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Par François Jarraud

Pour Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp, le premier syndicat des enseignants du primaire, la rentrée 2011 est sur de nombreux points « inacceptable ».  » Il faut donner à l’école primaire les mêmes moyens que dans les autres pays de l’OCDE », nous explique-t-il dans un entretien accordé au Café. Ce refus s’appuie sur les résultats d’un copieux dossier d’information sur l’état de l’école primaire et sur un sondage d’opinion.

Cinq chiffres résument le dossier. 8 300 élèves en plus cette année au primaire malgré la baisse du taux de scolarisation à 2 ans (qui ne concerne plus que 15 % des enfants contre 26% en 2005). 8 967 postes d’enseignants disparaissent à la rentrée et 1 500 classes ferment. Le Snuipp dénonce donc la mise à mal des professeurs qui apportent un soutien spécifique à l’école, à commencer par les enseignants spécialisés des Rased : 600 postes supprimés, soit 30 000 enfants privés de leurs soins. Enfin, dans 27 départements, les nouveaux enseignants vont aller directement en classe, passant d’un master à un CP ou une grande section de maternelle, sans accompagnement.

Qu’en pensent les Français ? Selon le sondage du Snuipp, ils condamnent majoritairement la politique gouvernementale. 82% des français sont hostiles aux suppressions de postes, 62% veulent réduire le nombre d’élèves par classe. 50% considèrent l’école comme une priorité, juste derrière l’emploi. 73% trouvent que l’école maternelle fonctionne bien et 62% l’élémentaire. On mesure le chemin à parcourir par Luc Chatel pour convaincre l’opinion du bien fondé de sa politique. Il y réussit sur un point : les français veulent aussi d’autorité à l’école. Sébastien Sihr réagit à cette apparente contradiction.

L’été se termine par un krach boursier. Pensez-vous qu’il aura un impact sur l’Ecole ?

L’école vit un plan d’austérité depuis plusieurs années. Elle est déjà touchée par le plan de rigueur du gouvernement. J’ai interpelé cet été le gouvernement pour lui signifier qu’il est hors de question que l’éducation soit à nouveau dans l’œil du cyclone. Le tour de vis budgétaire ne doit pas concerner l’Ecole. Elle a déjà payé un lourd tribut.

Mais elle sera forcément concernée car la situation de crise se répercute sur la situation sociale et touche donc les salariés les plus fragiles. Ce ne sera pas sans conséquences pour les enfants. Quand on connaît déjà la singularité de notre système éducatif, sa dimension inégalitaire, l’importance du nombre d’élèves en grande difficulté, il est clair qu’on aura davantage à affronter ce défi. Cela renvoie à la nécessité de faire évoluer l’école pour qu’elle soit davantage pensée pour les 15% d’élèves en difficulté souvent issus des milieux défavorisés.

La rigueur n’est pas une nouveauté de la rentrée. Qu’est ce qui change réellement cette année ?

L’école vit un tournant historique avec une baisse du nombre d’enseignants devant élèves. Cette année, il y a 8 300 élèves en plus et 8 967 enseignants en moins ! Forcément cela a un effet mécanique sur le nombre d’élèves en classe. Ce décrochage se traduit aussi par la fermeture de 1 500 classes. Et cela ne passe pas inaperçu. Les parents, les élus de l’AMF, l’AMRF, se sont mobilisés avec le Snuipp contre cela. On assiste aussi à une attaque continue contre les enseignants spécialisés des Rased. 600 postes disparaissent à cette rentrée. Pour nous cela veut dire que 30 000 enfants ne recevront pas l’aide spécialisée dont ils ont besoin. C’est inacceptable. On a aussi des inquiétudes sur le prochain budget. Nicolas Sarkozy a promis de ne pas fermer davantage de classes en 2012 tout en continuant à supprimer des postes. On voit bien que l’on va s’attaquer aux enseignants hors classes. Et les Rased semblent être la première cible…

Pour cette rentrée, où ont été faites les suppressions d’emplois ?

Il y a les 1 500 classes supprimées, deux tiers en élémentaire et un tiers en maternelle. La scolarisation à moins de tris ans continue à être une variable d’ajustement là où c’est encore possible. On est passé d’un taux de scolarisation de 35 à 14%. Mais il y aussi les suppressions de postes d’intervenants en langues vivantes. 5 600 postes de remplaçants disparaissent aussi. Et puis les soutiens TIC, les enseignants en soutien dans l’éducation prioritaire…

La dernière rentrée a été marquée par la question de la formation des nouveaux enseignants. Quelle évolution cette année ?

Le ministre n’a pas tiré les enseignements de ce qui s’est passé l’an dernier. L’enquête du Snuipp auprès des stagiaires avait montré qu’ils rencontraient trois types de difficulté : une charge de travail trop importante, un manque de préparation, un retour en formation insuffisant. Sur ces trois points il n’y a pas de progrès. Pire, les conditions d’entrée dans le métier se sont dégradées. L’an dernier les stagiaires étaient en doublette tout l’automne. Cette année ce n’est plus possible. En général ils ne sont plus accompagnés que la première semaine. Dans 27 départements les stagiaires rentrent carrément seuls dans leur classe ! Le Snuipp a envoyé un courrier le 25 août pour interpeller le ministre à ce sujet.

