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Quelle Ecole pour 2012 ? Le premier tour des primaires citoyennes aura lieu le 9 octobre. Elles désigneront le candidat qui portera les couleurs de la gauche socialiste et radicale aux présidentielles. Le Café pédagogique ne pouvait pas ne pas saisir l’occasion d’interroger les candidats sur leur vision de l’Ecole. Nous avons contacté les principaux de ces candidats. Tous ne nous ont pas encore répondu. Arnaud Montebourg l’a fait. Voici sa vision de l’Ecole.

La situation économique ne cesse de se dégrader. Dans cette situation est-il encore possible de dégager des moyens supplémentaires pour l’Ecole ? Ou partagez-vous l’idée que le pays fait un très grand effort pour l’Ecole et qu’il est mal récompensé en retour ?

La question des moyens est importante, mais elle n’est pas première. Il faut d’abord débattre du projet : des moyens oui, mais pour quoi faire ? Nous y reviendrons. Cependant j’observe que notre pays a vu ses dépenses éducatives régresser de 7,6 % à 6,6 % du PIB entre 1997 et 2008 et que près de 80 000 postes ont été supprimés en 5 ans. Nos voisins européens n’ont pas connus de telles saignées ! Cependant, on ne peut se contenter d’un constat aussi global. Notre système est injuste, inégalitaire et fonctionne mal. Notre enseignement secondaire est plutôt bien loti dans les comparaisons internationales, alors que notre école primaire et nos universités sont à la traîne des pays développés. Sans parler du coût de l’échec scolaire, des redoublements et des inégalités internes : par exemple un étudiant de classe préparatoire coûte 2 fois plus qu’un étudiant de licence.

Une école plus juste et plus performante nécessite davantage de moyens mais aussi des moyens plus justement répartis. Pour financer certaines mesures phares de mon projet tel que la mise en place d’un quart du temps scolaire en groupes à effectifs réduits et de l’aide aux devoirs au sein de l’établissement ou encore l’augmentation du nombre d’inspecteurs afin de mieux soutenir les enseignants ou la prise en compte du temps de concertation dans les ORS des enseignants, il sera nécessaire de revenir sur la suppression des postes.

Les travaux de l’OCDE montrent que les salaires des enseignants ont relativement diminué depuis 1995 et qu’ils sont bas par rapport aux pays voisins. Là aussi qu’est-ce qui peut être fait ? Avec quelles exigences en retour ? Comment rendre le métier à nouveau attractif ?

Jusqu’à la réforme de la mastérisation notre pays n’avait pas de problème de recrutement, le métier d’enseignant attirait chaque année des cohortes d’étudiants que la plupart de nos voisins, qui connaissaient déjà une pénurie, nous enviaient. C’est sans doute là une des raisons pour lesquelles ces pays ont dû revaloriser les carrières des enseignants alors que nous ne l’avons pas fait, ou pas sérieusement fait. Nous voilà donc confrontés à cette nécessité, ne serait-ce que du fait de l’impéritie de gouvernants irresponsables, qui ont mis en oeuvre une réforme bâclée, uniquement préoccupés qu’ils étaient par les économies budgétaires escomptées de la suppression des 17 000 postes de stagiaires de la seconde année d’IUFM. Qu’en supprimant ces postes ils suppriment aussi toute formation professionnelle initiale ne les a pas émus outre mesure !

Il nous faudra augmenter le salaire des enseignants, mais l’attrait du métier ne se réduit pas au seul aspect économique. Il faut aussi que les enseignants retrouvent du sens à ce qu’ils font, à leurs efforts, à leur dévouement. La revalorisation financière doit être liée à une revalorisation morale, culturelle, politique du métier. Une école à la fois plus juste et plus performante : c’est tout le sens de mon projet.

Depuis 2003 la droite a promis une seconde carrière aux enseignants tout en supprimant sur le terrain toute possibilité pour les enseignants qui le souhaitent de démarrer un nouveau métier même à l’intérieur de l’éducation nationale (Rased, mises à disposition etc.). Pourtant les attentes sont bien là. Que comptez-vous faire ?

Enseigner est un métier très prenant, objectivement générateur de fatigue et de tension et qui nécessite beaucoup d’investissement personnel, y compris affectif. Il faut pouvoir l’assouplir, en diversifiant les activités, les missions et les fonctions des professeurs, non seulement au cours d’une carrière, mais aussi d’une année à l’autre. Chacun, s’il le souhaite, doit pouvoir prendre pour un temps une responsabilité collective au sein de son école, de son collège ou de son lycée, et en recevoir une juste rétribution, sous une forme ou une autre. Dans « Mon projet pour l’école », je propose la mise en place de nouvelles fonctions au sein des établissements : coordinateurs de niveau, coordinateurs de disciplines et maître formateurs dans le second degré. Je propose également d’augmenter le nombre d’inspecteurs qui est actuellement ridiculement bas (6 000 inspecteurs pour 840 000 enseignants). Toutes ces nouvelles fonctions constitueront autant de perspectives nouvelles de carrière pour les enseignants.

