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Par François Jarraud

La discrimination scolaire peut-elle se résumer à la question sociale ? Ou faut-il faire entrer dans la discrimination scolaire la question ethnico-raciale ? Ces dernières années plusieurs travaux sont allés en ce sens. On peut penser à ceux de G Felouzis, sur les collèges du Bordelais, ou à ceux de F Lorcerie. Mais d’autres montrent aussi une bonne réussite d’ enfants immigrés. Comment dès lors s’y retrouver ?

Pour la Halde et l’Acsé, Fabrice Dhume, Suzana Dukic, Séverine Chauvel et Philippe Perrot ont entreprise d’éplucher la totalité des études parues en France sur cette question depuis un demi-siècle. Un travail presque exhaustif, reprenant près de 500 travaux publiés depuis la fin des années 1960. Les auteurs concluent en soulignant des résultats contradictoires. Il est vrai que des travaux ont d’abord nié la discrimination (Clerc et Girard en 1964), puis montré une meilleure réussite des enfants « étrangers » , toutes choses étant comparables par ailleurs (Caille et Vallet 1996), avant d’établir une discrimination socio-urbaine mais dont les effets scolaires sont complexes (Felouzis en 2003). Mais ces oppositions apparentes s’expliquent en grande partie, comme le remarque F Lorcerie, par l’écart de temps entre les travaux.

Du coup les auteurs proposent la constitution d’un groupe de travail, la formation des enseignants « pour la mobilisation du droit » et la création de « pôles collectifs de vigilance ». Et on retrouve dans cette conclusion les ambigüités de l’enquête. Le dernier tabou du système éducatif est-il sur le point de tomber ? C’est la question finale de l’entretien que nous a accordé Fabrice Dhumme.

Fabrice Dhume : « L’institution scolaire a une tendance systématique à renverser la question »

Fabrice Dhume fait le point sur la question de la discrimination ethnique à l’Ecole et met en évidence les résistances du Ministère de l’Education scolaire. Le terme « discrimination ethnique » est toujours ignoré d’Eduscol…

On voit dans le livre qu’il y a une hausse des études sur la question de la discrimination ethnique alors que le sujet a longtemps été nié. Pourquoi cet intérêt croissant ?

Il y a plusieurs éléments. Le premier c’est l’émergence de la question de l’orientation des enfants immigrés qui est directement liée à ce livre. Elle va de plus en plus se poser. Il y a aussi l’émergence de la question de la discrimination et de ses effets politiques. Ce qu’on montre dans le livre c’est que la question de la différence de traitement des enfants immigrés, voire de la discrimination, existe depuis la fin des années 1970. Mais ces travaux ont eu peu d’échos dans le champ scientifique et dans le champ politique. Elles ont été mises sous silence. Ce qui émerge aujourd’hui c’est la question d’une possible discrimination dans l’orientation scolaire. Des travaux récents y compris statistiques apportent un éclairage nouveau sur ces questions.

Effectivement pendant longtemps il y a eu une négation de cette approche et tout était remis sur le plan social, comme vous le montrez dans le livre. Finalement est-ce pertinent d’avoir une approche ethnique de la discrimination?

Tout dépend de ce qu’on entend par approche ethnique. Un des éléments que l’on met en évidence c’est que la recherche traite de la question des origines de deux manières opposées. L’une, « primordialiste » et majoritaire, pense l’origine comme une caractéristique propre, primordiale, de certaines populations. Comme si l’ethnique c’était l’autre. De ce fait on est pris dans un paradoxe : on est dans un contexte de tabou sur ces questions qui rend difficile le fait de parler de ces sujets et en même temps on pense que l’ethnique est une caractéristique primordiale de ces individus. La deuxième approche est plus récente. On la retrouve dans les travaux sur l’ethnicité, comme ceux de F. Lorcerie. Elle pense la question des origines comme une production dans les interactions. Du coup, si on la prend comme ca il est pertinent de s’interroger sur la façon dont ça se produit dans les relations scolaires. Dans les travaux de l’éducation nationale, comme ceux de JP. Caille, quand on pense que l’ethnique est une catégorie primordiale des individus ça n’apparait pas pertinent dans l’approche statistique. L’enjeu ce n’est donc pas de penser les différences des publics mais comment la différence se fabrique.

Peut-on dire qu’aujourd’hui l’origine ethnique influe sur l’orientation et les résultats scolaires ?

