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Par Monique Royer

L’école dont on rêve est une école qui émancipe, relie, ouvre frontières et œillères. Dans cette école, Monique Argoualc’h figure en bonne place, rêveuse, réfléchie et passeuse à la fois. Nous avons fait sa connaissance au Forum de Roubaix en 2009 avec Intergénér@tions. Monique et sa classe relais ont depuis parcouru du chemin, un chemin multiforme, empruntant les voies du tramway, de la maison de retraite, de la maternelle, de la création vidéo, des réseaux sociaux, bref toutes les voies potentielles d’apprentissage.

De la maison de retraite à la maternelle

« L’école doit servir aussi à apprendre à vivre ensemble ». Cette conviction Monique Argoualc’h l’ancre dans ses pratiques. Au dispositif relais Rive Droite de Brest, elle accueille par groupe de 5 ou 6 des élèves que le système scolaire classique a peine à intégrer. Ils viennent quelques demi-journées par semaine, pendant trois à six mois, poursuivant en parallèle leurs études au collège : une façon de renouer les liens avec l’école plutôt que de les rompre tout à fait. Ces élèves déjà blessés, voire brisés, doivent réapprendre aussi à respecter un cadre, un règlement, mais surtout, source majeure d’un retour vers les apprentissages, reprendre confiance en eux.

En 2003, Monique répond à un appel à projets de la ville de Brest sur le numérique et propose Intergénr@tions, un dialogue sur le mode Internet entre deux générations, deux groupes d’exclus de la vie ordinaire, des personnes âgées et des jeunes en voie de déscolarisation. Les deuxièmes apprennent aux premiers à se servir de l’ordinateur, les aînés donnent les clés aux ados d’un vocabulaire soutenu, ouvrant l’horizon de leur propre expression. Les élèves reçoivent au préalable une formation pour former ce public si particulier aux doigts parfois rigides et aux oreilles un peu fermées. Ils sont encadrés pendant leur atelier par trois adultes. L’expérience est probante, son récit se propage. A son grand étonnement, Monique remporte en 2009 le 1er prix du forum de l’innovation pédagogique de Roubaix.

Au forum de Lyon, elle nous a présenté Bubul, un petit personnage jaune, créé par les élèves du dispositif relais pour sensibiliser les jeunes enfants aux dangers de la vie quotidienne. Dès le départ, une classe maternelle a été associée au projet, choisissant le personnage parmi cinq présentés et lui donnant son nom. Bubul a deux ans et déjà deux films à son actif, des films d’animation qui font leur petit bout de chemin dans les écoles et les maisons de quartier, grâce à l’appui des services de la ville. Pour sa deuxième année, Bubul un peu abîmé a été reconstruit. Là encore, comme à chaque étape de la création du film, les enfants de la classe de maternelle ont été consultés. Une classe de CP a rejoint le projet. Tous donnent leur avis sur les scenarii écrits par les élèves du dispositif relais. Le thème du premier film portait sur les risques domestiques, le deuxième s’intéresse au futur tramway de la ville de Brest.

Faire œuvre utile

Pour bien cibler le message, la classe est allée rencontrer des professionnels et des responsables de la Ville. Ils ont visité un chantier, accompagnant les petits. Ils ont conçu un quizz qu’ils ont mis en ligne pour récupérer des données. Ils ont écrit une chanson interprétée avec les classes associées. Ils ont récupéré les documents et images utilisés par la Ville de Brest pour informer sur le tramway. Ils ont créé les décors encadrés par une plasticienne. Ils ont réalisé le film avec un professionnel. Ils ont communiqué sur leur projet en alimentant le blog et le fil twitter. Ils ont présenté leur film et ont rencontré un franc succès. Le nombre et la variété des activités effectuées par les élèves impressionnent au regard du temps consacré et des présupposées difficultés d’apprentissage et de comportement.

