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« En France les évaluations standardisées n’ont jamais été formellement liées à des standards de performance ». Xavier Pons, maître de conférences à Paris Est Créteil, vient de publier aux OUF un ouvrage sur « l’évaluation des politiques éducatives ». L’ouvrage pose la question d ela régulation des systèmes éducatifs et de l’impact des évaluations. Dans cette perspective, la France occupa une place singulière, à la fois pionnière et.. rhétorique. Faute d’objectifs communs, l’évaluation n’y est ni continue, ni codifiée ni corrective. L’ouvrage permet de saisir ces spécificités et de situer la démarche française dans le contexte actuel.

Alors que le ministère modifie l’évaluation de CM2 et affirme son importance pour le pilotage du système éducatif, le Café interroge Xavier Pons sur le sens de cette réforme et la place des évaluations en France. Une analyse toute en finesse.

L’évaluation de CM2 vient d’être modifiée pour passer en fin d’année après bien des péripéties. Quelle lecture faites-vous de cette modification ?

Je n’ai pas fait de recherche sur la conception de ces épreuves depuis 2009. Mais il apparaît que le ministère a fait le choix du pilotage (évaluation bilan sur tout le territoire pour permettre d’avoir des indicateurs à tous les niveaux de décision) plutôt que celui de l’accompagnement des pratiques enseignantes (évaluation diagnostique). Il lève ainsi une ambiguïté caractéristique de la période antérieure (évaluation en milieu d’année visant les deux objectifs sans en satisfaire un pleinement). Une incertitude demeure cependant : ces évaluations vont-elle être formellement liées au socle et par exemple alimenter les indicateurs du programme 140 de la LOLF ? Si c’est le cas, alors nous nous rapprocherions d’une politique dite des standards avec une évaluation standardisée d’un palier du curriculum reposant sur des objectifs chiffrés de laquelle dépendrait formellement des décisions éducatives (financières ici). Si ce n’est pas le cas, nous continuerions, comme au cours des décennies précédentes, à produire des évaluations nationales en laissant les acteurs libres de leur exploitation, donc en laissant posée la question des conséquences de l’évaluation. La DGESCO prétend que l’objectif est de « structurer » le socle : sera-ce par la contrainte ? Par l’incitation ?

On a multiplié les évaluations en France ces dernières années et on va en ajouter une en 5ème. La France est-elle un pays où l’éducation est particulièrement bien évaluée ?

Votre question appelle selon moi deux réponses différentes : l’une portant sur le développement des outils d’évaluation, l’autre sur les qualités techniques et méthodologiques des évaluations conduites. Concernant les outils, la France a su développer depuis les années 1970 une tradition d’évaluation des acquis des élèves, au niveau national notamment. À certaines époques (années 1990), elle a même pu inspirer d’autres pays et prendre la direction d’un réseau européen d’organismes publics proposant une méthode alternative à celle retenue dans les grandes enquêtes internationales (PIRLS, TIMSS, PISA). Cependant, pour de multiples raisons politiques et financières, elle n’a pas toujours pu, comme ont su le faire d’autres pays, systématiser ses évaluations dans le temps et aux différents niveaux du système. La reprise en main des évaluations dans le primaire par la DGESCO au détriment de la DEPP est un exemple de ces aléas politiques.

Il m’est plus difficile de vous répondre sur la qualité technique et méthodologique des épreuves, n’étant moi-même ni évaluateur ni statisticien. J’observe simplement qu’elles se fondent le plus souvent sur les techniques statistiques utilisées ailleurs, avec une attention croissante portée aux acquis de la psychométrie dans les travaux de la DEPP et que certains membres de cette direction jouissent d’une réputation internationale.

Certains craignent un pilotage par l’évaluation, à l’image des pays anglo-saxons, avec de bons arguments comme par exemple la loi de finances (LOLF). Qu’en pensez vous ?