C’est difficile de répondre. Car ce que l’ouvrage tente de faire c’est de proposer une synthèse des travaux sur 50 ans. Et selon les points de vue adoptés par les chercheurs on a des réponses antagoniques à cette question de la pertinence de l’hypothèse d’une discrimination. Ce que montrent les travaux minoritaires, qui s’intéressent à la parole des minorisés mais qui sont souvent fragiles sur le plan institutionnel, c’est qu’à peu près à tous les niveaux de l’Ecole et des interactions autour d’elle des rapports ethniques s’organisent. Mais comment faire le lien entre tout cela et ce qu’on appelle l’orientation ? Comment tout cet ensemble de rapports auxquels participe l’ethnique, se traduit dans les trajectoires ? C’est difficile d’y répondre de façon univoque car les travaux montrent qu’il n’y a pas d’orientation systématique. La discrimination si elle existe n’est pas automatique. Elle se combine avec d’autres catégories de sexe et de classe sociale. Y compris du point de vue des élèves, les façons de réagir à cette expérience de la discrimination est très différente dans les parcours. On voit de la surmobilisation mais aussi du décrochage. On peut conclure que la discrimination n’est pas univoque et que la question ethnico-raciale n’est pas autonome d’autres questions, comme le genre par exemple ou les classes sociales. Quand on est dans des modèles statistiques on n’arrive pas toujours à différencier cela. Du coup on conclue que le plus important est le social. Or des analyses qui croisent les caractéristiques font émerger des choses. Par exemple les travaux de Jean-Paul Payet qui combinent le sexe et l’ethnie montrent des différenciations qui stigmatisent par exemple les garçons maghrébins. Les travaux de Yaël Brinbaum montrent des différenciations quand on croise genre et catégorie ethnique.

On ne peut pas penser tous les jeunes d’origine étrangère comme un seul groupe cohérent. On sait que dans les rapports scolaires s’expriment des préjugés ethnico-raciaux. Là où la discussion reste ouverte c’est sur la façon dont on passe des préjugés à la pratique discriminatoire. On a du mal à penser que ce qui s’exprime dans les préjugés positifs ou négatifs sur certains groupes ne se retrouve pas dans les pratiques.

C’est clair que la discrimination jour par exemple dans l’apprentissage car c’est une orientation avec une sélection à l’entrée. Certains jeunes ont du mal à trouver des patrons. On a le même phénomène en université pour des cursus sélectifs. Une étude du Nord Pas-de-Calais a montré que porter un prénom musulman a un effet négatif, toutes choses égales par ailleurs, pour entrer dans des filières universitaires sélectives.

Ce qui est plus compliqué avec l’orientation c’est que c’est une notion très générale. Et les résistances sont différentes. Par exemple, une étude Inetop portant sur la discrimination selon le genre a montré qu’il est moins pensé comme une discrimination. On n’a donc pas les mêmes ressources de résistance à ce processus. C’est ce que montrent des travaux comme ceux de JP Zirotti ou JP Payet.

Dans la société on voit que la discrimination s’accompagne d’une ghettoïsation. Voit-on la même chose dans le monde scolaire ?

A travers les travaux sur la ségrégation, on voit qu’il y a plusieurs effets qui se combinent : urbain qui se traduit par exemple dans les ZEP. C’est une traduction dans le champ scolaire d’une forme de ségrégation générale. Par contre on voit aussi depuis la fin des années 1990 qu’il y a une part proprement scolaire de la fabrication de cette ségrégation. Même si le terme de ghettoïsation n’est pas forcément pertinent, on a bien des formes de ségrégation avec des processus à travers l’Ecole pour renforcer des ségrégations et aussi l’exprimer de façon singulière. Par exemple les travaux de JP. Payet sur la fabrication des classes montrent que des formes de gestion de la ségrégation urbaine se retraduisent dans l’univers scolaire et préfigurent des orientations différentes.

Quand on est conscient de cela quelle politique peut-on mener pour avoir une Ecole moins ségrégative ?

Notre recherche veut aussi contribuer à des propositions. Il faut aller vers la reconnaissance de ces questions et travailler sur la mobilisation des professionnels. En prenant conscience de ces mécanismes, les professionnels peuvent développer des capacités de résistance aux formes d’assignation et même participer à une émergence politique de ces questions. Un exemple de recommandation c’est mettre en place des espaces collectifs de vigilance où enseignants et parents peuvent se retrouver. Des dispositifs d’alerte mais qui obligent aussi à trouver des réponses à la discrimination.

Comment est reçu le livre ?

C’est compliqué au champ scientifique et chez les acteurs de l’éducation. L’institution scolaire a une tendance systématique à renverser la question et à la retourner dans des formes qui mettent en cause les publics de l’Ecole. Par exemple en 2008 dans la circulaire de rentrée on a eu une opération de déviation politique de cette question pour la reformuler en terme de harcèlement entre élèves. Ce qui fait que la question de la discrimination dans l’institution scolaire n’a jamais pris une vraie place politique. On reste lié à des stratégies qui prennent en otage les publics dans ces jeux là.

Propos recueillis par François Jarraud

Liens

Présentation de l’ouvrage

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/catalogue/9782110084484/

Entretien avec G Felouzis

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages/200[…]

Entretien avec F Lorcerie

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pages/2009/9[…]