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Par François Jarraud

A la rentrée 2012, l’enseignement de spécialité Informatique et sciences du numérique sera proposé aux lycéens de la filière générale S. Robert Cabane, chargé de mission ISN, nous explique comment et avec quels objectifs se construit un enseignement nouveau. Des enseignants à trouver, une pédagogie de projet à mettre au point, une ouverture sur les entreprises à encadrer, un enseignement à inventer, le défi se conjugue à plusieurs niveaux. Il ne reste plus qu’un an pour se préparer…

Comment s’est construit l’enseignement de spécialité Informatique et sciences du numérique (ISN) ?

C’est une opération complexe puisqu’il s’agit d’un enseignement tout à fait nouveau, pour lequel il n’y a pas de corps professoral. Il fallait tout créer à partir de rien ce que l’éducation nationale n’avait pas fait depuis la création de l’enseignement de sciences économiques et sociales. Nous avons donc commencé par établir plusieurs partenariats forts : avec l’INRIA pour l’expertise, avec le CNDP pour l’ingénierie documentaire, avec la Suisse pour les compétences en didactique, avec l’association Pasc@line pour le contact avec le monde des entreprises. Et le groupe d’experts (DGESCO), présidé par Pascal Guitton (directeur de la recherche à l’INRIA) a beaucoup consulté avant de produire …

Comment vont être formés les enseignants ?

Le choix a été fait de ne pas créer une nouvelle discipline avec un nouveau corps professoral mais de s’appuyer sur les professeurs d’autres disciplines (STI , maths, physique) en les choisissant selon leurs compétences actuelles ou à venir. Les besoins vont dépendre des ouvertures dans les académies. Mais on table sur 500 à 2000 enseignants à la rentrée 2012.

Il y a l’expérience de l’option informatique. Le nouvel enseignement ISN se situe-t-il dans son héritage ?

Ce n’est pas du tout la même chose. Bien des points du programme de l’option sont devenus carrément obsolètes (20 ans après !). D’autre sont restés intéressants par exemple sur les conséquences sociétales des systèmes numériques interconnectés.

L’ancien programme de l’option c’était souvent des algorithmes enseignés par des professeurs de maths. Il y a des changements avec ISN ?

Nous avons arrêté de lier systématiquement informatique et maths. J’ai pris cette décision de couper le cordon ombilical pour permettre de concevoir un programme. qui donne leur place à tous les professeurs concernés quelle que soit leur discipline de rattachement. On a travaillé avec ceux qui font autorité dans le domaine des sciences du numérique, comme l’INRIA, des universitaires, le groupe des STI. Nous avons aussi beaucoup utilisé les travaux issus de l’expérimentation menée depuis 2008 dans 4 académies en seconde, représentant environ 30 classes. Les professeurs de cette expérimentation ont beaucoup travaillé pour concevoir une pédagogie adaptée et ils nous ont permis d’éprouver nos hypothèses sur le terrain. Enfin on a bénéficié de l’expérience suisse. avec un enseignement des sciences du numérique (Option complémentaire informatique, 2 à 3 heures hebdomadaires pendant 1 ou 2 années en fin de « cycle secondaire 2 ») qui a été très riche d’enseignements pour nous. Avec plusieurs IPR nous avons rencontré des professeurs, auteurs de manuels et responsables dans les cantons de Vaud, de Fribourg et Soleure.

Quand on regarde le programme de l’ISN on a l’impression de relire le programme de l’ancienne option. Il y a de nombreux points communs : algorithme, architecture matérielle, langages. Où sont les changements ?

Déjà dans un souci de mise en activité des élèves, à travers des travaux de groupe. Ensuite par une meilleure prise en compte de l’influence sur la société des systèmes numériques. Enfin par la finalité. Il ne s’agit pas, avec ISN, de préorienter les élèves. Ce n’est pas une enseignement visant la performance.

Comment cet enseignement se mettra-t-il en place ?

Trois académies ont déjà commencé à former des enseignants en anticipation. Il faut vérifier qu’ils soient bien outillés conceptuellement pour pouvoir accompagner les élèves, ce qui est délicat parce que nous travaillons avec des enseignants qui ont des cultures disciplinaires de départ différentes. Nous allons aussi proposer une formation à distance réalisée par l’université de Limoges. A partir de cette base, les académies complèteront en présentiel en mettant l’accent sur la didactique de l’informatique, les compétences pratiques et la pédagogie de projet.

L’association Pasc@line va nous ouvrir l’accès à des entreprises pour des formations mais aussi parce que l’enseignement ISN prévoit que les élèves puissent rencontrer des professionnels du numérique travaillant dans les entreprises locales. L’objectif c’est aussi de présenter les entreprises du numérique aux élèves car ce secteur se plaint de manquer d’informaticiens. Pasc@line donc sera notre interface avec les entreprises.

Enfin nous préparons avec le CNDP, Pasc@line et l’INRIA un site documentaire interactif, « le SIL:O ». Les enseignants y trouveront des ressources pédagogiques, des liens vers des documents externes, un forum et une boite à questions leur permettant d’entrer en contact avec des chercheurs de l’INRIA. Le site ouvrira en septembre 2011 (bien avant l’ISN).

Enfin, en collaboration avec l’INRIA et l’éditeur Springer, nous avons lancé la traduction de l’ouvrage Informatikunterricht planen und durchführen (« Préparer et conduire un cours d’informatique », ISBN 9783540344841) qui est un vade-mecum didactique de l’enseignant du secondaire et du supérieur confronté aux enseignements d’informatique.

Est-il difficile de trouver des enseignants ?

Je vais parfois en avoir trop ! Les chefs d’établissement souhaitent avoir cet enseignement chez eux et nous mettent sous pression pour avoir satisfaction.

Le recrutement ne sortira pas des STI, des maths et de la physique-chimie ?

C’est un choix du ministère. D’une part, parce qu’on a des enseignants surnuméraires en STI et physique-chimie, d’autre part parce que les professeurs de ces disciplines sont couvent plus à l’aise avec l’informatique que leurs collègues. Cela permet de centrer la formation sur les questions didactiques.

Enseigner ISN n’est ce pas une rupture dans les pratiques d’enseignement des professeurs de maths ?

Oui parce qu’on va leur demande de se calmer un peu au niveau du cours magistral et de basculer vers la mise en activité des élèves. C’est une mutation culturelle importante, assurément.

L’ISN sera-t-il évalué au bac ?

Oui mais il n’y aura pas d’épreuve écrite. On prévoit un contrôle en cours de formation (CCF) qui évaluera notamment le degré d’autonomie des élèves. Il sera probablement demandé de réaliser ou d’analyser un système numérique et de présenter leur démarche et leurs résultats face à un jury. Un peu comme un TPE mais qui aurait un programme avec un contenu précis. L’épreuve devrait avoir lieu dans l’établissement scolaire de l’élève.

Notre souci est de ne pas créer plus d’inégalité entre établissements, de ne pas développer une nouvelle filière élitiste. Je veillerai, en particulier, à ce qu’il n’y ait pas de fléchage vers les classes préparatoires.

Robert Cabane

Inspecteur général de mathématiques, chargé de mission Informatique et sciences du numérique.

Propos recueillis par François Jarraud

Liens :

Projet de programme de l’ISN

L’option suisse

Présentation du séminaire de formation national

Les professionnels des TIC mobilisés pour l’Ecole numérique

La question de la culture numérique dépasse celle de la culture informatique