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Jeanne, 14 ans, étudie en Seconde au Lycée de l’Iroise à Brest. Pendant deux mois, avec ses camarades de classe, elle a participé au projet Goncourt des Lycéens animé par sa professeure de lettres, Claire Berest. Porte-parole de sa classe à la délibération régionale, elle a ensuite représenté le groupe ouest à la délibération nationale qui a décerné le Goncourt des Lycéens 2011.

Qu’avez-vous pensé quand votre professeure de français vous a annoncé début septembre que votre classe participait au Goncourt des Lycéens et que vous alliez devoir lire en à peine 2 mois une quinzaine de romans contemporains ?

Quand ma professeure de français m’a annoncé que j’allais devoir lire quinze romans en moins de deux mois, j’ai d’abord cru avoir mal entendu. J’ai l’habitude de lire mais pendant les périodes scolaires je dépasse rarement un livre par mois. Imaginez ma stupéfaction lorsqu’elle m’a confirmé que ce serait bien quinze livres en à peine deux mois ! J’ai pris cela comme un invraisemblable défi à relever …

Avez-vous réalisé ce défi ? Et concrètement, comment avez-vous réalisé un tel exploit ?

À peine deux mois plus tard… quatorze romans de lus ! Défi presque relevé ! Comment l’ai-je réalisé ? Simplement en consacrant mes weekends et mes soirées, après les cours, à lire dans ma chambre. La lecture des quinze romans en moins de deux mois était tout à fait réalisable, il m’a juste fallu trouver du temps, chaque minute était bonne à prendre, ne serait-ce que pour avancer de cinq pages. Par exemple, il m’est arrivé à plusieurs reprises de lire dans le bus !

Est-ce que vous avez échangé sur ces lectures, avec vos camarades de classe, vos professeurs, votre famille ou vos amis ?

Chaque jour, depuis le jeudi 15 septembre, jour où le top départ nous a été donné et les livres distribués, nous avons, mes camarades et moi, échangé beaucoup à propos des livres de la sélection. En particulier, le lundi matin durant l’heure et demie de littérature et société, où nous nous conseillions, faisions part de nos impressions, de nos critiques … En ce qui concerne les professeurs, ils n’avaient pas le droit de donner leur avis sur les quinze romans, pour ne pas influencer nos choix avant d’avoir délibéré et choisi notre tiercé gagnant. Je discutais de chaque livre lu avec mes parents en leur faisant part de mes impressions et de mes remarques. En revanche, je n’échangeais pas tellement avec mes amis sur les livres, ce qui les intéressait surtout était de savoir  » au combientième j’en étais  » !

Votre classe a tenu un blog autour du Goncourt : en quoi consistait-il ? Quels sont selon vous les intérêts du travail mené sur ce blog ?

Durant cette aventure, nous avons tenu un blog autour du Goncourt dans lequel nous créions des articles à chaque nouveau livre lu. Nos articles se devaient d’être variés, pour cela nous avions le choix entre plusieurs rubriques. Par exemple, la rubrique  » Citation  » consistait à retranscrire une citation qui nous avait marqué ou touché et nous devions par la suite expliquer pourquoi. Nous pouvions faire une critique sur un passage du livre ou sur le livre en lui-même, faire des associations sonores et visuelles, ou encore créer un abécédaire. Selon moi, l’intérêt de ce blog était multiple : Il permettait d’exposer et de faire partager nos réactions sur les quinze romans non seulement entre nous, personnes de la classe, mais aussi à des personnes extérieures car le blog était accessible, et l’est toujours d’ailleurs, à qui le voulait, et ce à n’importe quel moment.

Vous avez rencontré certains des romanciers de la sélection : en quoi ces rencontres ont-elles été intéressantes ? est-ce qu’elles ont modifié ou confirmé le jugement que vous portiez sur leurs livres ?

Le fait d’avoir rencontré certains des romanciers de la sélection à Nantes a été intéressant puisque nous avons pu poser certaines questions autour de l’élaboration de leurs livres, des réactions de leurs familles ou du contenu du livre en lui-même. Majoritairement, leurs réponses ont confirmé le jugement que je portais sur leurs livres, mais certaines l’ont modifié.

Parmi les romans de la sélection, lequel avez-vous le moins aimé ? Pourquoi ?

Parmi les romans de la sélection, le roman que j’ai le moins aimé a été Rom@, de Stéphane Audeguy. Même si l’idée de faire parler une ville était originale, sa façon d’écrire ne m’a pas plu. Par ailleurs, j’ai trouvé que le roman manquait de réalisme et surtout d’organisation, ce qui entraînait des difficultés de compréhension.

