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Par Jean-Michel Le Baut

Le Prix Goncourt des lycéens, né en 1987 dans l’Académie de Rennes, est désormais un projet de grande ampleur. Une cinquantaine de classes ont participé en 2011-2012 : plusieurs centaines de lycéens âgés de 15 à 18 ans, issus de seconde, première, terminale ou BTS, dans les filières générales, techniques ou professionnelles, ont lu en deux mois, avec l’aide de leurs professeurs, la quinzaine de romans de la sélection Goncourt et, au terme de délibérations locales, régionales, puis nationales, désigné leur livre préféré. Le Goncourt des Lycéens a 24 ans : l’âge de la maturité ? le moment par ses choix d’affirmer ses valeurs ?…

Un précieux équilibre

Si le projet connaît une telle vitalité et une telle longévité, c’est qu’il est porté par un juste et nécessaire équilibre entre l’Education nationale et ses principaux partenaires : d’une part l’Académie Goncourt, qui livre sa sélection de rentrée, accorde le droit d’employer son nom sans participer aux délibérations ni au prix, assure un bienveillant patronage ; d’autre part la Fnac, qui apporte un soutien logistique essentiel, diffuse les livres, organise des rencontres entre les élèves et les auteurs…

Dans cet équilibre qui dure depuis 24 ans, chacun peut sans aucun doute trouver son bonheur. L’Académie Goncourt bénéficie d’une cure de jouvence et manifeste à travers les jurés lycéens son attachement à la promotion de la littérature contemporaine, qui se fait ici indépendamment de toute connivence éditoriale et commerciale. La Fnac elle-même assure tout à la fois sa promotion et celle de la lecture chez les jeunes : de ce fait elle se donne l’image d’un établissement à forte identité culturelle et sociale, elle réaffirme des valeurs qui ont fait son histoire et concourent à sa crédibilité. Les lycéens bien entendu bénéficient pleinement d’un projet avant tout pédagogique. Comme on peut le voir dans l’entretien ci-joint avec une jeune jurée, le concours suscite dans les classes concernées une remarquable dynamique de lectures et d’échanges. Comme on peut le constater dans les réflexions ci-jointes des lycéens sur le roman lauréat de Carole Martinez, le travail mené développe chez chaque élève des compétences variées et essentielles : capacité à rendre compte d’une lecture, argumenter, débattre, créer, interroger soi et l’autre, produire un jugement esthétique sensible et motivé… De manière générale, le Goncourt des Lycéens donne du sens au travail scolaire, favorise un rapport au livre plus vivant et plus intense, invite à une réelle ouverture sur la littérature d’aujourd’hui et les problématiques du monde contemporain.

Un équilibre menacé

Cet équilibre serait-il en train de se rompre ? L’inquiétude et la grogne montent en effet du côté de l’Education nationale (enseignants, organisateurs, cadres administratifs). Traditionnellement, la délibération nationale et la proclamation du prix avaient lieu chaque année dans un espace convivial et neutre (la brasserie rennaise La Chope, puis le café du Centre culturel les Champs libres) : c’était, selon Jeannie Le Villio, présidente de l’association organisatrice Bruit de Lire et âme du Goncourt des Lycéens, le « pendant du restaurant Drouot à Paris d’où est proclamé le Prix des Académiciens ». Or la Fnac a décidé, sans concertation avec les professeurs, que le cérémonial se déroulerait dorénavant dans son magasin rennais pour profiter de la couverture médiatique et s’assurer ainsi une importante publicité. Ce souci d’un retour sur investissement se fait sur le dos des élèves, désormais cernés par les affiches et les logos de la chaîne commerciale. La décision, particulièrement symbolique, a suscité chez des enseignants un émoi dont a rendu compte le quotidien Ouest-France : « C’est un problème d’éthique. On ne souhaite pas que les élèves soient exposés dans le magasin et que le Goncourt des Lycéens devienne un prix Fnac, un produit marketing. »

Une lettre ouverte de protestation collective a été rédigée à destination du Rectorat de Rennes et du Ministère. « Les enseignants de la région Nord Ouest ayant encadré le Goncourt des lycéens 2011 souhaitent exprimer leur surprise et leur mécontentement face au changement de dernière minute du lieu de délibération et de proclamation du lauréat du prix de cette année. Ils rappellent leur fort attachement à ce que le Goncourt des Lycéens soit proclamé dans un lieu non commercial, comme ce fut toujours le cas dans le passé, et qu’il renoue ainsi pleinement avec l’esprit qui a présidé à sa création et en a permis la réussite. Partenaire historique du projet, la FNAC, depuis plus de vingt ans, avait su témoigner de son attachement aux valeurs de celui-ci : les enseignants sont convaincus de la nécessité d’un retour à un équilibre respectueux entre Education nationale et partenaire privé afin d’assurer à nouveau l’indépendance, la pérennité et le succès de l’opération. »

Le beau film de Pierre Schoeller, L’exercice de l’Etat, donnait récemment à voir sur écran les déchirements, les dévoiements, les renoncements de la vie politique. Michel Blanc y interprète un directeur de cabinet, grand amateur d’André Malraux, prix Goncourt 1933 avec La condition humaine. Un peu désuet dans sa posture, ses principes, ses inclinations, il refuse d’approuver un projet de privatisation des gares et se retrouve sacrifié sur l’autel d’intérêts variés, ceux des financiers et des communicants. Un peu désuet, vraiment ?

Présentation du Goncourt des Lycéens :

http://espaceeducatif.ac-rennes.fr/jahia/Jahia/lang/fr/pid/15108