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Quelle Ecole pour 2012 ? Le premier tour des primaires citoyennes aura lieu le 9 octobre. Elles désigneront le candidat qui portera les couleurs de la gauche socialiste et radicale aux présidentielles. Le Café pédagogique ne pouvait pas ne pas saisir l’occasion d’interroger les candidats sur leur vision de l’Ecole. Nous avons contacté les principaux de ces candidats. Après Arnaud Montebourg, Martine Aubry répond à nos questions.

« Il faut assumer que nous investirons davantage », nous confie Martine Aubry. « Il faudra notamment arrêter immédiatement de supprimer des postes et procéder à des recrutements d’enseignants » avec un effort particulier vers le primaire et l’éducation prioritaire avec par exemple un enseignant supplémentaire dans la classe, là où cela est nécessaire. Il faut aussi « revaloriser le métier d’enseignant si discrédité » et « adapter les missions à l’école d’aujourd’hui » : c’est « un nouveau contrat » passé avec les enseignants. Cela inclut une hausse des salaires mais aussi par un effort de formation. Un exemple : l’allongement de l’année scolaire en échange d’une rémunération. Martine Aubry veut aussi établir une « nouvelle sectorisation ».

La situation économique ne cesse de se dégrader. Dans cette situation est-il encore possible de dégager des moyens supplémentaires pour l’Ecole ? Ou partagez-vous l’idée que le pays fait un très grand effort pour l’Ecole et qu’il est mal récompensé en retour ?

J’ai une très grande ambition pour l’Ecole, que la droite a tant abîmée depuis 5 ans. Je veux refonder notre système éducatif aujourd’hui en crise, retrouver l’école de la République, celle qui instruit les élèves, leur transmet des savoirs, des compétences et des valeurs, contribue à leur insertion citoyenne, sociale et professionnelle. Il faut fixer un cap et des priorités pour rendre notre école à la fois plus égalitaire et plus efficace.

Avec la saignée que connaît aujourd’hui l’éducation nationale – 80 000 postes en moins sur la mandature, on ne peut pas laisser dire que notre pays fait un « très grand effort » pour son école. Justifier, comme le fait le ministre de l’éducation nationale, les suppressions de postes par la situation d’il y a vingt ans est totalement absurde ! La réalité, c’est que la part de l’éducation dans le budget de l’Etat ne cesse de décroître, et cela a évidemment des conséquences sur la qualité de l’offre éducative. Ce sont les élèves et les territoires les plus fragiles qui en font les frais, et cela, je ne l’accepte pas.

Il faut être clair : je ne crois pas que l’on puisse réformer l’école à moyens constants et il faut assumer que nous investirons davantage qu’aujourd’hui dans les secteurs qui préparent notre avenir. Il faudra notamment arrêter immédiatement de supprimer des postes, et procéder à des recrutements d’enseignants et d’autres professionnels supplémentaires. Il y a des redéploiements possibles, et même indispensables. Si on veut qu’ils soient efficaces, les moyens nouveaux devront aller là où c’est réellement prioritaire : il faut mieux doter l’école primaire dont toutes les études et comparaisons internationales nous disent qu’elle est le parent pauvre de notre système, pour que tous les enfants maîtrisent les savoirs et les compétences fondamentales – la lecture, l’écriture, le calcul – en étant familiers de l’informatique et de l’anglais. Il faut relancer l’éducation prioritaire en ciblant davantage les moyens, pour que partout sur le territoire, les élèves aient une chance réelle de réussir à l’école. Aujourd’hui, être en Zep ne garantit même plus un nombre réduit d’élèves par classe ! Mais il faudra aussi des moyens pour rétablir une vraie formation professionnelle des enseignants, ainsi que pour revaloriser leur métier et leurs salaires.

Les travaux de l’OCDE montrent que les salaires des enseignants ont relativement diminué depuis 1995 et qu’ils sont bas par rapport aux pays voisins. Là aussi qu’est-ce qui peut être fait ? Avec quelles exigences en retour ? Comment rendre le métier à nouveau attractif ?

