demandez-lui des nouvelles. Kévin et Samira ne s’en porteront que mieux.

Marcel Brun