Par François Jarraud
Nous poursuivons l’analyse de la politique menĂ©e par Luc Chatel. EntamĂ© le mois dernier, ce bilan s’enrichit de nouvelles fiches.
Au bilan : L’assouplissement de la carte scolaire a aggravĂ© les sĂ©grĂ©gations
L’assouplissement de la carte scolaire dĂ©cidĂ© en 2007 aurait Ă©tĂ© « une rĂ©forme ne trompe l’oeil », n’aurait pas « bouleversĂ© le paysage scolaire », affirme Le Monde du 13 fĂ©vrier. Est-ce si sur ? De nouvelles recherches montrent qu’au contraire l’effet est sensible et peut-ĂŞtre irrĂ©mĂ©diable.
C’est une des mesures phares du quinquennat Sarkozy. En 2007 le prĂ©sident de la RĂ©publique dĂ©cide « d’assouplir » la carte scolaire en autorisant les dĂ©rogations d’affectation. La communication officielle prĂ©sente cette dĂ©cision comme une mesure de justice sociale au bĂ©nĂ©fice des boursiers. Pourtant dès 2008, un rapport des inspecteurs gĂ©nĂ©raux JP Obin et Payroux montrait que « dans la plupart des dĂ©partements visitĂ©s, la question de la survie de certains collèges est ouvertement posĂ©e… C’est aux deux extrĂ©mitĂ©s de la hiĂ©rarchie des Ă©tablissements que la mixitĂ© sociale est mise le plus rudement Ă l’Ă©preuve : dans les Ă©tablissements les plus convoitĂ©s, il y a peu d’Ă©lèves de condition modeste ; dans les collèges les plus Ă©vitĂ©s, ce sont les catĂ©gories favorisĂ©es qui ont disparu. » Très rĂ©cemment, une Ă©tude de Julien Grenet et de Gabrielle Fack, de l’Ecole d’Ă©conomie de Paris et du Cepremap, a relancĂ© le dĂ©bat sur les effets de l’assouplissement de la carte scolaire. Pour les auteurs les effets seraient minimes. « Quatre ans après la mise en place de l’assouplissement de la carte scolaire, l’impact Ă court terme de cette rĂ©forme sur les grands Ă©quilibres de l’enseignement secondaire apparaĂ®t dans son ensemble assez limitĂ©. Si l’on observe une augmentation des demandes de dĂ©rogations depuis la rentrĂ©e 2007, le nombre de familles faisant cette dĂ©marche reste largement minoritaire », Ă©crivent les auteurs. Il est vrai qu’Ă l’Ă©chelle nationale l’effet ne peut ĂŞtre que mineur. La concurrence scolaire n’existe que lĂ oĂą il y a un choix, c’est-Ă -dire dans les agglomĂ©rations assez importantes, avec une densitĂ© scolaire assez forte pour que le choix existe.
L’Ă©tude de Grenet et Fack concluait de façon plus nuancĂ©e que ce que la presse a pu transmettre. « Ce bilan global doit cependant ĂŞtre complĂ©tĂ© par l’étude de l’assouplissement de la carte scolaire dans l’éducation prioritaire, oĂą se concentrent les seuls effets visibles de la rĂ©forme », ajoutaient-ils. « On constate en effet que la mise en place de l’assouplissement de la sectorisation en 2007 a contribuĂ© Ă amplifier l’évitement de certains collèges classĂ©s « ambition rĂ©ussite » ou appartenant Ă un rĂ©seau de rĂ©ussite scolaire, en favorisant dans ce cas l’accès d’une petite partie des Ă©lèves les plus socialement dĂ©favorisĂ©s Ă des Ă©tablissements publics de meilleur niveau ». Ils concluent en disant que « finalement, ce constat montre que l’assouplissement de la carte scolaire n’a pas permis d’ouvrir rĂ©ellement l’éventail de choix de la majoritĂ© des familles ». C’est donc l’Ă©tude locale, plus que les chiffres nationaux, qui permet d’observer les effets rĂ©els de l’assouplissement lĂ oĂą il est techniquement possible.