On ne peut pas à la fois vouloir que la France soit une grande nation éducative et accepter d’avoir des enseignants parmi les plus mal payés et les moins reconnus d’Europe. Ce n’est pas un hasard si le nombre de candidats aux concours de recrutement s’effondre. Il faut que les meilleurs étudiants retrouvent l’envie et la vocation d’enseigner. Pour cela, je veux à la fois – je m’y engage – revaloriser le métier d’enseignant si discrédité, si méprisé par le pouvoir depuis des années, et aussi adapter les missions à l’école d’aujourd’hui. Il faut redonner du sens au métier, favoriser le travail en équipe et l’autonomie pédagogique, donner le temps aux enseignants de suivre chaque élève, de recevoir les familles…

La revalorisation, cela passe évidemment par les salaires – il faudra, je le dis, les augmenter – mais pas uniquement. La première des revalorisations, c’est de redire – après le désastre de la masterisation telle qu’imposée par le gouvernement– qu’être enseignant est un métier qui s’apprend, tout au long de carrière. La réforme que je conduirai reposera sur trois principes : une formation équilibrée entre les savoirs disciplinaires et la formation professionnelle, un concours plus tôt et une entrée progressive dans le métier.

Valoriser, c’est aussi faire confiance. Je veux redonner aux enseignants du pouvoir d’agir. Il faudra leur donner du temps, pour qu’enfin ils puissent se concerter et travailler en équipe, du temps pour accompagner leurs élèves individuellement. Les besoins ne sont d’ailleurs pas les même partout et certains ont encore davantage besoin de ce temps de travail en équipe : dans les zones d’éducation prioritaire, par exemple je souhaite que les enseignants aient moins d’heures devant leurs classes pour pouvoir s’y consacrer.

Valoriser enfin, c’est considérer les enseignants comme de véritables concepteurs de leur métier. L’école de demain ne se construira ni sans ni contre eux. C’est pour cela que je souhaite engager avec eux dès maintenant une large concertation pour élaborer ensemble un nouveau contrat, et être prêts, dès la rentrée 2012.

Depuis 2003 la droite a promis une seconde carrière aux enseignants tout en supprimant sur le terrain toute possibilité pour les enseignants qui le souhaitent de démarrer un nouveau métier même à l’intérieur de l’éducation nationale (Rased, mises à disposition etc.). Pourtant les attentes sont bien là. Que comptez-vous faire ?

La mobilité, cela participe aussi de la revalorisation. Je souhaite permettre aux enseignants d’avoir une réelle carrière dans et pourquoi pas hors de l’Education nationale. La première condition c’est de retrouver de la souplesse. Si, comme actuellement, on diminue le nombre de postes au lieu de les augmenter, non seulement les mutations deviennent très difficiles – ce qui occasionne parfois de véritables souffrances, lorsque par exemple, les familles sont séparées – mais les enseignants en postes peuvent difficilement être remplacés, ce qui réduit leurs possibilités de formation à la portion congrue Or, il ne peut pas y avoir de mobilité sans formation continue, tout au long de la carrière – formation qu’il faudra également, avec la formation initiale, relancer et rénover. La deuxième condition, comme vous le soulignez, c’est de recréer des emplois dont l’éducation a besoin, dans l’école (comme les Rased) mais aussi hors de l’école. Ce gouvernement n’a cessé de couper dans les crédits et les postes dédiés à l’éducation populaire. Ce sont pourtant des partenaires essentiels de l’école !

Le débat sur le temps de travail des élèves est lancé. Les décisions auraient forcément un impact sur les enseignants et les collectivités locales. On parle de la semaine de 5 jours au primaire, de 38 semaines travaillées pour le Primaire et le secondaire. Qu’est-ce qui peut être fait facilement à vos yeux ? Quelles mesures souhaitez-vous prendre ?