Faire œuvre utile et le faire sérieusement est sans doute une des clés de cette réussite. Les projets ont toujours une visée pédagogique et s’adresse à un public ciblé, les personnes âgées pour Intergénér@tions, les jeunes enfants pour Bubul. Le volet artistique est encadré par des professionnels qui facilitent l’accès à la complexité et veillent à la qualité de la réalisation. Des partenaires institutionnels répondent de façon positive aux sollicitations, relayant l’initiative. Le projet sur le tramway a surpris positivement les services de la ville, les devançant dans leur souhait de mener une campagne pédagogique à destination de la population. Cet écho valorise le travail des élèves et alimente leur confiance retrouvée. Les parents sont aussi associés, informés car leur action est décisive pour que l’intégration au collège soit réussie. La création du blog et du compte twitter vont dans ce sens en offrant la possibilité de regarder de près ce qui se trame au jour le jour. Les élèves qui quittent le dispositif ou participent aux projets en pointillé restent en contact et en lien, gardent la trace de qui se construit en collectif.

Pédagogie de projet

Le succès des projets tient aussi et surtout parce que Monique Argoualc’h ne perd jamais de vue l’objectif premier d’un dispositif relais : permettre aux élèves de retrouver la voie de la normalité, de réintégrer une scolarité classique avec toutes les chances d’y réussir. Le dispositif est une halte de reconstruction où personne ne doit s’y installer, juste s’y reconstruire et avoir envie d’aller plus loin, d’aller ailleurs. Les projets sont là pour favoriser l’intégration en côtoyant des personnes à qui l’on n’aurait jamais parlé spontanément. Un des élèves du dispositif l’exprime fort bien dans une vidéo « Le dispositif relais est une deuxième chance… On se mélange plus facilement avec les gens, les personnes âgées avec Intergener@ations, Bubul avec les enfants ». Mais ce qui est appris ici doit être transférable ailleurs, au collège notamment. Alors, être vigilante sur le projet, Monique y tient pour éviter qu’Intergener@tions soit uniquement un endroit où jeunes et personnes âgées se causent et que Bubul ne soit qu’un objet de com’. Elle s’arme de pédagogie et regarde ce qui peut étayer sa pratique : le socle commun sur lequel elle s’appuie, des lectures et des échanges pour ancrer ses initiatives dans une conception réfléchie et renouvelée. Son sourire et son aisance à parler du dispositif masquent les difficultés d’animer de tels projets. A leur arrivée, les élèves ne sont pas spontanément partants, l’échec scolaire les conduit à une certaine passivité. Travailler dans la durée, avec des contraintes techniques, un cadre strict n’a rien d’évident ni même d’attrayant pour eux. Et l’on comprend alors toute l’importance d’un travail de préparation, d’un étayage pédagogique pour qu’Intergénér@tions et Bubul réussissent et soient source d’apprentissages dans la durée.

Monique Argoualc’h aimerait convaincre ses collègues d’opter pour la pédagogie de projet, d’enseigner autrement pour aussi retrouver un certain goût d’enseigner. Et quand on lui rétorque que pour elle c’est plus facile puisqu’elle n’a pas de programme à respecter, elle songe à ces profs rencontrés au Forum des enseignants innovants ou ailleurs qui développent des projets avec leur classe ; quelque soit la classe et la discipline.

Le projet qu’elle souhaite mettre en œuvre l’année prochaine se dessine: intégrer un projet de plateforme subventionné par la région Bretagne pour créer de petites vidéos et les mettre en ligne. A ce projet seront associés les personnes âgées du projet Intergénér@tions et les classes de maternelle et de CP du projet Bubul. Tous ont assisté à la naissance de Bubul, des personnes âgées sont venues à la projection du film, heureux de voir ce que leurs jeunes « prof d’Internet » avaient produit.

Le dispositif relais « Rive Droite » de Brest sous la houlette de Monique Argoualc’h nous offrira alors de nouvelles réalisations pour une jolie façon de tisser des liens entre des générations, de donner des ailes pour apprendre à ceux qui en ont perdu le goût.

Le site du dispositif

http://www.drrivedroite.infini.fr