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Le 2 mai, Luc Chatel ouvre les assises nationales sur le harcèlement à l’École. Elles font suite à la remise du rapport Debarbieux et doivent déboucher sur des décisions ministérielles. A la veile de cet événement, Eric Debarbieux répond à nos questions sur le rapport et sur le chemin parcouru depuis les Etats généraux de la sécurité à l’école.

Vous avez publié il y a quelques jours votre rapport sur le harcèlement à l’Ecole, quels échos en avez-vous ?

Là où j’ai le plus de réactions c’est chez les parents de victimes. C’est cette mère qui m’écrit : « nous partageons le même espoir et les mêmes attentes que l’offensé et l’offenseur soient pris en charge. On est avec vous ». Ca fait d’autant plus plaisir que le débat est faussé par la mauvaise interprétation donnée par Le Monde d’un autre rapport. Si on lit bien ce rapport on y voit que 86% des chefs d’établissement se disent respectés par les parents. 19 chefs d’établissement signalent avoir été brutalisés une seule fois, soit 1% des enquêtés, et c’est en général par des élèves. Les brutalités exercées par des parents ne concernent que 3 cas. Je veux bien dire que j’écris mal mais on me fait dire le contraire de qui est publié.

On a l’impression, à la lecture du rapport, que vous croyez davantage dans les impulsions indirectes (des campagnes d’opinion) que dans les changements internes pour faire avancer vos idées dans le système éducatif. Est-ce vrai ?

La campagne d’opinion qui est mentionnée dans le rapport n’est qu’une proposition. Le problème doit être pris dans sa globalité. On parle beaucoup de campagne d’opinion en direction des jeunes. Mais c’est aussi en interne qu’il faut aller. Par exemple il ne faudrait pas rejeter les outils développés par les associations. C’est ce souci qui m’a fait imaginer un « label qualité ». La responsabilisation des médias c’est important mais c’est surtout l’enquête et l’écoute à l’intérieur des établissements scolaires qui sont nécessaires. Il faut que les directions et les chefs d’établissement soient formés à cette écoute. Particulièrement les personnes relais comme les Rased, les infirmières. Le plus important c’est un changement radical de la formation des enseignants et des pratiques enseignantes.

Justement peut-on changer le climat scolaire et les pratiques dans les établissements ? Si oui à quelles conditions ?

Le lien entre climat scolaire et victimation est avéré. Travailler sur la violence à l’école c’est s’adresser directement au vivre ensemble. C’est ce que montre par exemple l’expérience espagnole. Ca veut dire faire évoluer la vie d’équipe dans l’établissement. Or où existe-elle vraiment ? Comment l’établissement peut-il se penser comme une communauté juste ? Quelles actions mettre en oeuvre pour que la communauté vive ? On se rend compte que cela nécessite des actions à long terme.

En premier lieu il faut que la formation des enseignants comprenne ce que c’est que conduire un groupe. Aujourd’hui on a un consensus tout à fait nouveau pour dire qu’il faut une formation professionnelle des enseignants. Mais comment la mettre en place quand on a un master disciplinaire et un concours sans formation pédagogique ? Je propose un concours par module avec des expériences pédagogiques vécues dans et hors l’école. Et pour concrétiser je propose aussi une carte des ressources de formation, parce qu’il y a des tas de choses qui se font mais qui ne sont pas connues. Tout cela est en harmonie avec la rapport Jolion. Il est fondamental de remettre en cause le concours. Il faut que les universités intègrent cette formation professionnelle. CE qui nécessitera du courage pour les présidents d’université.

N’est ce pas aussi la pression élitiste et le tri permanent opéré par l’Ecole qui amène ce niveau de harcèlement . Que peut-on y faire ?

C’est une vision de l’enfant qui est derrière. Qu’est ce que l’éducation ? Est-ce simplement la transmission des connaissances ? Le problème du harcèlement peut faire réfléchir aussi bien les pédagogues que les antipédagogues. Car ses conséquences touchent tous les élèves , même les très bons. Le tri n’est pas que social, tous les types d’exclusion sont concernés. Un exemple : un élève très doué de 24 ans en école de commerce qui depuis trois ans est ostracisé par ses camarades avec la complicité d’un enseignant. Pour les autres élèves il est un concurrent à éliminer. C’est un exemple de pression élitiste contre un très bon élève. Cette pression marche dans les deux sens, aussi bien contre l’enfant différent ou avec des difficultés cognitives que contre l’enfant intellectuellement précoce. On a à faire avec la pression à la conformité du groupe et pas seulement à une sociologie élitiste.

Qu’attendez-vous du Haut Conseil de la Formation que vous préconisez dans votre rapport ?

Le vrai problème c’est la mise en place réelle de la formation professionnelle des enseignants. On doit prendre acte que cela se fera en université. Il faut donc faire évoluer les cursus avec un cahier des charges clair. Depuis un an , après les Etats généraux de la sécurité de l’Ecole, je travaille à la formation de formateurs et de jeunes enseignants. Mais j’ai l’impression que les choses avancent peu en ce qui concerne la formation initiale. Comme il y a un consensus sur cette question il faut que cela avance et cela ne concerne pas que l’éducation nationale mais aussi l’enseignement supérieur, avec cette difficulté que, depuis la loi LRU, les contenus des maquettes des formations est impulsé localement. Il faut donc une vraie prise de conscience des universités.

Quel bilan faites-vous des Etats généraux ?

Avant les Etats généraux on en était à l’idée qu’on allait mettre de la vidéosurveillance et fouiller les cartables pour lutter contre la violence scolaire. Il ya eu des avancées là dessus. La seconde séance consacrée à la microviolence répétée, où on parlera de prévention c’est aussi une avancée des représentations.

Il y eu aussi des mesures très concrètes comme la formation des référents académiques : 80 formateurs de formateurs qui ont fait plusieurs centaines de formations. Il leur faut du temps et il faut les appuyer. Il y a encore beaucoup à faire. Il faut aussi mentionner l’évolution des équipes mobiles de sécurité. On les voyait comme les gros bâtons qui allaient rétablir l’ordre. Or elles travaillent sur le climat scolaire, les relations humaines. Enfin en septembre il y aura la première enquête de victimation au collège.

On est à la veille d’une année très dure sur le plan politique avec la montée du populisme. L’impulsion qui est donnée sur la prévention est importante. On interroge le coeur même du fonctionnement des établissements scolaires. On a actuellement une fenêtre ouverte pour faire avancer ces idées. Elle peut se refermer très vite. Il faut en profiter pour parler de pédagogie.

Entretien : François Jarraud

Liens :

Le rapport Debarbieux

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/04/28[…]

Le rapport Unicef

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/03/3[…]

Debarbieux : Il est temps de déidéologiser le débat

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/01/120[…]

Debarbieux : Il faut former les personnels

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/01/Debarbi[…]

Sur les Etats généraux

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/201[…]