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Professeur d’histoire-géographie, Jérôme Staub enseigne en collège à la Cité scolaire Jean-Baptiste Darnet de Saint Yrieix La Perche. Il y développe un projet original: utiliser le webmapping pour cartographier le bruit.

Votre projet, à mi-chemin entre développement durable et géographie, est tout à fait original. Qu’est-ce que la création d’une carte du bruit ?

Ce projet s’articule autour de plusieurs éléments:

Il s’appuie sur la volonté de montrer que le bruit a un impact important sur nos comportements mais aussi sur les aménagements urbains.

La démarche est double: il s’agit de mêler un travail autour des cartographies du bruit (qui mettent surtout en avant le problème de pollution et de nuisance sonore avec des relevés précis exprimant l’intensité d’un bruit) et un autre sur les milieux sonores associés avec une approche plus sensible où l’on détermine des types de sons. Ce paysage sonore peut être alors confronté aux indices visuels collectés comme les vidéos ou les images.

Les outils de prédilection pour présenter et confronter toutes ces données sont ceux de la cartographie numérique, notamment les globes virtuels et le webmapping

Le projet a aussi vocation à proposer une approche différente des outils mobiles par les lycéens, notamment les téléphones portables ou les smartphones (où la fonction téléphone est devenue presque accessoire).

Il s’articule autour de trois classes avec trois missions différentes mais complémentaires. Il y a d’abord la classe de 3ème TICE, qui s’inscrit dans le projet des classes TICE, qui vient aider les élèves de seconde avec leur expérience afin de déterminer quels outils numériques pour enregistrer des données, pour réaliser une cartographie du bruit. Ensuite une première classe de seconde s’occupe surtout du relevé de terrain: elle est chargée d’effectuer la sortie de terrain, de faire des relevés aussi bien de niveaux sonores que d’ambiances sonores et visuelles; elle construit également la cartographie des deux espaces visités: un espace périurbain et un espace du centre -ville, selon deux modes de collectes différents: le parcours et le zonage. Elle présente ses résultats à l’autre classe de seconde. Enfin la deuxième classe de seconde travaille sur la collecte et la synthèse d’informations cartographiques déjà existantes autour de la pollution sonore de deux autres métropoles: Nantes et Paris. Les résultats de chaque métropole est comparée aux autres. On joue sur les échelles pour montrer des similitudes notamment dans les quartiers de centre-ville, une fois les bruits des infrastructures tourières évacuées

Pourquoi avoir monté ce projet ?

A l’origine de ce projet une longue discussion avec le collègue d’éducation musicale sur le bruit et le son qui nous a donné envie de le monter. Il y a aussi l’implication auprès du groupe de recherche EDD et géomatique de l’IFE-ENS Lyon, où sont mis en avant les nouveaux usages de la cartographie numérique dans le cadre du développement durable. Ensuite la volonté de sortir des études de cas très généralistes (New-York…) déconnectées d’une réalité plus proche, observable et utilisable. J’avais aussi envie d’utiliser des outils mobiles et de définir des usages différents loin des conversations bannies du couloir de classe. Enfin il y a la possibilité de rencontrer et de partager un moment avec un professionnel du relevé sonore au service urbanisme de la ville de Limoges Mr Jérôme Le Crom. Dans tout ce projet il y a l’objectif de ne pas privilégier le visuel très voir trop présent dans les programmes mais plutôt l’écoute et l’auditif.

Quelles connaissances de géographie sont transmises ?

Le projet s’inscrit dans le nouveau programme de géographie de la classe de seconde, notamment le chapitre autour de l’aménagement des villes. L’étude de cas sert de point de départ à la construction de cours autour de notions comme l’étalement urbain, les infrastructures routières, la politique d’aménagement locale, la décroissance urbaine… Cette entrée par le son au travers d’une sortie permet aussi aux élèves d’appréhender la démarche de collectes de données avec les nombreux aléas que cela comporte.

Ce projet a-t-il d’autres dimensions que géographiques ?

Il est fait en étroite collaboration avec le collègue d’éducation musicale M. Marsick, qui ouvre des perspectives sur l’analyse des sons et l’écoute. Il propose des usages différents des outils mobiles comme les téléphones portables intégrés dans un projet scolaire. Il sensibilise les élèves aux problèmes d’écoute de leur environnement et ses conséquences. (On n’obtient jamais un plus grand “silence” que lorsqu’on souhaite enregistrer le bruit)

Comment organisez-vous cela avec les classes ? Par exemple quel lien faites-vous avec le cours ?

Le projet est en lien direct avec le nouveau programme de géographie de seconde. L’organisation se fait en fonction d’un calendrier assez précis pour pouvoir faire communiquer les classes entre elles. Cela permet aussi de ne pas trop déborder dans une programmation assez longue.

Qu’apportent les outils numériques ?

Les outils numériques ont différents statuts mais constitue le ciment des travaux des trois classes aussi bien dans sa dimension numérique (sons, images, vidéos) que cartographique (zonage des niveaux sonores…):

Ils servent à collecter les données.

La cartographie numérique permet de faire un premier bilan, un premier tri des données, accessible à toutes les analyses, sorte de bilan de la sortie.

Elle est aussi outil d’analyse et de synthèse. Ils entrent donc dans toutes les étapes de la construction du cours et de l’analyse.

Les élèves vous ont-ils surpris dans l’utilisation des outils ou dans les échanges ?

Les élèves ont été très surpris et déconcertés par cette approche. Par contre la sortie a permis de mieux appréhender concrètement l’idée du projet et a créer des liens différents avec cette classe.

Quels développements envisagez-vous à ce projet ?

L’étude de la pollution sonore et des milieux sonores par la cartographie offre de nombreuses possibilités de développement, notamment dans le changement de moyens d’observation, en privilégiant l’auditif:

Le prolongement se fera sans doute en seconde, prenant d’autres chapitres de géographie en mettant en avant l’écoute, notamment le chapitre sur l’eau

En 6ème, il est prévu de mettre en place un atelier autour de la perception globale de son environnement (en lien avec les programmes de géographie et d’éducation civique), avec l’usage d’un logiciel KinoMap qui permet de mêler vidéo, cartographie et son. L’objectif est de fournir des relevés de niveaux sonores avec des extraits de bruits synchronisés avec des vidéos aériennes avec un drone

En 5ème, l’atelier numérique se développe autour de la création de paysage sonore dans le cadre local

En 4ème, création d’un jeu vidéo pour sensibiliser aux niveaux sonores.

Dans chacun des cas, une sensibilisation au contexte cultutrel dans lequel nous identifions un son (avec ou sans l’appui de la vue) sera proposé.

La possibilité d’enrichir le propos en travaillant sur l’apport scientifique autour de la notion de paysage sonore (à la croisée de la musicologie, l’urbanisme, l’architecture, la géographie, l’histoire…) en essayant de comprendre l’articulation possible entre relevés sonores et ambiances sonores, de comprendre la place nouvelle des outils numériques dans ces différentes façons d’aborder son environnement autour d’un même espace cartographique.

Entretien François Jarraud