Print Friendly, PDF & Email

Par François Jarraud

Comment faire parvenir l’éducation aux médias dans les classes ? Alors que la grande majorité des adolescents et déjà un pré-ado sur quatre, ont leur page sur Facebook et que toute cette jeunesse baigne dans le flot numérique, la question se pose dans des termes tellement urgents que certains pays, comme l’Angleterre, ont osé l’intégrer dans leurs fondamentaux. Un séminaire national, comme celui organisé le 14 juin par la Dgesco et le Clemi, peut-il faire avancer cette cause ? Probablement pas mais il permet au moins d’envoyer des signaux aux acteurs de terrain et de mutualiser des expériences.

Disciplines et éducation aux médias. Pour Jean-Michel Blanquer, directeur de l’enseignement scolaire, « nous avons besoin d’une mobilisation générale pour l’éducation aux médias ». C’est qu’il y a à la fois « le phénomène sans précédent qui fait apparaître une génération de technophiles, de journalistes citoyens » et la volonté de l’éducation nationale « d’être le lieu où les TIC sont présentes ». L’éducation aux médias est « cette voie transversale qui concerne la vie lycéenne, le socle, les programmes, la démarche de projet ». Cette vision transversale est défendue avec énergie par Catherine Becchetti-Bizot, inspectrice générale de lettres. « Lutter contre la fracture numérique c’est lutter contre la fracture intellectuelle » explique-t-elle avant de préciser que « inscrire l’éducation aux médias dans les disciplines demande un effort particulier de sprofesseurs qui doivent arriver à comprendre en quoi cette éducation peut s’inscrire dans leur discipline ». Pour ele le frein est là : disciplinaire.

Ambitions et moyens : je t’aime moi non plus. Comment structurer l’éducation aux médias dans une académie ? L’homme de la situation c’est le recteur Marois qui, comme recteur de Bordeaux, a lancé une politique ambitieuse qu’il tente de poursuivre aujourd’hui à Créteil. A Bordeaux, le recteur avait pu, avec l’aide du Conseil régional, ouvrir des kiosques Aquitaine dans les CDI de façon à faire découvrir les médias locaux aux lycéens. Mais la vitrine de l’académie c’est Vidéo Bahut, un dispositif qui engage 30 classes qui produisent des reportages pour France 3 Aquitaine. C’est aussi des classes « éducation aux médias », dotées de 36 HSE, où les jeunes travaillent sur les médias en interdisciplinarité. Elles permettent un travail plus long que la Semaine traditionnelle. Malheureusement même les vitrines sont sensibles aux aléas du temps. Et Isabelle martin, coordinatrice académique Clemi en Aquitaine, montre la difficulté à faire vivre le réseau des profs référents éducation aux médias alors qu’ils ne bénéficient pas d’une indemnité comme les autres professeurs référents et que leur formation disparaît… A Créteil, nouveau poste de M. Marois, Elodie Gautier met en avant le remarquable travail de la web radio du lycée Blaise Pascal de Brie Comte Robert. Mais l’académie ne compte que 9 classes Education aux médias.

Quelle culture médiatique pour les enseignants ? La table ronde suivante était encore plus ambitieuse puisqu’il s’agissait de « développer la culture médiatique des enseignants ». Pour Alain Boissinot, recteur de Versailles, il est visiblement temps de faire bouger les choses. Le recteur s’est déclaré favorable à ce que les nouveaux médias soient utilisés dans les épreuves du bac. Mais à condition aussi d’éviter les dérapages. S’il faut « se saisir des nouveaux outils comme un levier qui déplace les pratiques », et si ça ne doit pas être « que le problème des professeurs documentalistes », « il faut éviter l’engouement démagogique envers ces nouveaux outils ». Il a mis en garde contre le « jeunisme » qui sous tend certains recours au numérique. « Jouer la carte des nouveaux médias ne délégitime pas les anciens modes de connaissance… Il faut se poser la question des enjeux de ces nouveaux médias ». A défaut on « peut rater cette opportunité ».

Les partisans de l’éducation aux médias, qui remplissaient la salle, n’auront pas raté l’opportunité de cette première inscription de l’éducation aux médias dans le plan national de formation. Reste, comme l’a fait remarquer France Renucci, du Clemi, à passer de la priorité politique à la visibilité en classe.

Boissinot : « prendre la mesure d’ensemble de tous les déplacements qu’entraîne la généralisation du numérique »

Comment faire passer l’éducation aux médias dans les disciplines. Le point de vue d’Alain Boissinot, recteur de Versailles.

Pour vous, l’éducation aux médias en est où dans les académies ?

A l’occasion de ce séminaire, avec mes collaborateurs de l’académie de Versailles, on a souhaité montrer un angle d’attaque qui me tient à cœur : c’est la réflexion sur les nouveaux médias et le lien de plus en plus fort entre la culture du numérique et le travail traditionnel sur les médias. C’est un caractère de notre académie depuis de nombreuses années et on essaie de défendre une approche pédagogique globale qui permette non pas simplement de dégager un petit espace particulier pour l’éducation aux médias mais de prendre la mesure d’ensemble de tous les déplacements qu’entraine la généralisation du numérique, les nouveaux modes d’accès et de circulation de l’information par rapport aux pratiques pédagogiques traditionnelles. C’est ce sur quoi on travaille et on est heureux d’échanger.

Ca passe par des modifications dans les disciplines ?

Oui, par une prise en compte des nouveaux enjeux dans toutes les disciplines. Par exemple, le français qui est une discipline très intéressée par les nouveaux médias et qui a profondément renouvelé ses modes d’approche avec le programme d’enseignement d’exploration Littérature et société. C’est un très bel exemple de ce qu’on peut faire pour tirer à l’intérieur des enseignements classiques parti de ce que permettent de faire ces nouveaux outils.

Qu’est ce qui peut aider à cette prise en compte ?

On a un problème de généralisation des bonnes pratiques. Il faut que les différentes académies puissent échanger. Et c’est le rôle d’un séminaire national comme aujourd’hui. Il faut aussi qu’on puisse s’adresser à ceux qui sont réticents. On a la en matière de formation des jeunes un enjeu essentiel. Là encore, dans l’académie de Versailles, on essaie d’intégrer cela dans la formation des jeunes enseignants.

Aujourd’hui vous avez dit en même temps « oui à internet au bac » et « attention au jeunisme dans l’utilisation des nouveaux outils ». Vous allez mécontenter tout le monde ?

Quelques fois il faut dire les choses clairement ! Je me méfie de ceux qui refusent en bloc tous les nouveaux outils, qui idéalisent l’école d’autrefois. Ce genre de position nostalgique est un aveu de défaite. Mais en même temps je mets en garde ceux qui seraient dans un enthousiasme par rapport aux nouveaux medias. Ce n’est pas la baguette magique. Ce n’est pas la panacée. Il ne s’agit pas de prétendre avoir trouvé la solution à tous les problèmes. La vérité est entre les deux. Il faut prendre la mesure de tous les changements en train de s’opérer. Mais il faut savoir qu’ils sont problématiques, qu’ils méritent d’être discutés, qu’ils posent des problèmes de valeurs, des questions éducatives de fond. Et c’est ça qui est intéressant.

Propos recueillis par François Jarraud