Je ne me prononce pas sur la légitimité de ces craintes car j’essaie de garder un regard extérieur sur ces sujets. Je remarque simplement que pour en arriver à un pilotage par l’évaluation comme il en existe dans certains pays anglophones, plusieurs choix techniques et politiques restent à faire qui me paraissent délicats à effectuer dans le contexte français : énoncer ouvertement et soutenir politiquement que l’efficacité est une valeur de l’école républicaine, définir des objectifs chiffrés précis (« x% des élèves doivent maîtriser telle compétence telle année ») à différentes étapes du curriculum national (programmes d’enseignement et socle commun), proposer des évaluations systématiques, assortir ces évaluations de remédiations et de sanctions explicites etc. Mais bien sûr les choses peuvent évoluer rapidement, et ce d’autant plus si les différents partenaires du système éducatif renoncent à entrer dans ces sujets en général perçus comme techniques et ennuyeux !

Vous dites que l’évaluation en France est « un idiome réformateur ». Est ce à dire qu’elle est inutile ?

J’ai proposé cette notion après avoir mené plusieurs recherches sur l’évaluation en France ces sept dernières années. J’ai observé que son institutionnalisation était irrégulière dans le temps et dans l’espace, que les décideurs manifestaient un intérêt tout relatif à son développement, que les évaluateurs avaient en tendance peu changé leurs méthodes d’analyse avant et après leur passage à une logique d’évaluation, que l’évaluation était un mot qui faisait périodiquement l’actualité du débat public depuis quarante ans sans jamais qu’une définition précise de son contenu, de ses finalités et de ses démarches ne soit donnée dans les textes officiels ou dans les discours des décideurs. Qu’est-ce donc que cette évaluation ? Je l’envisage comme un idiome réformateur, donc comme un outil de communication utilisé par les acteurs du système éducatif pour signifier à leurs partenaires qu’ils changent, pour les inciter à changer également, voire pour mettre en œuvre effectivement des actions de changement sans pour autant être toujours capable de définir le contenu et les modalités de ce changement. C’est tout le sens par exemple des appels fréquents au développement d’une « culture d’évaluation ».

Je ne crois pas qu’un idiome réformateur comme l’évaluation soit inutile. Par définition, il fait partie du langage des acteurs du système qui réfléchissent à sa réforme. Il leur permet de se comprendre et de se coordonner avec plus ou moins de succès d’un dispositif à l’autre, d’un territoire à l’autre ou d’une politique à l’autre. Par ailleurs, cet idiome réformateur peut prendre des formes concrètes très variables qui elles ont une utilité concrète immédiate : intitulé de bureau, titre d’une loi d’orientation, outil de régulation particulier etc.

Aujourd’hui l’évaluation est faite par de nombreux organismes : IG, DEPP, IFé, HCE, Cour des Comptes etc. Si on veut une évaluation sincère et efficace, qui devrait évaluer le système éducatif ?

Je répondrais tous ! Je crois que l’évaluation sincère et efficace que vous souhaitez est l’aboutissement d’un processus collectif de confrontation d’évaluations multiples effectuées selon des approches différentes, et non le produit direct d’une organisation en particulier, même proclamée « indépendante ». Mais pour que ce pluralisme existe, sans doute faudrait-il dans le cas français décentrer un peu l’expertise publique, qu’elle ne soit pas portée uniquement par des acteurs étatiques (votre liste est édifiante sur ce point !).

Les évaluations internationales comme PISA ont énormément gagné en notoriété et en influence. Peut-on dire qu’elles s’imposent et qu’elles promeuvent un modèle universel d’Ecole ?

Oui elles s’imposent (particulièrement depuis 2005-2006 en France) et oui elles contribuent à structurer nos imaginaires collectifs. Mais tout dépend ensuite de la façon dont les acteurs s’en saisissent dans le jeu politique, à différents niveaux, pour traduire ces évaluations en fonction de leurs intérêts, de leur vision des changement souhaitables etc. Ce n’est pas Pisa en soi qui diffuse le néolibéralisme en éducation et l’éventuelle marchandisation d’une l’école réduite à la production de capital humain. L’enquête en elle-même laisse plusieurs pistes d’interprétation et d’exploitation possibles. Mais réduire Pisa à cette dimension, c’est assurément faire le jeu de ceux qu’on prétend combattre, puisqu’on accepte de fait la prédominance de leur interprétation du monde.

Xavier Pons

Entretien François Jarraud

L’ouvrage :

Xavier Pons, L’évaluation des politiques éducatives, PUF, QSJ 3914, 2011.

Liens :

Sans évaluation on prive les familles

La culture d’évaluation est un discours politique

Evaluation de CM2