C’est ce que confirme une Ă©tude inĂ©dite de Brigitte Monfroy portant sur les collèges de la ville de Lille. Dans cette ville oĂą les collèges Ă©taient dĂ©jĂ socialement hiĂ©rarchisĂ©s avant la rĂ©forme de 2007, l’assouplissement est devenue une « question très sensible », constate B Monfroy. L’affectation en 6ème est passĂ©e dans les seules mains de l’inspection acadĂ©mique grâce Ă Affelnet (le dispositif informatisĂ© d’affectation) et la communication est rĂ©duite au minimum. Le premier effet de la rĂ©forme de 2007 a Ă©tĂ© l’augmentation des demandes d’affectation. Elles sont passĂ©es de 11 Ă 16 % de 2005 Ă 2009 et le taux d’acceptation a grimpĂ© de 80 Ă 97%. Autrement dit les parents savent que leur demande sera probablement acceptĂ©e, ce qui est possible Ă Lille car le nombre de collĂ©giens diminue. Brigitte Monfroy a pu observer les effets sur les collèges. « Les collèges mixtes, qu’ils soient publics ou privĂ©s, perdent tous des Ă©lèves (jusqu’à 224 Ă©lèves)… Cette catĂ©gorie d’établissements perd au total 8% de ses effectifs de 2001.. Au regard des pertes d’effectifs et de l’augmentation des PCS populaires qu’ils connaissent, ces collèges tendent Ă ĂŞtre fragilisĂ©s par les Ă©volutions en cours. Ils recrutent davantage parmi les PCS populaires, non seulement des enfants d’ouvriers mais aussi ceux des inactifs y deviennent plus prĂ©sents. Parallèlement, les collèges au recrutement populaire et presque tous labellisĂ©s RAR/ECLAIR ont vu leurs effectifs s’effondrer : ils perdent 38% de leurs Ă©lèves par rapport Ă 2001… Cette diminution des effectifs s’accompagne d’une augmentation du poids des enfants d’inactifs (+ 20% pour un collège) pour atteindre jusqu’à 45% des effectifs dans plusieurs Ă©tablissements. Contrairement aux discours des responsables acadĂ©miques pour qui les mesures d’assouplissement de 2007 n’ont eu au sein des collèges lillois qu’un impact modĂ©rĂ©, traduisant surtout un renforcement de tendances dĂ©jĂ bien prĂ©sentes au dĂ©but des annĂ©es 2000, on doit Ă l’inverse conclure que les dynamiques urbaines et scolaires, dont la mise en Ĺ“uvre des mesures d’assouplissement, ont contribuĂ© Ă une forte aggravation des processus de sĂ©grĂ©gation scolaire dans les collèges lillois entre 2000 et 2010 ».
A Saint-Etienne, le sociologue Choukri Ben Ayed a observĂ© des Ă©volutions similaires. « La ville abrite un des collèges les moins attractifs de France. La première annĂ©e l’inspection acadĂ©mique a Ă©tĂ© submergĂ©e de demandes. La seconde elle a donnĂ© moins d’acceptations. Les familles se sont davantage tournĂ©es vers le privĂ© au point que cela a crĂ©Ă© des difficultĂ©s dans les circuits de transports scolaires ». Au niveau national, Choukri Ben Ayed s’étonne que l’on ne fasse davantage Ă©cho aux donnĂ©es relatives aux collèges Ambition rĂ©ussite Ă la fois plus prĂ©cises et plus adaptĂ©es Ă l’étude des effets de l’assouplissement scolaire que les donnĂ©es nationales sur l’ensemble des collèges français. Il constate en effet des Ă©carts maximaux des taux d’attractivitĂ© des collèges frappĂ©s par la rĂ©forme. Selon C. Ben Ayed, les taux de migrations entre collèges montrent des Ă©carts Ă©normes. « Cela va de +64% Ă -72%. Donc dire que l’assouplissement a peu d’effets est Ă©tonnant ! Certains Ă©tablissements sont confortĂ©s mais d’autres sombrent. Dans certains collèges on a un taux de demandes de dĂ©rogation de 60%. Cela veut dire que 60% des futurs sixièmes vont aller ailleurs, ce qui reprĂ©sente dans certains cas jusqu’à 2 classes sur 3. Le collège est privĂ© de tout moyen permettant d’Ă©viter la sĂ©grĂ©gation ». De fait, 80% des collèges Ambition rĂ©ussite perdent des Ă©lèves.