Tout le monde le sait : la réforme des quatre jours imposée à l’enseignement primaire est une absurdité, qui conduit les élèves français à avoir les journées les plus longues et les plus chargées d’Europe. Il faudra nécessairement étaler, revoir la journée – plus courte –, la semaine et l’année – plus longues – pour respecter les rythmes des élèves. Vous avez raison : cela aura un impact sur les collectivités territoriales. Si l’on veut 5 jours éducatifs, il faudra développer les plans éducatifs locaux, pour que tous les élèves soient réellement accompagnés, tout au long de la semaine, qu’ils aient accès – en plus, et non à la place, de ce que fait l’école – au sport, à la culture, à l’art… Il ne s’agit pas d’augmenter la charge de travail des enseignants sur la semaine. En revanche, si on allonge la durée de l’année, comme je pense que cela est nécessaire, il faudra le rémunérer.

Certains courants expliquent que l’amélioration des performances du système éducatif passe par une autonomie plus grande des établissements. Partagez-vous cette analyse et pourquoi ?

Tout dépend de ce que l’on appelle autonomie. S’il s’agit d’une autonomie de gestion, ou du recrutement des enseignants par les chefs d’établissement, je n’y suis pas favorable car je ne crois pas aux vertus de la concurrence appliquées à l’éducation. Il faut un cadre, des protections, des programmes nationaux. En revanche, je suis convaincue que les équipes éducatives doivent retrouver du pouvoir d’agir pour s’adapter aux élèves qui sont devant eux. C’est pour cela que je propose qu’elles disposent d’une part de la DHG pour personnaliser leur enseignement, innover, réaliser des projets sur le long terme. Toute augmentation de l’autonomie pédagogique des équipes éducatives doit par ailleurs être accompagnée d’une démocratie garantie dans les établissements pour les prises de décision.

Depuis plusieurs années, le ministère prône l’individualisation et l’accompagnement personnalisé des élèves en difficulté. Pensez-vous que ce soit une priorité ? Pourquoi ?

Bien sûr, il faut personnaliser les réponses éducatives, être attentifs aux rythmes, aux difficultés comme aux talents de chaque enfant. C’est notamment ce que j’ai mis en avant à Lille. Mais il ne faut pas se moquer du monde : ce n’est pas du tout ce que fait le gouvernement actuel ! Les dispositifs de soutien aux élèves en difficulté sont les premiers à faire les frais de la politique insensée de non-renouvellement d’un fonctionnaire sur deux. Non seulement les RASED sont en train de disparaître, mais en plus, les établissements ne parviennent pas à mettre en place l’accompagnement personnalisé parce qu’ils n’en ont plus les moyens humains. De plus, je trouve étrange par exemple que l’on dise aux élèves qui ont déjà du mal avec l’école, qu’il faut qu’ils travaillent deux heures de plus que leurs camarades. Moi je crois que c’est d’abord dans les classes qu’il faut traiter la difficulté scolaire. Cela passe d’abord par des démarches pédagogiques et didactiques adaptées – une raison de plus pour refondre entièrement la formation, initiale et continue, des enseignants – mais, là où c’est nécessaire, cela peut aller jusqu’à la présence d’un enseignant supplémentaire dans la classe, pour faire travailler des petits groupes ou des élèves individuellement. Et il y a des difficultés qui doivent se gérer hors de la classe : c’est pour cela qu’il faut des médecins, des psychologues, des assistantes sociales en nombre réellement suffisant pour épauler les enseignants et leur permettre de se concentrer sur leurs missions.

Le débat sur les « compétences » et l’évaluation des élèves est très fort depuis quelques années, dans les pays de l’OCDE. Il semble que ces notions fassent débat chez les enseignants. Comment pensez-vous que le système éducatif français puisse dépasser l’apparent antagonisme entre programmes et socle commun, entre évaluation par compétence et examens nationaux (brevet, bac…)

J’entends bien les inquiétudes. C’est vrai qu’en Europe, et parfois en France, certains voudraient imposer une vision purement utilitariste de l’école. C’est vrai aussi que tout le monde critique – à juste titre – le livret de compétences actuel, particulièrement indigeste et incompréhensible. Mais il ne faut pas tout confondre. L’idée que l’on puisse apprendre quelque chose dans une matière, et le réutiliser dans une autre, ou le réutiliser dans la vie, n’est quand même pas scandaleusement libérale. On peut appeler cela compétence, savoir-faire ou comme on veut, on peut parler de socle commun ou de culture commune, ce qui est important, c’est le contenu. Pour ma part, je souhaite qu’il soit très large, qu’il comprenne, outre les disciplines traditionnelles, de la technologie, une découverte du monde professionnel (pour tous !), de la culture, du sport… Les études internationales nous montrent que les pays qui réussissent sont ceux qui ont des troncs communs larges et longs.

