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Par François Jarraud

Organisé par la « Mission d’information sur l’organisation territoriale du système scolaire et sur l’évaluation des expérimentations locales en matière d’éducation » du Sénat, le colloque du 4 mai est le dernier événement avant la remise du rapport final de la Mission fin juin. On en retiendra surtout la fin : la révélation, par un organisme inconnu mais invité par la Mission, d’une étude qui affirme que le coût d’un élève est nettement plus onéreux dans le public que dans le privé du fait d’une gestion publique « laxiste ». De là à conclure sur la nécessaire privatisation du système éducatif, il n’y a qu’un pas. La Mission le franchira-t-elle ?

Faut-il privatiser l’Ecole française ? Commençons le colloque par sa fin, retentissante. La dernière intervention du colloque a été celle d’Agnès Verdier-Molinié, présidente de l’IFRAP. Cette obscure association se présente comme un thinktank libéral. Mais il semble surtout actif en période électoral et ressemble davantage à un groupe politique. Les publications de l’Ifrap donnent la tonalité de la maison : « Les fonctionnaires contre l’Etat, le grand sabotage », « Cet Etat qui tue la France », « le dossier noir de l’ENA ».. L’Ifrap est libérale au sens classique (ou américain), c’est-à-dire hostile à l’Etat. Agnès Verdier-Molinié a publié des statistiques qu’elle était incapable de définir précisément, qu’elle présentait comme sérieuses mais exactes « à 1000-1500 euros près ». Selon l’Ifrap, un élève du privé coûterait au primaire 3 443 € par an contre 5 469 dans le public. Dans le second degré on aurait 7201 et 9989 € (dépenses immobilières et parentales incluses). De plus de très forts écarts existeraient entre régions et départements. Ainsi le Limousin dépenserait 4 374 € pour les élèves du public et 585 pour ceux du privé. Un élève du public coûterait 1 478 € dansle Cher et 375 dans le Loir-et-Cher. Comment expliquer tout cela ? Selon l’Ifrap, la décentralisation est à revoir, « elle a conduit à des pertes d’économie d’échelle ». Mais il y a aussi les fonctionnaires. « L’éducation est trop centralisée et a des normes de dépenses laxistes laissées à la discrétion des décideurs ». Si l’éducation est trop centralisée et que les collectivités locales sont dépensières, alors on peut en déduire qu’on peut décentraliser jusqu’à l’établissement autonome. C’est sans doute ce modèle que défend l’Ifrap : la privatisation de l’éducation nationale. A noter que les « décideurs » de l’Etat sont bien laxistes : aucun des deux recteurs présents dans la salle n’a répliqué.

L’école privatisée en modèle. Or c’est justement le système éducatif le plus décentralisé et privatisé que la Mission avait choisi de montrer en invitant un inspecteur et un directeur de réseau d’écoles néerlandais. Aux Pays-Bas, la constitution donne le libre choix de l’école aux parents. L’Etat fixe ce qui doit être appris. C’est chaque école qui dit comment il faut apprendre et qui définit ses propres enseignements et règles. Ce « modèle » néerlandais a été présenté comme un exemple de réussite en oubliant à quel point il se structure sur une base ethnique de plus en plus accentuée.

Regrouper les écoles rurales. Une des dernières interventions proposait l’exemple des écoles de la communauté de communes d’Ailly-le-Haut-Clocher (80) qui est un exemple réussi de regroupement d’écoles. 13 écoles ont été fermées pour regrouper les enfants dans 3 lieux ayant chacun une dizaine de classes. Chaque école a Internet et des équipements sportifs. Mais sait-on combien de kilomètres doivent faire les enfants chaque jour ?

Restait la question des expérimentations. Au coeur des réflexions de la Mission, elles semblent pour elle être un outil pour faire évoluer l’éducation nationale. Pour Claude Thélot elles sont un vrai outil de gouvernement. Mais encore faut-il que l’Etat en tire les conséquences, ce qui est rarement fait. Il revenait à Eric de Labarre, secrétaire général de l’enseignement catholique, de sortir la discussion des discours convenus en délimitant les conditions qui font d’une expérimentation quelque chose d’efficace. « Si la réforme appelle une formalisation, pour que l’expérimentation ait lieu la formalisation doit avoir lieu avant ». Il dénonce les « expérimentations alibi qui servent à justifier les choix posés en amont ». Une allusion, par exemple , au programme ECLAIR. L’expérimentation doit avoir l’appui des équipes éducatives « parce que le système éducatif n’est pas réformable par le haut ». Un autre son original a été donné par Bénédicte Robert, chef du département recherche-développement, innovation et expérimentation du ministère. Son service cherche à repérer les innovations, à les accompagner et à communiquer sur elles. Il développe une « expérithèque » (sur Eduscol). Certains sénateurs ont réagi vivement quand B Robert a essayé de leur faire entendre l’intérêt des démarches « bottom – up », c’est à dire celles qui viennent du terrain.

Quels objectifs pour ce colloque ? Le colloque avait commencé par une présentation remarquable du président (socialiste) de la mission, S. Lagauche. Il a rappelé les 160 000 élèves sortant sans qualification et la montée des inégalités sociales dans l’Ecole française. Il a montré la nécessité de réagir. La mission présentera ses conclusions au Sénat le 14 juin et rendra public son rapport à la fin de ce mois. Est-il possible d’anticiper sur elles en s’appuyant sur les quatre journées d’auditions et de colloque ? La majorité présidentielle qui anime la Mission tend visiblement vers une autonomie accrue des établissements. Elle a en tous cas le 4 mai promu une nouvelle baisse des moyens de l’éducation nationale et rallumé, par l’intervention de l’Ifrap, les braises de la guerre scolaire.

François Jarraud

Liens :

Troisième audition : Si les patrons gouvernaient l’Ecole

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L’Etat mis en accusation par les acteurs de l’Ecole

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