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Par François Jarraud

Comment l’institution Education nationale a-t-elle réagi à l’apparition des TICE ? François Villemonteix le donne à voir de façon très précise dans son étude sur les ATCE, les animateurs TICE du premier degré. Chargés d’accompagner les professeurs des écoles dans leurs usages des TICE, ils sont à la fois pédagogues, formateurs et techniciens. De plus en plus souvent ils sont aussi des relais entre les demandes de l’institution (B2i, évaluations nationales…) et leurs collègues.

Pour analyser cette fonction charnière, François Villemonteix s’appuie sur le dépouillement exhaustif des messages de la liste de discussion des ATICE ainsi que sur une enquête d’opinion menée auprès d’un nombre important d’ATICE. On voit ainsi comment la communauté s’est crée et comment elle cherche à se construire une identité. Les ATICE cherchent aussi à s’assurer un véritable statut. Au final, l’intégration des TICE , si vivement recommandée officiellement par l’institution, ne va pas jusqu’à faire apparaître un véritable corps d’ATICE. La fonction reste à géométrie variable selon les départements, les circonscriptions et les personnalités.

C’est dire que cette étude des ATICE nous apprend beaucoup sur l’intégration des TICE dans le système éducatif français , ou du moins sur ses limites et ses résistances. Comme François Villemonteix nous le confie, « le cas des ATICE montre probablement que l’Éducation nationale a des difficultés pour régler un problème de fond en agissant de manière contingente ».

Entretien avec François Villemonteix

L’ouvrage est consacré aux animateurs TICE du primaire (Atice) mais il va bien au-delà. On sait que les TIC se sont développées dans le système éducatif à l’occasion de plusieurs plans et de programmes officiels. Comment sont nés les atice ?

Au début des années 1980, il y a des initiatives restreintes dans quelques départements (Paris par exemple) conduisant à la mise à disposition d’enseignants « spécialistes » pour conduire des expérimentations informatiques dans le premier degré. C’est le fait de quelques inspecteurs, convaincus du potentiel éducatif et pédagogique qu’offre l’ordinateur à l’école. Puis le corps des ATICE s’est constitué à partir du plan IPT (Informatique pour tous, 1985) grâce au programme de formation ambitieux qui l’a accompagné. Les premiers ATICE ont pour la plupart suivi les formations longues (1 an) proposées à l’époque. Le plan IPT à permis à un ensemble d’enseignants de constituer une force de frappe pour l’Éducation nationale, sur lesquels elle s’est depuis toujours appuyée, quelle que soit la forme et le fond des discours sur l’informatique à l’école dans les textes institutionnels et les dispositifs de développement d’usages mise en œuvre.

Vous dites qu’ils ont « un rapport mythique au terrain ». Que voulez vous dire ?

« Mythique » est un emprunt à Mireille Snoeckx (cas de l’informatique scolaire en Suisse). Elle caractérise le positionnement des intervenants TICE par rapport à leurs collègues où la référence au terrain et aux pratiques de classe constitue le facteur essentiel de légitimité. C’est le cas des ATICE, a fortiori dans le contexte d’une évolution importante de leur rôle initial depuis une dizaine d’années. En fait, les ATICE se positionnent comme des pairs-experts, leurs savoirs étant essentiellement construits sur l’expérience. Leurs propos véhiculent une conception du terrain assez peu distanciée, pour laquelle la légitimité ne vaudrait que par la conservation de la proximité physique et statutaire avec les enseignants au plus près de leur classe.

Mais ils sont progressivement devenus des « auxiliaires de prescription » au vu des missions qui leur ont été progressivement attribuées et des outils qu’ils ont développés, dans le cadre du développement des systèmes d’information (Be1d, évaluations…). Ils constituent des relais de proximité très prisés par les services départementaux, soutenant fortement les équipes sur des sujets qui n’ont rien de pédagogique.

Cette modification du rôle apporte une légitimité institutionnelle et une probable garantie de survie de la fonction d’ATICE : elle permet au système de « tourner », tant que l’expertise technique n’est pas complètement diffusée. Mais en analysant les échanges des ATICE, on voit que cette évolution est peu assumée, les ATICE se sentant éloignés de leur cœur de métier et de ce qui a fondé leur engagement dans ce type de mission : l’innovation, l’expérimentation, l’expertise pédagogique.

Aujourd’hui que font-ils ? S’agit-il de pédagogues ? de techniciens ? de formateurs ? Peut-on parler d’un corps ? d’une communauté ?

Longtemps perçus comme des innovateurs-bricoleurs, les ATICE ont vu certaines de leurs pratiques limitées et ont été progressivement réaffectés à des places précises dans l’organisation, dans un processus « d’institutionnalisation de l’innovation » (Alter, 2003).

L’informatique scolaire dans le premier degré est un champ de pratiques. Les ATICE y occupent une position dominante, garantie notamment par leur compétence technique. Ils gardent la main sur un domaine technicisé. La liste de discussion ATICE y contribue : forum technique de premier plan, réactif et spécialisé (il y a un spécialiste pour chaque chose). Ces compétences techniques s’y sont probablement développées chez les contributeurs et l’une des questions serait d’ailleurs d’interroger leur degré de transférabilité dans le cas d’un changement de position de ces acteurs. Par rapport à d’autres collectifs ou réseaux d’enseignants (second degré essentiellement) utilisant les supports numériques pour communiquer, les ATICE constituent une communauté de pratiques partageant valeurs (rapport à l’informatique, pédagogies actives) et finalités communes (création d’un statut, aide technique). Ce mode de communication leur a permis, depuis la création du B2I, de créer des outils dans un cadre informel mais très collaboratif permettant d’une certains manière de rendre opérationnelle les prescriptions (B2i, Be1d, Evaluations nationales)

Les plans pédagogique et formation constituent le cœur de leur identité projetée (Dubar). Mais ces points sont faiblement discutés sur la liste de diffusion, en tout cas très peu théorisés même s’ils perçoivent l ‘existence de concurrents sur ces terrains : les conseillers pédagogiques de circonscription et départementaux, légitimes pour parler de l’utilisation des TICE quels que soient les domaines disciplinaires. Les évolutions récentes (Pilier 4 du Socle, réduction de la formation continue dans 1er degré aux animations pédagogiques de circonscription 18h) accentuent cette tendance. La forme identitaire des ATICE permet, si l’on suit la théorie de Dubar, de constituer « une forme sociale en émergence, ayant un sens subjectif pour les individus et un caractère opératoire pour les institutions ».