Chacun doit aussi pouvoir bénéficier d’une formation continue attractive, débouchant sur une validation d’acquis, au même titre que l’expérience professionnelle proprement dite, pour évoluer, s’améliorer, changer de niveau ou accéder à de nouvelles fonctions.

Le débat sur le temps de travail des élèves est lancé. Les décisions auraient forcément un impact sur les enseignants et les collectivités locales. On parle de la semaine de 5 jours au primaire, de 38 semaines travaillées pour le primaire et le secondaire. Qu’est-ce qui peut être fait facilement à vos yeux ? Quelles mesures souhaitez-vous prendre ?

Je compte modifier la journée et le calendrier scolaire. En France, nous avons par exemple en fin de primaire le plus grand nombre d’heures de cours par an d’Europe (970 heures), dans le plus petit nombre de jours d’école par an d’Europe (144 jours), ce qui fait que nos enfants ont les journées les plus concentrées. Cela est contre productif et nos enfants sont mal et stressés. Il vaut mieux respecter les rythmes biologiques des enfants.

Il faudra donc d’abord repenser la journée, en allégeant le temps d’apprentissage des fondamentaux, et aussi en répartissant mieux les activités culturelles, artistiques et sportives. La semaine ensuite sera de 5 jours, et l’année enfin sera allongée de deux semaines en réduisant la durée des vacances estivales.

Il faudra d’autre part donner à tous les élèves un accès égal, public et gratuit à l’aide aux devoirs. La situation actuelle de recours massif à des officines privées, financées par l’Etat par le biais d’une niche fiscale, est proprement scandaleuse et ne peut plus durer. C’est pourquoi je généraliserai les études en petits groupes, en les rendant obligatoires. Elles seront encadrées par des professeurs et par des étudiants, et les parents seront associés à leur organisation et à leur fonctionnement et se dérouleront en fin de journée, après les activités culturelles, artistiques et de découverte du patrimoine artisanal et technologique.

Certains courants expliquent que l’amélioration des performances du système éducatif passe par une autonomie plus grande des établissements. Partagez-vous cette analyse et pourquoi ?

Plutôt que d’autonomie, un terme galvaudé dont on ne sait plus très bien ce qu’il recouvre, je préfère parler de responsabilité. Oui, il faut confier de vraies responsabilités aux acteurs de terrain, enseignants dans leur classe et pour la réussite de leurs élèves, personnels de direction pour organiser un travail collectif et orienter la politique de l’établissement vers la réussite de tous les élèves, associer les familles à l’effort éducatif ; et aussi représentants locaux de l’Etat et des collectivités territoriales qui doivent être garants à la fois des valeurs communes, du bon usage des ressources et de la régulation d’ensemble. A la fois des responsabilités réelles et mieux partagées sur le terrain et un pilotage d’ensemble plus ferme et plus uni au service d’un intérêt général retrouvé.

Depuis plusieurs années, le ministère prône l’individualisation et l’accompagnement personnalisé des élèves en difficulté. Pensez-vous que ce soit une priorité ? Pourquoi ?

On voit bien combien tous ces mots d’ordre autour de « l’individualisation » ou de la « personnalisation » doivent à l’air du temps néolibéral ! L’Ecole ne serait plus au service de la nation, mais devrait se mettre au service des intérêts des familles et des aspirations des individus ! Individus qui revendiquent toujours plus de possibilités de « choix », d’options et d’enseignement « à la carte » possibles. L’argent public devrait donc être mis au service des aspirations et des intérêts particuliers !

Mais l’Ecole est un bien public. C’est grâce à elle que l’intégration sociale et culturelle s’opère au sein d’une nation française riche de ses différences de croyances et d’origines, et pourtant unie dans son histoire et son destin.

Je suis en revanche favorable à la différenciation pédagogique, car si les classes sont ou redeviennent scolairement mixtes – et elles doivent l’être ou le redevenir, l’Etat doit le promouvoir et y veiller !- les professeurs doivent pouvoir y mettre en place des méthodes et des dispositifs adaptés pour précisément tenir compte de cette diversité de niveau et l’utiliser de manière positive ; dans un esprit de fraternité et de solidarité entre les élèves. Les « forts » doivent entraîner les faibles, c’est ainsi que fonctionnent les systèmes éducatifs performants : la mixité scolaire entraîne l’équité des résultats et donc la performance de l’ensemble. J’ajoute : et des élites plus nombreuses et plus diverses.

Le débat sur les « compétences » et l’évaluation des élèves est très fort depuis quelques années, dans les pays de l’OCDE. Il semble que ces notions fassent débat chez les enseignants. Comment pensez-vous que le système éducatif français puisse dépasser l’apparent antagonisme entre programmes et socle commun, entre évaluation par compétence et examens nationaux (brevet, bac…)

Ce débat peut être parfois un peu technique et je ne voudrais pas trop m’y avancer. Certes il faut que la politique prenne toute sa place en matière éducative, mais il y a aussi de la place pour l’expertise. Ce que j’observe néanmoins c’est que le socle commun semble poursuivre à la fois 2 objectifs très différents : d’une part revenir sur la coupure tragique opérée en 1975 entre l’école et le collège unifié, et d’autre part introduire en France l’approche par compétences. N’est-ce pas un peu trop charger la barque ?

