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Par François Jarraud

Qui peut mieux parler de la lutte contre l’échec scolaire que ceux qui l’affrontent dans ses pires formes au quotidien ? Philippe Goémé dirige le Pôle Innovant Lycéen de Paris (PIL), une structure pour décrocheurs. Il préside aussi la Fespi, une fédération de structures scolaires innovantes. Pour lui la solution passe par plus de bienveillance..

Pour rencontrer Philippe Goémé, traversez l’atelier où s’affairent des garçons et quelques filles sur de grosses machines industrielles. Vous arrivez dans un grand espace ouvert qui tient de la cafeteria, du CDI et de votre salon. Là des jeunes travaillent, des adultes prennent un café. La salle des profs a sa porte ouverte sur cet espace. Et Philippe est parti chercher un élève…

Comment un jeune arrive-t-il au PIL ?

Nos élèves sont des jeunes qui ont décroché en seconde ou en fin de troisième. Ils sont d’ailleurs de plus en plus jeunes. Il y a moitié de filles, non parce qu’elles décrochent autant que les garçons mais parce qu’elles sont plus aptes à raccrocher. D’une façon générale ce sont les jeunes les moins éloignés de l’école qui franchissent la porte. Certains sont des élèves brillants mais qui ne supportent plus les cours et l’autoritarisme des établissements. Ou alors ils ont été victimisés dans un établissement. Certains ne sont plus habitués aux contraintes sociales. D’autres traversent des problèmes graves, sont victimes d’addictions. Derrière un décrocheur il y a toujours la rupture d’un projet de vie, une fracture sociale parfois une fracture avec les parents.

Comment peut-on ramener ces jeunes à l’Ecole ?

On ne les garde que pour un temps, celui du retour sur un projet scolaire ou d’insertion. La première règle c’est de tenir compte de la réalité du jeune. Il faut individualiser son accueil au PIL. Le PIL a des règles : par exemple la présence est obligatoire. Mais les absences ne sont pas pénalisées. Notre objectif c’est de reconstruire une relation de confiance entre le jeune et les adultes et de réduire progressivement l’écart avec la vie normale d’un lycéen. Pour cela il faut tisser des fils et il en faut plein ! Ca passe aussi par retisser des relations avec les parents. Et puis il y a le groupe de jeunes qui est très important aussi. Il porte.

Un dispositif qui individualise c’est coûteux ?

Ici il y a 13 professeurs pour 110 élèves. Il n’y a pas de CPE, de surveillants. On est donc dans un taux d’encadrement peu onéreux. Mais chaque professeur assure 8 demi journées de présence dans l’établissement avec 12 à 15 heures de cours. Le reste du temps est consacré au tutorat (chaque adulte est le tuteur de 8 jeunes), les relations avec les parents, la gestion de l’établissement, le travail sur l’orientation, la présence ici dans l’agora…

Pour lutter contre le décrochage que pourrait faire le prochain ministre ?

Il peut bien sur multiplier des structures comme la notre, à la fois pour accueillir les décrocheurs et pour faire tâche d’huile sur les établissements environnants. Il pourrait aussi créer des équipes académique d’aide qui aideraient les enseignants du CP à la terminale. Mais il y a aussi des changements culturels à faire. Il faut mettre plus de bienveillance dans le système éducatif. Ca veut dire aussi donner de la liberté aux équipes pédagogiques. C’est leur cohérence qui leur donne de la force. Aider les jeunes dans leur travail personnel de façon à libérer les familles des tensions liées aux devoirs. Il faudrait aussi des collèges plus accueillants avec des disciplines regroupées de façon à ce que le jeune travaillent avec moins d’adultes qui le connaissent davantage.

Mais comment agir sur les mentalités ?

Il y a la formation des enseignants qui est bien sur à renforcer. Mais on peut aussi miser sur la tension ressentie par chaque enseignant entre le métier qu’il vit et celui qu’il a voulu faire. Avec l’autonomie des équipes on a là une force. Le tutorat est un autre levier : il légitime la parole de l’élève et change le coeur du métier. Tout cela permettrait de raisonner en terme de besoin et non plus en terme de statut.

Propos recueillis par François Jarraud