Aujourd’hui, où la tendance est à ramener tous les enseignants devant élèves, que deviennent-ils ? Quel peut-être leur avenir ?

Leur devenir est à l’évidence incertain dans un tel contexte. Par ailleurs, il n’y pas de cadrage national précis de leurs missions ni de leur régime administratif. Les arbitrages sont donc locaux et la crainte d’une remise en cause de leurs postes constitue une permanence dans leurs échanges sur leur liste depuis la fin des années 1990. Aujourd’hui, le rôle d’ATICE est devenu reconfigurable à volonté, localement. Cette flexibilité attendue des ATICE n’a d’ailleurs pas été discutée en 2007 par l’inspection générale de l’éducation nationale. Selon l’IGEN, il convenait de traiter la question du statut des ATICE, non pas en le figeant, mais en rendant la fonction susceptible d’ouvrir vers davantage de mobilité. Le rapport produit à cette époque précise que : « sans créer un quelconque « statut », il faut reconnaître aux personnes ressources TICE des besoins spécifiques (en formation, information, équipement) et des devoirs spécifiques en tant que conseillers à disposition de l’inspecteur de circonscription ou du chef d’établissement. Ce rôle doit être valorisé, par exemple en validant les compétences acquises au plan universitaire […], voire en favorisant leur évolution de carrière ». (1)

Aujourd’hui, compte tenu de l’évolution du système scolaire, l’État considère-t-il encore comme prioritaire de former et d’accompagner les enseignants dans l’appropriation d’un ensemble de techniques qui ne font plus l’objet d’une innovation radicale ? Des systèmes de certification mis en place dans la formation des enseignants (C2i2e), sont censés régler de manière durable le manque de compétences des enseignants. Qu’en sera-t-il alors de l’existence de ce corps de pairs-experts ? S’il ne disparaît pas, il fera probablement l’objet de changements notables.

Traditionnellement quand l’éducation a un problème à régler elle crée un corps spécialisé. On le voit pour l’EPS, ou dans le secondaire avec les CPE. Que nous apprend l’évolution des atice sur l’intégration des tice au primaire ?

Question vaste ! Le cas des ATICE montre probablement que l’Éducation nationale a des difficultés pour régler un problème de fond en agissant de manière contingente. Les réorientations successives du rôle des ATICE au cours des 10 dernières années traduisent une difficulté institutionnelle de clarifier nettement ce que l’on attend du numérique à l’école primaire, (le B2i en étant un bon exemple : certification de compétences sans curriculum spécifique).

L’utilisation des TICE à l’école reste encore modeste et les ATICE en sont les témoins privilégiés. Il y a à cela plusieurs raisons : équipements insuffisants, difficulté de gestion et d’organisation pédagogique dans un contexte instrumenté, manque d’expertise sur les ressources numériques. C’est probablement sur ce dernier point que les ATICE pourraient se mobiliser et proposer une expertise des ressources existantes, pédagogique et didactique auprès des enseignants.

L’accompagnement proximal des enseignants, relevant souvent de l’informel, du suivi de terrain, constitue de notre point de vue l’une des valeurs ajoutées de l’existence de ce corps, ce mode d’accompagnement restant gourmand en moyens. Concernant les ATICE ces moyens ont d’ailleurs assez peu augmenté depuis la fin des années 1990, alors que le numérique est aujourd’hui un élément fort du discours institutionnel.

Cette catégorie mal définie participe-t-elle d’une territorialisation du système éducatif ? d’une privatisation ? d’un manque d’intérêt au final pour les TICE ?

La territorialisation et l’adjonction d’acteurs issus du privé constituent des tendances qu’il vaudra la peine de continuer à observer pour comprendre les changements en cours à l’école élémentaire, en particulier avec le déploiement annoncé des environnements numériques de travail, dont les impacts sur la communication scolaire sont potentiellement très importants.

On peut imaginer que, dans un contexte de décentralisation accrue, les municipalités proposent aux écoles des intervenants correspondant plus ou moins au profil actuel ou aient recours pour les écoles de leur territoires à des offres d’accompagnement privées. A l’inverse, désireux de conserver la main sur le pilotage pédagogique, l’État ne pourrait-il pas envisager de mettre en place un système d’appui aux enseignants sur le terrain sous une forme qui reste à inventer, en confiant notamment de nouvelles missions de service public (par exemple aux CRDP).

François Villemonteix, Informatique scolaire à l’école primaire. Spécifités et devenir du groupe professionnel des animateurs TICE, L’Harmattan, 2011, 338 p.

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Note

(1) Mission d’audit de modernisation : « Rapport sur la contribution des nouvelles technologies à la modernisation du système éducatif ». Rapport conjoint IGF, CGTI, IGEN et IGAENR, Mars 2007. Visible à l’adresse : http://www.audits.performance-publique.gouv.fr/bib_res/664.pdf (Visible en mai 2007)