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Pour Jean-Louis Auduc, « le meilleur anti-stress concernant les personnels de l’éducation nationale, c’est que l’institution, les autorités, la hiérarchie fassent confiance aux personnels. Construire un climat de confiance avec tous les enseignants et non un climat de défiance basé sur la suspicion permanente est décisif« . Plus qu’un constat, déjà un programme ?

Les dramatiques événements récents montrent que les conditions de travail des enseignants peuvent entraîner un stress jamais reconnu jusqu’ici.

Le stress au travail n’apparaît donc plus comme un sujet réservé aux entreprises privées. Il touche aussi l’éducation nationale, en France et ailleurs, comme le montre l’enquête menée en 2007 par le Comité syndical européen de l’éducation (CSEE) sur le thème « Le stress au travail des enseignants ».

Dans l’enquête menée à l’échelon européen par le Comité syndical européen de l’éducation (CSEE) , les huit premiers éléments « stresseurs » retenu apparaissent assez similaires dans les divers secteurs de l’enseignement (primaire, secondaire, professionnel….). Ce sont :

La charge de travail et l’intensité du travail ;

La surcharge des rôles ;

L’accroissement de la taille des classes par les enseignants ;

Le comportement inacceptable des élèves ;

La mauvaise gestion de l’école/ Le manque de soutien de la direction ;

L’insuffisance des moyens de l’école/ Le manque de ressources ;

Le mauvais climat social/ La mauvaise atmosphère dans l’école ;

Le manque de reconnaissance sociale de la profession enseignante.

Il y a dans un certain nombre d’établissements, un sentiment d’usure qui se développe face au développement de tensions, d’incivilités… La gestion de la classe devient problématique face à des élèves qui n’hésitent pas à provoquer ou à manifester leur désintérêt pour la chose scolaire.

Pour innover, il faut se sentir soutenu

Pour enseigner, pour innover, c’est-à-dire pour permettre de choisir tous les détours pédagogiques possibles pour faire réussir les élèves, il faut être sécurisé. Pour exercer pleinement sa liberté pédagogique dans la classe, il faut se sentir soutenu.. Aujourd’hui, on se trouve dans une situation où tout soutien de l’institution scolaire est en train de disparaître pour nombre d’enseignants.

Etre enseignant, c’est prendre en permanence des milliers de petites décisions en toute autonomie, en toute responsabilité. Pour donner les possibilités à l’enseignant d’oser, d’être un concepteur qui s’assume comme décideur, il faut que l’enseignant se trouve en situation de confiance de la part de sa hiérarchie. S’il ne l’est pas, il ne sera pas mis en situation de faire des choix dictés par la particularité du moment, du public concerné. Il risque de n’être qu’un répétiteur.

Permettre à l’enseignant de s’assumer comme décideur, donc de prendre des risques, c’est lui reconnaître la possibilité d’un droit à l’erreur, notamment dans ses premières années de carrière. C’est une des conditions d’une véritable expérimentation innovante évaluable. Pour oser prendre des risques en établissement scolaire, il faut que l’Institution au niveau local, rectoral ou national vous offre des sécurités. Il faut pouvoir à des moments expérimenter et se tromper en se sentant en sécurité, en confiance pour mieux améliorer ses pratiques dans l’intérêt des élèves.

Il apparaît donc indispensable de développer une culture de l’accompagnement de projets, de favoriser une véritable gestion des ressources humaines et professionnelles basée sur les compétences et les potentialités de chacun, et d’accorder aux enseignants une véritable autonomie dans les faits que le système bureaucratique a tendance à freiner.

Le rôle du chef d’établissement est à cet égard fondamental, en sachant qu’il est lui aussi en proie à de multiples difficultés et qu’il peut être à la fois stressés et stresseurs…..

Un sentiment de défiance de l’institution vis-à-vis des enseignants

Le stress enseignant est aussi accentué par une politique qui se caractérise par le pilotage par les résultats qui ne prend suffisamment en compte les caractéristiques de chacune des classes. Ce pilotage « par les résultats » pèse autant sur les enseignants que sur les élèves et leurs familles et se traduisent par une angoisse de tous les jours des évaluations nationales.

Nous sommes dans une situation, où depuis une dizaine d’années, au travers de différentes réformes, différents textes, s’est développée une attitude de mépris et défiance de l’ensemble des enseignants. Cette attitude a été très présente dans les modifications apportées aux programmes, dans la succession d’injonctions paradoxales qui discréditent, faute de moyens, de locaux, de personnels formés, des mots comme personnalisation, autonomie, compétences….. La défiance vis-à-vis des personnels se manifeste également par une « évaluationnite » aigue, sans fin. On en arrive à déposséder les enseignants de ce qui fait leur cœur de métier.

L’isolement des enseignants

Tout concoure aujourd’hui à isoler l’enseignant. Pourtant, l’exercice solitaire du métier enseignant a montré ses limites face aux difficultés d’exercice du métier enseignant (gestion de la classe, prise en compte de la diversité des élèves…).

Cet isolement des enseignants par rapport à l’Institution éducation nationale, il est symbolisé par deux épisodes récents :

Avec le démantèlement des IUFM, les futurs enseignants se retrouvent isolés dans leur master universitaire et dans leurs établissements de nomination. Cette situation peut risquer d’amener à la disparition chez ces nouveaux enseignants, du sentiment commun d’appartenance à un service public reposant sur les valeurs de la République, élément fort d’une solidarité de corps qui sans doute, gène certains au ministère

.Les conditions de déroulement des élections professionnelles : seul (e ) devant son ordinateur et non dans le cadre convivial d’un bureau de vote contribue également à renforcer l’individuel par rapport au collectif. Là encore, ce n’est sans doute pas un hasard. !

Redonner du sens au métier enseignant

Il s’agit aujourd’hui de redonner du sens au métier enseignant, de la fierté et du bonheur d’enseigner, de permettre aux enseignants de reprendre la main sur le métier.

Il semble indispensable dans les politiques de gouvernance pédagogique indispensables à notre système éducatif :

– d’en finir avec le fonctionnement « taylorien » des établissements

– de redonner toute sa place à la pédagogie, au projet collectif à tous les niveaux d’enseignement

– de permettre à chacun de se réapproprier l’ensemble des composantes de l’exercice de son métier

– d’en finir avec « l’évaluationnite » aigüe permanente

– de s’épauler mutuellement avec les familles et les autres adultes de l’établissement

C’est en permettant aux enseignants d’exercer mieux leur métier qu’on pourra transformer et améliorer notre système scolaire et permettre une réussite de tous les élèves. En un mot, le meilleur anti-stress concernant les personnels de l’éducation nationale, c’est que l’institution, les autorités, la hiérarchie fassent confiance aux personnels. Construire un climat de confiance avec tous les enseignants et non un climat de défiance basé sur la suspicion permanente est décisif.

Cela nécessite que la Nation donne de réelles preuves de confiance et de reconnaissance au corps enseignant, qu’elle passe un véritable contrat clair avec eux sur leurs missions, les objectifs qui leur sont assignés, et les moyens, notamment en formation continuée qui sont mis à leur disposition.

Jean-Louis Auduc