A qui profite l’assouplissement ? Pour C Ben Ayed, un fait significatif : les demandes de boursiers ne reprĂ©sentent que 9% des demandes. Les premiers demandeurs sont cataloguĂ©s dans les statistiques officielles comme « autres motifs », c’est Ă dire ceux qui ne sont ni boursiers ni liĂ©s localement Ă un Ă©tablissement. L’essentiel vient donc des catĂ©gories sociales moyennes et supĂ©rieures. « . « L’assouplissement a lĂ©gitimĂ© l’Ă©vitement scolaire et finalement renforcĂ© la sĂ©grĂ©gation et les inĂ©galitĂ©s », note-t-il. Brigitte Monfroy note que la perte de mixitĂ© sociale dans les collèges lillois est particulièrement pĂ©nalisante pour les jeunes d’origine populaire car ce sont ceux qui en ont besoin pour augmenter leurs chances de rĂ©ussite scolaire. Quels parents profitent de cette Ă©volution ? Certainement pas les milieux populaires, explique B Monfroy, puisque les demandes de dĂ©rogation de boursiers sont extrĂŞmement basses Ă Lille. Les parents n’ont d’information par l’acadĂ©mie que sur la procĂ©dure de dĂ©rogation. Tout le reste est rĂ©servĂ© aux parents initiĂ©s… Le sociologue Sylvain Broccolichi confirme cette analyse par l’observation du devenir des Ă©lèves. « On croit aider les jeunes en les autorisant Ă aller dans un autre collège. Et parfois ces arrivĂ©es dans un Ă©tablissement peuvent ĂŞtre massives. Mais il est frĂ©quent qu’ils y soient mis en mis en Ă©chec par l’élĂ©vation des exigences et qu’ils s’y sentent « dĂ©placĂ©s » au sens fort du terme. Ces collèges tendent Ă tabler sur un accompagnement pĂ©dagogique des familles et ne sont guère outillĂ©s pour faire face aux difficultĂ©s des Ă©lèves : ce sont alors aussi les professeurs qui se sentent dĂ©munis dans les cas oĂą l’afflux de boursiers est important. Il faudrait que davantage de travaux objectivent ces effets souvent nĂ©gatifs des dĂ©placements d’élèves pour cesser de leur prĂŞter des vertus qu’ils n’ont pas. En fait les collèges ne sont pas armĂ©s pour les aider. On ne sait pas faire et ça crĂ©e des problèmes ».
Cette possibilitĂ© de choisir est-elle nĂ©gative ? Pour Choukri Ben Ayed elle montre surtout « l’Ă©chec d’une politique Ă©ducative ». « Parler de libertĂ© de choix c’est voir les choses par le petit bout de la lorgnette. Ca veut surtout dire que le système Ă©ducatif se dĂ©grade et que les parents s’en rendent compte et s’en inquiètent. Les politiques devraient plutĂ´t s’intĂ©resser Ă Ă©galiser les conditions de scolaritĂ© plutĂ´t qu’encourager la fuite des Ă©lèves. Et pour cela amĂ©liorer la formation des enseignants et la dotation en moyens des Ă©tablissements de façon Ă ce qu’ils soutiennent enseignants et Ă©lèves ». Mais, pour lui, l’assouplissement cache une autre vĂ©ritĂ©. « L’autre enseignement c’est que la preuve est faite que l’assouplissement est un leurre, techniquement infaisable. Cela dĂ©sorganise trop le système, dĂ©grade l’Ă©cole et gĂ©nère des frustrations dans les familles. C’est infaisable si on refuse de faire table rase de la dimension rĂ©publicaine de l’Ecole ». La politique « d’assouplissement » de la carte scolaire de N. Sarkozy est Ă mettre dans son bilan. Sera-t-elle un thème de sa campagne ?
François Jarraud
Liens :
A qui profite la suppression de la carte scolaire ?
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/02/06022012Accueil.aspx#eleve
Le point de vue de l’Ocde sur la lutte contre l’Ă©chec scolaire
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/02/100212ocde.aspx
Article du Monde
http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/02/13/la-carte[…]
Bibliographie :
Broccolichi S., Sinthon R., (2010) « Libre choix », hiérarchisation des espaces scolaires et surcroîts d’échecs, in Ben Ayed C. (dir) l’Ecole démocratique, Armand Colin, p. 160-173.
Ben Ayed C. (2011), « Ă€ qui profite le choix de l’Ă©cole ? Changements d’Ă©tablissement et destins scolaires des Ă©lèves de milieux populaires », Revue française de pĂ©dagogie, 175, p. 39-58.
Au bilan : Le socle : Alibi ou grande cause nationale ?
Combien de quinquennats pour le socle commun ? Sept ans après la loi de 2005, « la mise en oeuvre du socle commun au collège reste lettre morte dans la plupart des Ă©tablissements du second degré » affirme le rapport sur « la mise en oeuvre du socle commun » publiĂ© par le Haut Conseil de l’Education (HCE). Comment expliquer un tel retard d’application ?