Les stagiaires ont droit à un tiers temps de formation, soit 12 semaines. Or dans 15 départements il ne leur est pas proposé. On voit donc que le dispositif s’est aggravé et pourquoi nous demandons au ministre d’intervenir auprès des recteurs.

La formation en alternance des nouveaux enseignants est-elle une solution ?

Intégrer cette formation durant le master c’est reconnaître sa nécessité. Et c’est bien. Mais la logique qui semble mise en place n’est pas dans l’intérêt de la formation. Il s’agit plutôt de trouver des remplaçants !

Un mouvement de grève semble se dessiner chez les directeurs. Le Snuipp va-t-il s’y associer ?

La situation des directeurs est vraiment critique car leurs aides administratives ne sont pas renouvelées. Cela génère une situation explosive. En juin dernier nous avons déjà écrit à Luc Chatel à ce sujet. Nous appelons les directeurs à donner la priorité aux démarches qui concernent les élèves et les familles. Pour le reste on les invite à répondre qu’ils le traiteront que quand ils auront le temps. Cela peut concerner les enquêtes etc. mais aussi les évaluations nationales.

Tout cela montre qu’il faut ouvrir le dossier des directions d’école. L’aide administrative ne peut se contenter de salariés en contrat précaire. Certaines écoles ont plus d’élèves que des collèges. On ne voit pas pourquoi elles n’ont pas les mêmes moyens.

Sur ce terrain les EPEP (établissements publics de l’enseignement primaire) pourraient être une solution ?

L’EPEP c’est un statut. Cela ne règle pas le problème des moyens. Si un changement de statut suffisait pour faire fonctionner les écoles et réussir les élèves ça se saurait…

Le Snuipp publie un sondage d’opinion qui montre à la fois l’intérêt des parents pour l’école mais aussi une certaine perméabilité aux thèmes gouvernementaux. Quelle lecture en faites vous ?

Le sondage dit d’abord la confiance des parents envers l’école. Et cela c’est le fruit du travail des enseignants au quotidien. Il montre aussi les inquiétudes et les fortes attentes des parents. Ils sont préoccupés par les questions d’éducation et très critiques envers la politique gouvernementale. Très clairement, les Français ne sont pas convaincus par les mesures mises en place depuis 4 ans. Ils demandent des changements. Ils sont partagés entre leurs inquiétudes sur les conditions d’apprentissage (le travail en petits groupes, les effectifs par classe) et les aspects d’autorité. Ils attendent de l’école qu’elle travaille la socialisation, la citoyenneté. Cette demande n’est pas pour moi une attente conservatrice mais plutôt une demande pour que l’épanouissement, le bien être de l’élève et le bien apprendre soient mieux pris en compte. On ne doit pas opposer les apprentissages et l’épanouissement de l’enfant. Ce sont les deux faces de la même pièce. Et l’école doit progresser sur ces deux voies. Elle est encore trop dans la compétition. L’épanouissement n’empêche pas les apprentissages. On a connu sous Darcos un mouvement de balancier qui s’exprimait par exemple à propos de l’école maternelle tantôt comme une garderie (les fameuses couches) tantôt comme une école élémentaire. Il faut maintenant de la stabilité et une école qui serve à la fois l’épanouissement et les apprentissages. Ils vont de pair.

C’est pour cela que le Snuipp veut mettre en avant trois axes pour cette rentrée.

D’abord le travail en équipe. Il permet de travailler plus sereinement et de limiter la solitude des enseignants. Chatel est allé en Finlande. Il a vu que les enseignants avaient trois heures de concertation hebdomadaires. Il est temps de l’appliquer ici…

Il faut aussi plus de maîtres que de classes. C’est la solution pour s’adapter aux situations pédagogiques, intervenir à plusieurs ouvrir le champ des possibles. C’est particulièrement nécessaire dans les écoles où il y a beaucoup d’élèves en difficulté.

Le troisième axe c’est la formation des enseignants. Là aussi Chatel est allée en Finlande. Il a vu qu’ils ont mis le paquet sur ce point. Il est temps de reconstruire la formation professionnelle des enseignants. Voilà un chantier où on peut suivre l’exemple finlandais.

Ces objectifs sont-ils réalistes dans la situation économique actuelle ?

Tout est question de choix. Pour nous il faut un plan de rattrapage pour l’école primaire. Comme l’ont montré nombre de rapports (Cour des comptes, CAS etc.), il y a un sous investissement depuis une dizaine d’années. Il faut donner à l’école primaire les mêmes moyens que dans les autres pays de l’OCDE.

Liens :

Le dossier de presse du Snuipp

Le sondage