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Par Jeanne-Claire Fumet

On les a vus dans un documentaire étonnant, ces petits élèves de maternelle aux prises avec des notions compliquées comme la mort, la différence, l’amour ou le pouvoir. Leurs enseignantes ne désarment pas : c’est maintenant un Rallye Défi Philo qu’elles ont proposé à toutes les écoles de Seine-et-Marne pour encourager leurs collègues à se lancer dans l’aventure des ateliers de réflexion à visée philosophique. Sélectionné pour être présenté au 4ème Forum des Enseignants Innovants à Lyon les 20 et 21 mai, l’ambitieux projet de Pascaline Dogliani et Isabelle Duflocq, aidées par Jean-Charles Pettier, responsable des fiches Philo de Pomme d’Api, se révèle plein de nouvelles promesses : Isabelle Duflocq nous raconte ses évolutions depuis les premiers pas, au Forum de Rennes en 2008.

Le Rallye Défi Philo, c’est une nouvelle aventure ?

Isabelle Duflocq : C’est plutôt la continuité des ateliers à visée philosophique, que nous avons commencé de manière expérimentale depuis 5 ans. Entre temps, il y a eu la rencontre avec la productrice Cilvy Aupin et l’équipe de tournage, qui nous accompagné pendant deux ans, un livre, et puis les contacts avec différents partenaires, à travers le projet de l’Unesco, notre association avec Philolab…

Les collègues que nous rencontrions avaient envie d’essayer à leur tour, mais n’osaient pas se lancer seuls, tandis que les pionniers du début commençaient à se sentir un peu isolés. Comment mettre du lien entre tous ces enseignants ? Le Rallye nous a semblé la meilleure solution : c’est un outil pédagogique déjà bien rôdé dans d’autres disciplines, on travaille à plusieurs sur le même objet, puis on se réunit et on se lance des défis lors de rencontres. Nous avons lancé le projet en début d’année.

Nous avons contacté tous les collègues que nous connaissions, en leur proposant ce protocole : s’engager pour l’année avec sa classe, s’obliger à des temps de formation, organiser au moins un atelier philo par mois en classe et participer à 2 voire 3 rencontres interclasses dans l’année. Enfin, participer à la rencontre finale qui rassemble tous les participants.

Cette rencontre est vraiment le point fort. Elle a eu lieu début mai, au Château de Vaux le Vicomte, qui nous a ouvert gratuitement le domaine pour accueillir les 720 élèves des 30 classes inscrites pendant deux jours. Nous avions choisi deux thématiques : le Beau, à cause de l’architecture du site, et l’amitié, pour l’inimitié entre Fouquet et Louis XIV.

Avez-vous été soutenues par l’institution dans cette démarche ?

Isabelle Duflocq : Ce premier Rallye a été lancé très vite à la rentrée, nous n’avons pas vraiment eu le temps d’officialiser le dispositif. Mais nous avons rencontré l’IEN de circonscription, qui a accepté de proposer ce projet, dans le cadre des animations pédagogiques de circonscription, à toutes les écoles primaires et maternelles. Tous les enseignants pouvaient s’engager – mais de manière volontaire et bénévole, hors temps de travail et sans prise en charge de frais. Notre partenaire, Bayard Presse, a accepté d’offrir un abonnement Pomme d’Api gratuit, avec les fiches philo de Jean-Charles Pettier qui travaille avec nous, à toutes les classes concernées – ce qui permettait d’avoir un outil de base minimum pour démarrer.

Nous avons fonctionné cette année sur nos deniers et nos heures, mais nous espérons obtenir une prise en charge institutionnelle pour l’an prochain. Les perspectives semblent minces. Il nous faudrait au moins du temps pour les actions de formation. Nous parions beaucoup sur l’auto-formation et les échanges de pratiques, et nous avons créé un blog pour centraliser les commentaires, les informations, les bibliographies, les apports des uns et des autres, mais ce n’est pas encore un outil très familier pour les enseignants.

Le Rallye Défi Philo est bien au point comme outil, il est directement utilisable. Mais se pose le problème de son application : quels formateurs et quel suivi pour assurer son extension ? Nous recevons beaucoup de demandes, d’enseignants comme de collectivités locales, nous ne pouvons pas tout assurer nous-mêmes, il faut trouver des moyens d’organiser ce développement.

Il y a aussi le problème de la reconnaissance de l’activité philosophique pour enfants, qui reste difficile – on nous demande de parler plutôt d’ateliers réflexifs que philosophiques, mais le professeur de philosophie avec qui nous travaillons tient à ce que nous gardions le terme de « philosophie ».

Vous envisagez une structure indépendante en partenariat avec l’institution ?

Isabelle Duflocq : L’Éducation nationale nous y a fortement incité : nous avons décidé de fonder une association, Les enfants de la philo, qui nous permettra de conclure des actions de partenariat, également avec des villes et des collectivités locales – le Conseil Général de l’Oise nous propose déjà un gros projet. Mais la dimension associative nous permet aussi de travailler dans un autre cadre que le cadre scolaire. Nous commençons donc à chercher d’autres partenaires que l’Éducation nationale.

Dans le domaine de la philo pour enfants, il y a d’autres courants qui fonctionnent déjà très bien, comme l’AGSAS par exemple, avec des ressources de formation et une organisation propre et bien implantée. Le Rallye peut tout à fait être repris par des formateurs qui ont déjà des pratiques dans ces domaines. C’est le cas dans le Nord, en Belgique… Ensuite, on peut faire jouer des échanges entre des structures et des publics très différents, qui peuvent être des crèches, des personnes âgées, des maisons de jeunes, etc. Au fond, le projet reste très ouvert ; il s’agit plutôt de favoriser les liens, pas de réaliser nous-mêmes l’ensemble des actions.

Quel a été pour vous l’impact du film Ce n’est qu’un début ?

Isabelle Duflocq : Il a connu un bon succès de film documentaire. Depuis sa sortie en DVD, il est beaucoup employé comme support de formation et d’information, pour montrer ce qui est possible en classe de maternelle. Pour nous, grâce aux débats dans toute la France, il nous a surtout permis d’avoir des lieux et des temps pour parler de notre travail. Maintenant, avec le Rallye, c’est un autre chapitre de notre aventure qui s’ouvre.

En tout cas, notre travail est reconnu et il a trouvé une place dans le débat : on nous convie à donner notre point de vue et à témoigner de notre expérience. On nous a proposé de participer à un groupe de travail de l’INRP sur la proposition de Luc Chatel d’étendre la philosophie en classe de seconde et première. Des professeurs de philo acceptent d’entendre notre expertise ! C’est très nouveau pour nous, et c’est le signe que les choses changent vraiment.

C’est amusant, parce que les vrais débuts de l’aventure ont eu lieu au premier Forum des Enseignants Innovants, à Rennes : nous avions présenté nos premières expériences de philo en maternelle. Depuis, il y a eu le livre, le film, et maintenant la participation au Forum de Lyon qui signe le début d’une toute nouvelle expérience !

Liens :

Le blog de Pascaline Dogliani et Isabelle Duflocq:

http://lesenfantsdelaphilo.blog.free.fr/

L’article du Café sur le livre Apprendre à penser et réfléchir à l’école maternelle

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/10/Troppetitsp[…]

Isabelle Duflocq invitée au Café de pédagogie vivante :

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/lettres/philosoph[…]

L’article du Café sur le film ce n’est qu’un début :

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/lettres/philo[…]