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Par François Jarraud

Voilà un livre qui rend honneur aux oubliés de l’histoire, ceux dont on ne parle jamais dans les médias, les exclus du système médiatique : les bons profs.

Nicolas Mascret, professeur lui-même et formateur en IUFM, a interrogé près de 150 personnes pour savoir si elles se souvenaient de leur(s) bon(s) professeur(s). Et cela leur a fait du bien de se souvenir. Car très rares sont les personnes qui n’ont jamais croisé « un bon prof », une personnalité qui les a marqué et qui a compté dans leur vie.

D’où l’idée de faire un portrait robot. Mais… mission impossible ! Les bons profs ne sont pas identiques. Pire, le bon prof de l’un ne convient pas forcément à l’autre. Parce que c’est une alchimie, nous dit Nicolas Mascret, qu’un bon prof. Il doit avoir de l’autorité mais ne pas pratiquer l’autoritarisme. Il doit être bienveillant mais avoir des exigences. Ce n’est pas un pote et pourtant un vrai ami.

Pour creuser davantage, N Mascret a interrogé des personnalités sur les « bons profs » qu’ils ont croisés. Boris Cyrulnik montre à quel point ils ont été importants pour lui par leur empathie, première qualité du bon prof selon lui. Pour Marcel Rufo le bon prof c’est celui qui s’intéresse. Mais pour Jean-Claude Gaudin c’est celui qui transmet.

A-t-on besoin d’un livre qui nous rappelle que les bons profs existent ? Les rayons des librairies, les colonnes des journaux sont pleins de livres et d’articles négatifs sur l’Ecole qui montrent des professeurs en souffrance qui méprisent élèves et parents et n’attendent qu’un prix littéraire pour fuir un métier qu’ils détestent, ou d’établissements à feu et à sang. D’un autre coté, les politiques dans tous les pays développés ont mis en avant la qualité du corps enseignant comme critère de rentabilité. Ils préconisent l’évaluation des performances par les petits chefs et la mise au pas des enseignants pour sauver le système.

Le grand intérêt de ce livre c’est de rappeler que « l’effet prof » est quelque chose de plus subtil et compliqué qui ne se réduit pas à une évaluation des résultats des élèves. Et la puissance du livre c’est que cette leçon chacun la retrouve en soi, en se remémorant ses « bons profs ». Dans le débat actuel sur l’Ecole, le livre de Nicolas Mascret va beaucoup plus loin qu’il en a l’air. C’est vraiment un livre politique qui parle du système éducatif d’une façon compréhensible par tous. Mais c’est aussi un livre à offrir au bon prof que vous connaissez. Vous en connaissez bien un ?

Nicolas Mascret, N’oublions pas les bons profs, Anne Carrière, 2012.

Nicolas Mascret : Jeter un regard bienveillant sur l’Ecole

« J’espère que mon livre touchera les gens, qu’il leur permettra de se rappeler de leurs bons professeurs et par suite de jeter un regard bienveillant sur l’Ecole ». Le voyage que nous offre Nicolas Mascret est aussi un regard porté sur les pratiques des enseignants, leur évaluation et leur formation. Des questions d’actualité…

« L’effet prof » est-il attesté ?

Il y a des réponses à plusieurs niveaux à cette question. Au niveau de la recherche, des travaux le créditent de 10 à 15% des résultats des élèves. Mais dans mon livre je l’aborde d’un point de vue affectif. Celui du souvenir que nous gardons des enseignants qui nous ont marqué. S’il n’est pas établi scientifiquement il l’est socialement et affectivement.

Vous avez interrogé beaucoup de monde. Finalement, il est comment le bon prof ?

C’est impossible de dresser le portrait du bon prof ! J’ai interrogé près de 150 personnes et ce ne sont jamais les mêmes caractéristiques qui reviennent. Pourtant on sait en salle des profs qui sont les bons profs, comme le remarque Emmanuel Davidenkoff dans le livre. Quelques traits reviennent plus souvent. L’intérêt pour sa matière par exemple. Le caractère humain, la capacité à motiver.