De quoi on besoin les élèves et les enseignants ? D’une évaluation qui mesure les progrès et les difficultés de chacun à progresser. Il faut clairement leur confier cette responsabilité, individuellement et collectivement. De quoi a besoin de son côté l’Etat pour gouverner et réguler le système, répartir les moyens, engager des améliorations d’ensemble ? D’évaluation des entités éducatives et d’évaluation des performances des élèves, dans une perspective comparative dans le temps et dans l’espace. Ces évaluations doivent se faire sur des échantillons et avec des protocoles très rigoureux, et ne doivent pas perturber l’ensemble des classes ni prendre la place des maîtres dans l’évaluation de leurs élèves.

Comment voyez-vous la place des nouvelles technologies dans la formation scolaire des élèves ? Quelque chose d’aussi important que le lire-écrire-compter ? Un gadget sans prétention culturelle ? Une question d’équipement ?

Je veux faire le pari de l’école numérique. Comme toute innovation culturelle, celle-ci nécessite un apprentissage, à la fois pour savoir utiliser ses potentialités et pour prémunir de ses dérives et de ses dangers. Je promeus donc l’idée d’une classe comportant trois espaces : un espace frontal face au tableau et permettant des activités collectives, un espace « papier crayon » pour les activités individuelles ou en petit groupe, et un espace « ordinateurs » comportant une dizaine de machines reliées à un espace numérique de travail interne et à Internet. L’enseignant pourra ainsi combiner trois modes de pensée. Le dialectique via l’espace « tableau », le littéracié via l’espace « papier/crayon » et un mode de pensée en devenir qu’induit l’usage du numérique via l’espace qui lui est réservé. Ce réaménagement de l’espace classe permettra la pédagogie différenciée et le travail en ateliers. Je propose également de généraliser l’usage du livre numérique qui a un moindre coût et représentera un allégement conséquent des cartables !

Le système éducatif français a une particularité unique : c’est l’enchevêtrement des compétences entre Etat et collectivités territoriales. Pensez-vous clarifier cela ? Comment lutter contre les disparités territoriales ?

Sujet délicat s’il en est ! Je remarque que le législateur de 1982 à trouvé plus commode, en tout cas moins risqué !, de saupoudrer les responsabilités entre l’Etat (chargé du supérieur), les régions auxquelles on a confié les lycées, les départements qui ont reçu la charge des collèges et les communes qui ont conservé les écoles dans leur giron. Maintenant qu’il s’agirait de trouver un chef de file, des responsabilités communes, une compétence d’ensemble, à tout le moins pour « l’école commune » rassemblant l’école primaire et le collège, réforme décisive pour rendre l’Ecole plus juste et plus performante, on mesure la difficulté supplémentaire : chacun risque demain de se crisper sur ses prérogatives au détriment de l’intérêt général. Il faudra donc clarifier, casser les cloisons et choisir.

Comment voyez-vous l’avenir de l’enseignement agricole dans le système éducatif ? Doit-il garder ses spécificités y compris son rattachement à un autre ministère que l’éducation nationale ?

L’enseignement agricole obtient d’excellents résultats depuis qu’il a été rénové par Michel Rocard en 1975 ! Il contribue pleinement, à sa place, avec son histoire et ses particularités, à l’intérêt général. Notamment par son rôle de « réparation scolaire » auprès de jeunes en échec au collège. Je ne vois pas l’intérêt de changer un dispositif qui rend de tels services à la nation.

En revanche, il faudrait revoir le rôle de l’enseignement privé sous contrat, qui bénéficie d’un financement public quasi exclusif mais qui ne partage pas totalement la charge commune. C’est pourquoi je propose de revoir et de compléter les contrats actuels –tout en conservant le caractère propre des établissements privés- afin de mieux repartir l’accueil des élèves entre les deux grandes composantes du système éducatif.

Depuis 2008 vous présidez le conseil général de Saône et Loire. Quelle décision souhaitez-vous qu’on retienne à propos de votre politique en faveur des collèges de ce département ?

La gratuité des transports scolaires pour les collégiens du département de Saône et Loire. Malgré une conjoncture financière particulièrement délicate le Conseil général de Saône et Loire a décidé depuis 2008 de maintenir la gratuité des transports scolaires pour les collégiens. Au cours de l’année scolaire 2011-2012, 16 000 élèves demi-pensionnaires pourront se rendre à leur collège et revenir à leur domicile grâce à 315 circuits sur lesquels les autocars vont parcourir 3 millions de km. Cette mesure représente un coût de plus de 900 euros par élèves et un coût total de 15 millions d’euros. Elle contribue très largement à améliorer le pouvoir d’achat des familles et plus particulièrement de celles où plusieurs enfants sont scolarisés en collège. Année après année, l’opposition de droite vote systématiquement contre cette mesure de gratuité des transports scolaires.

Le site de campagne d’Arnaud Montebourg

http://www.arnaudmontebourg2012.fr/

Le site des primaires

http://www.lesprimairescitoyennes.fr/