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« On passe de la conception où l’éducation est un droit garanti par l’Etat à une éducation qui est un bien de consommation répondant à la demande des parents ». Christian Chevalier analyse avec nous le colloque du Sénat du 4 mai.

Lors du colloque de la Mission d’information sur l’organisation territoriale du système scolaire et sur l’évaluation des expérimentations locales en matière d’éducation du Sénat, la présidente de l’Ifrap est intervenue pour présenter une étude qui montrerait une nette différence de coût entre un élève du privé et du public, ce dernier « coûtant » plus de 2 000 € de plus. Qu’en pensez-vous ?

Ce que je constate c’est que l’enseignement public est un service public qui est installé sur tout le territoire y compris en zone sensible. Que le public ne choisit pas ses élèves. C’est lui qui scolarise les 20% d’élèves en difficulté, 97% des élèves handicapés et des primo-arrivants. Tout cela a un coût. Ce que je trouve incroyable c’est que ces inconnus soient invités par la Mission et qu’ils aient le culot de porter cette parole mettant en cause l’efficacité du Public. Mais ce discours n’est pas nouveau. Déjà Darcos vantait le modèle de l’enseignement privé où l’établissement est roi, ce qui est d’ailleurs le filigrane du débat de la Mission. Que l’on s’appuie sur le terrain c’est bien. Mais l’autonomie doit être encadrée parce que l’éducation est nationale. Il n’est pas souhaitable que le système éclate en une mosaïque d’établissements.

La mission ne va-t-elle pas proposer une forme de privatisation de l’Ecole ?

Ce que j’ai ressenti, et d’ailleurs l’exemple hollandais est parfait pour cela, c’est quelque chose de très décentralisé. Non que les collectivités locales n’aient raison de demander à être associées au service public d’éducation. Mais la Hollande c’est la décentralisation extrême du système politique. Même les enseignants y sont salariés par les établissements.

Ce qui est important c’est que l’éducation reste nationale. Le modèle privé c’est celui de l’autorégulation du système par le jeu de l’offre et de la demande. On passe de la conception où l’éducation est un droit garanti par l’Etat à une éducation qui est un bien de consommation répondant à la demande des parents. Or on a bien vu lors de la désectorisation que ça ne se régulait pas. D’autre part la plupart des expérimentations évoquées sont des alibis élyséens. Les ERS, les établissements d’excellence, par exemple. On met les élèves excellents entre eux, les délinquants potentiels entre eux et on les sépare de leur environnement perçu comme dangereux.

Je pense que de plus en plus on veut nous amener vers ce schéma où l’unité de base c’est l’établissement dans la logique d’un système où c’est le résultat qui compte et de moins en moins les contenus enseignés. Aujourd’hui on veut des choses mesurables.

Mais n’est-ce pas une tendance universelle de mettre en place des indicateurs ?

Que le ministère ait besoin d’un outil de pilotage c’est indispensable. Mais actuellement l’outil prend de plus en plus de place.

Comment jugez-vous globalement ce colloque ?

Il faut que l’Ecole bouge. Il faut trouver des améliorations pour les élèves en difficulté. Dans la compétition mondiale on voit bien que c’est du côté de la matière grise que va la plus value économique. Sur la question de l’autonomie il y a des risques. L’autonomie encadrée peut faire sens à condition que le chef d’établissement ne soit pas tout puissant. On voit que ceux qui maîtrisent la Mission tirent vers un système libéral.

Propos recueillis par François Jarraud