Un bon prof l’est-il forcément pour toute une classe ?

Pas forcément. On peut avoir un enseignant qui favorise la compétition et ce n’est un bon prof pour le sommet de la classe. On peut aussi avoir le contraire. Il y a donc une grosse part de subjectivité.

C’est plutôt un psychologue ou un savant ?

Ce qui revient le plus souvent c’est la dimension psychologique. C’est quelqu’un qui marque car il s’occupe des élèves. Mais très souvent les témoignages parlent de ce que fait le professeur par l’intermédiaire de sa discipline. Le bon prof c’est celui qui fait progresser. La psychologie, que Cyrulnik par exemple dans son entretien met en avant, n’est pas suffisante. Le bon prof fait aimer sa discipline. Ca passe aussi par le savoir.

Pourquoi publier ce livre aujourd’hui ?

C’est une réaction aux nombreux livres qui sortent sur l’école et qui en montrent les cotés les plus sordides. Il faut rappeler qu’il y a des réussites tous les jours, même si on n’en parle pas. Sans sombrer dans une vision angélique de l’école, les bons profs existent.

Aujourd’hui ceux qui parlent de « l’effet prof » c’est pour mettre la pression sur les enseignants. Aux Etats-Unis par exemple ça se traduit par la paye au mérite et le licenciement des « bad teachers ». Ce n’est pas risqué de mettre les professeurs en avant ?

Ce n’est évidemment pas pour stigmatiser que j’ai fait ce livre. Aujourd’hui on a un débat sur l’évaluation des enseignants qui donne l’impression qu’ils ne veulent pas être évalués. Or ils le sont depuis longtemps. Déterminer l’efficacité des enseignants cela ne doit pas obligatoirement être pris pour une sanction. Ca peut aussi être une évaluation qui conseille et aide. Pour cela il faut séparer l’avancement et l’impact sur le salaire de l’évaluation.

Dans l’ouvrage vous interviewez des personnes célèbres : Cyrulnik, Rufo, Meirieu, Anne Roumanoff, Stéphane Diagana, Bruno Julliard, Jean-Claude Gaudin… Lequel vous a le plus marqué ?

C’est Jean-Jacques Goldman. Parce qu’il a écrit une chanson sur le professeur qui change la vie. Aujourd’hui, s’il devait réécrire sur ce thème il me dit qu’il écrirait sur la relation entre parents et professeur. Et ça me fait penser que dans l’échec ou la réussite d’un élève il y a beaucoup de choses qui interviennent. L’effet établissement par exemple existe aussi. Un bon professeur ne peut pas tout faire. C’est bien que ce soit JJ Goldman qui déculpabilise les enseignants.

Vous êtes maître de conférence à l’IUFM d’Aix Marseille et vous formez de futurs enseignants d’EPS. Cette identité professionnelle vous a-t-elle aidé pour écrire ce livre ?

Les professeurs d’EPS n’ont pas le même regard que les autres sur les élèves. Ils les voient en dehors de la classe et il y a le rapport au corps qui est propre à l’EPS : les élèves se livrent davantage. La formation des professeurs d’EPS est différente. Les cours d’IUFM parlent de différenciation, de l’adolescent, de sa motivation. Le concours comprend une épreuve de leçon qui évalue la capacité à s’adapter à un groupe d’élèves particulier. Aujourd’hui on ne parle pas assez de la formation des enseignants. Si on s’attaquait réellement au problème on améliorerait les choses.

L’Ecole est en difficulté, on le voit bien. Elle a besoin d’interventions politiques. J’espère que mon livre touchera les gens, qu’il leur permettra de se rappeler de leurs bons professeurs et par suite de jeter un regard bienveillant sur l’Ecole. J’ai vu les yeux de personnes de 70 ans briller quand ils évoquaient certains de leurs enseignants. L’émotion et le souvenir sont là.

Propos recueillis par François Jarraud