Le rapport du HCE n’est pas que nĂ©gatif. IL souligne les avancĂ©es comme la crĂ©ation d’outils de soutien pour les enseignants ou la mise en place du livret personnel de compĂ©tences (LPC), un objet Ă©ducatif dont les « distorsions » et l’application bureaucratique rend d’ailleurs le classement difficile entre appui ou sabotage du socle…
Mais la lecture du rapport dĂ©crit en rĂ©alitĂ© un système Ă©ducatif dans lequel le socle n’a encore pĂ©nĂ©trĂ© ni par la porte, Ă hauteur du terrain, ni par les plus hautes fenĂŞtres.  » L’institution et ses reprĂ©sentants Ă tous les niveaux, notamment les corps d’inspection, doivent tenir un discours cohĂ©rent et mobilisateur sur le socle commun », Ă©crit le HCE, signe que c’est loin d’ĂŞtre le cas. L’exemple vient de haut puisque le rapport dĂ©nonce aussi « les dispositifs d’alternance, en particulier de prĂ©-apprentissage » qui excluent de facto du socle les Ă©lèves qui y sont inscrits. On sait qu’ils sont appelĂ©s Ă se multiplier au nom de la « diffĂ©renciation des parcours » voulue par le gouvernement. A la base, « la rĂ©forme constituĂ©e par le socle commun serait inefficace si elle se rĂ©duisait Ă cocher juste avant un conseil de classe les diffĂ©rentes cases du livret personnel de compĂ©tences », continue le HCE qui sait ce qu’il en est dans la plupart des collèges. Et qui constate que le socle, rĂ©duit Ă une nouvelle sorte de brimade bureaucratique, est en train de dĂ©truire l’idĂ©e de l’approche par compĂ©tences.
Quel avenir pour le socle ? Le HCE pense que la solution pour assurer la diffusion du socle dans l’Ă©ducation est dans la formation des enseignants.  » Le socle commun doit faire partie des prioritĂ©s de la formation initiale des personnels d’encadrement comme des personnels d’enseignement, d’éducation, d’orientation et de direction ». Sauf que nous savons que la formation professionnelle a Ă©tĂ© rĂ©duite Ă quelques jours de consignes et de « tenue » de classe. Sept ans après la loi de 2005, le socle commun est devenu le monument qui matĂ©rialise l’absence de consensus sur l’Ă©ducation en France. Il est le fruit improbable des amours des partisans sincères de la dĂ©mocratisation de l’Ă©cole et des adeptes du pilotage par l’Ă©valuation. Pardon ! Il n’est pas le fruit de leurs amours mais le rĂ©sultat d’un quiproquo qui, comme dans une mauvaise pièce de boulevard, traverse tous les actes mais ne fait plus rire personne. RĂ©flĂ©chissons : qu’est ce qui pourrait faire durer cette situation au-delĂ de 2012 ?
Le rapport
http://www.hce.education.fr/gallery_files/site/21/116.pdf
Au bilan : L’Ecole devant la crise de recrutement
Le 14 février, le Snes a dévoilé les premiers chiffres sur la session 2012 des concours. Le risque de ne pas pouvoir pourvoir les postes, comme ce fut le cas en 2011, est très fort.
Recrutement : Une nouvelle catastrophe en 2012 ? « L’Ă©ducation nationale n’a pas du tout anticipĂ© les dĂ©parts en retraite dans la sociĂ©tĂ© française et se retrouve maintenant en concurrence pour la forte demande en salariĂ©s très qualifiĂ©s », a expliquĂ© Daniel Robin, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Snes le 14 fĂ©vrier.
Les rĂ©sultats ont Ă©tĂ© vus en 2011 quand 976 postes, dont 826 pour le Capes, n’ont pas Ă©tĂ© pourvus. Au regard des chiffres dont dispose le syndicat, le mĂŞme scĂ©nario devrait se renouveler en 2012. IL y avait 7492 admissibles en 2011 pour 4881 postes, il y en a 6314 pour 4847 en 2012. Dans certaines disciplines le nombre d’admissibles est dĂ©ja infĂ©rieur au nombre de postes : 92 pour 170 en lettres classiques par exemple ou 95 pour 100 en Ă©ducation musicale. Ailleurs c’est guère mieux : 909 admissibles pour 733 postes en lettres modernes, 1183 pour 950 en maths. Combien passeront l’obstacle des oraux ?
Des mesures d’urgence pour François Hollande. Pour Daniel Robin, « dès la rentrĂ©e 2012 il faudra un geste pour faciliter l’entrĂ©e dans le mĂ©tier des stagiaires » c’est Ă dire diminuer le nombre d’heures de cours qu’ils devront faire et amĂ©liorer leur formation. « Il faut que la formation des enseignants soit rĂ©visĂ©e en urgence avec des mesures significatives » et cela « quelque soit le gouvernement en place ». Pour faciliter le recrutement, « on ne s’Ă©pargnera pas une vraie revalorisation », prĂ©cise aussi Daniel Robin. Le CafĂ© avait soulignĂ© le silence de F Hollande sur cette question.
Dossier de presse Snes
http://www.snes.edu/Formation-des-enseignants.html
Sur le site du Café
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