Comment voyez-vous la place des nouvelles technologies dans la formation scolaire des élèves ? Quelque chose d’aussi important que le lire-ecrire-compter ? Un gadget sans prétention culturelle ? Une question d’équipement ?

Les nouvelles technologies doivent faire partie à part entière de l’environnement scolaire. Elles sont partout dans notre vie, partout dans la vie des élèves, et l’école est fondamentale pour que ne se creusent pas, dans ce domaine aussi, les inégalités. Les élèves doivent devenir familiers, dès le primaire, des NTIC. Certains y sont déjà immergés. Mais d’autres n’ont pas la chance d’avoir un ordinateur à la maison, ou des parents qui peuvent les initier. Mais il ne s’agit pas simplement d’apprendre les rudiments de la bureautique : c’est toute une éducation à l’image, aux médias, à l’information qu’il faut mettre en place. Les nouvelles technologies renforcent encore le besoin impérieux de développer l’esprit critique des jeunes. Par ailleurs, mais c’est une évidence, il faut aussi équiper l’ensemble des établissements car les NTIC sont de formidables supports pédagogiques, à condition, bien sûr, que les enseignants y soient formés…

Le système éducatif français a une particularité unique : c’est l’enchevêtrement des compétences entre Etat et collectivités territoriales. Pensez vous clarifier cela ? Comment lutter contre les disparités territoriales ?

Je ne crois pas que la mise en œuvre d’une nouvelle répartition des compétences fasse partie des urgences, même si je pense nécessaire de multiplier les alliances éducatives entre tous les partenaires de l’école. Je crains que nous y passions beaucoup de temps et d’énergie, alors que le chantier de la refondation de l’école, que je veux entreprendre, est déjà gigantesque. Pour moi c’est clair : les programmes, la formation et le recrutement des enseignants, l’évaluation, des acteurs comme du système, tout cela relève de l’Etat qui doit garantir l’égalité entre les territoires et les élèves. Cela implique davantage de péréquation, à l’intérieur du système, mais aussi entre les collectivités si l’on veut que toutes aient les moyens de mettre en œuvre des projets éducatifs locaux. Cela implique une politique à rebours de celle de la droite, qui n’a cessé de creuser les inégalités et conduit des territoires entiers à un véritable abandon éducatif. Il faut donc remettre de la mixité, en créant une nouvelle sectorisation. Il faut aussi relancer l’éducation prioritaire en donnant réellement plus à ceux qui en ont le plus besoin. Il n’est pas acceptable que l’on dépense en réalité plus pour les lycées de centre ville que pour les établissements qui concentrent les difficultés, comme c’est le cas aujourd’hui. Il faudra notamment individualiser les dotations en fonction du public accueilli.

Vous dirigez la mairie de Lille. Quelle mesure souhaitez-vous qu’on retienne en matière de politique éducative dans votre ville ?

L’éducation est une priorité de ma ville, et elle l’est d’autant plus dans un contexte de renforcement des inégalités et de réduction des ressources allouées par l’Etat à l’école. A Lille, j’ai fait le choix d’une politique qui donne sa chance à chaque enfant, qui l’accompagne du plus jeune âge à son entrée dans l’âge adulte. C’est le plan éducatif global, qui se développe dans le temps scolaire, pour donner aux enfants de meilleures conditions de réussite scolaire et dans le temps de loisirs, avec notamment des plans musique, lecture, sport anglais, informatique en associant étroitement les parents. C’est comme cela, ensemble, que l’on peut emmener tous les enfants vers la réussite, l’émancipation, la culture.

Liens :

Le site de campagne de Martine Aubry

http://aubry2012.eu/

Le site des primaires

http://www.lesprimairescitoyennes.fr/