Parmi les romans de la sélection, lequel était votre préféré ? Pourquoi ?

Le roman que j’ai préféré a été, sans aucun doute, Retour à Killybegs, de Sorj Chalandon. Ce livre parle de la guerre en Irlande, de l’IRA, et de la trahison qu’a commise un de ses membres qui était le véritable ami de Sorj Chalandon. Je trouve que c’est un sujet trop peu abordé, que peu de jeunes comme moi connaissent, alors que cela se passait à 1h30 d’avion de chez nous… On entre facilement dans l’histoire car elle vraie, il y a des descriptions très fortes, notamment quand il parle des prisons. Il a voulu représenter une réalité forte sur la lutte, il nous emmène dans cette horreur pour comprendre le pourquoi du combat et regarder les choses en face. Il n’enfonce pas  » le traître  », au contraire, il essaie simplement à travers l’écriture de comprendre une nouvelle fois pourquoi son ami a trahi, et il nous fait réfléchir sur certaines questions de la vie, en particulier sur la trahison. On n’en sort pas indemne.

Vous avez participé aux délibérations régionale et nationale au côté de lycéens d’âges, d’origines, de cursus scolaires très variés : sans rompre le secret des délibérations, qu’avez-vous pensé de cette expérience ?

Ma participation aux délibérations régionale et nationale au côté de lycéens différents les uns des autres a été extrêmement enrichissante. Nous avions chacun un point de vue différent, de par notre âge (certains avaient dix-huit/vingt ans, alors que je n’ai que quatorze ans) et cela m’a permis en les écoutant de voir certains livres sous un angle que je n’avais jamais envisagé.

Le Goncourt des Lycéens 2011 a finalement été décerné à Carole Martinez pour son roman Du Domaine des Murmures : quelles sont vos impressions après la proclamation du prix ?

Les délibérations nationales se sont déroulées dans un climat de haute tension, où chacun des délégués défendait férocement le livre qu’il voulait faire élire. Le vote final a été extrêmement serré car cela s’est joué à 1 voix près. Du Domaine des Murmures a été élu au 3ème tour de scrutin avec 7 voix devant le merveilleux Retour à Killybegs de Sorj Chalandon. En ce qui concerne le livre de Carole Martinez, je dirais que ce qui a séduit les membres du jury a été l’écriture poétique qui offre une autre vision du monde, et la façon dont elle parle des recluses qui est à la fois surprenante et nouvelle. A travers son livre, elle essaie de nous faire passer le fait que les recluses sont peut-être plus fortes que les hommes, qu’elles cherchent des solutions pour s’émanciper. Pour ma part, j’avais donné ma voix depuis le début de l’aventure à Sorj Chalandon et le fait qu’il soit passé si près du prix Goncourt des Lycéens m’attriste énormément. Je trouvais que son livre était beaucoup plus universel que celui de Carole Martinez qui, je trouve, est une lecture beaucoup plus féminine. Et puis le sujet du livre qui traite de la guerre en Irlande, de l’IRA, était tellement intéressant, on ne parle jamais de cette guerre pourtant si proche ! Pour ma part, j’ignorais tout de cette lutte, j’en avais vaguement entendu parler avec le tube du groupe U2 « Sunday Bloody Sunday ». Je suis donc un peu (beaucoup) déçue que Sorj Chalandon n’ait pas remporté ce prix …

Pensez-vous que votre participation au Goncourt des Lycéens a changé votre regard sur la lecture, sur les écrivains ou sur la littérature d’aujourd’hui ?

Non, je ne pense. Néanmoins, cela a changé mon point de vue sur la lecture et sur mes limites. Habituellement lorsque je termine un livre, je n’aime pas passer directement au suivant, j’aime prendre le temps de penser ou de réfléchir à ce livre. Je pensais donc que le fait d’enchainer les quinze romans d’affilée allait être une chose difficile. Or, une fois le rythme pris, cela ne m’a posé aucun problème.

Au final, que diriez-vous à un lycéen qui en septembre 2012 apprendrait de son professeur qu’il va participer au Goncourt des Lycéens ?

Je dirais à un lycéen qui apprendrait de son professeur à la rentrée 2012 qu’il va participer au Goncourt des lycéens qu’il ne faut surtout pas avoir peur. Il faut vraiment s’investir totalement dés le début, et comme nous a dit notre professeure de français  » dépasser ses limites  ». C’est une chance incroyable d’y participer et puis cela n’arrive qu’une fois dans sa vie !

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut