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Par François Jarraud

Refonder l’Ecole, c’est l’objectif que François Hollande fixe à son mandat s’il est élu. Il prononce aujourd’hui, à Orléans, à 18 heures, un grand discours sur la réforme de l’Ecole. En exclusivité, en voici dès maintenant les principaux thèmes.

« Refondation », « redressement moral et intellectuel », François Hollande place l’enjeu de la reforme scolaire très haut. « C’est un nouveau contrat entre l’école et la Nation, un pacte éducatif  » qu’il propose, « une réforme globale ».  » La France, parce qu’elle est une République, entretient un rapport particulier, privilégié, à son Ecole », déclare-t-il. « C’est le résultat d’une longue histoire, une longue et belle histoire… La liberté humaine, l’émancipation de la personne, l’établissement de la démocratie, supposent une éducation, un apprentissage, une culture, un savoir, des connaissances, mais aussi des combats « . Or  » jamais l’Ecole de la République n’a été à ce point attaquée, brutalisée, qu’au cours de ces cinq dernières années, dans ses moyens bien entendu, et tout autant dans ses missions, mais surtout dans ses valeurs. Il va nous falloir rectifier cette erreur qui est une faute, la corriger, la réparer », promet F Hollande. C’est pour lui une exigence démocratique mais aussi économique.

Un objectif : lutter contre l’échec scolaire. « L’échec scolaire n’est pas une fatalité ! Non, la réussite des uns ne se nourrit pas forcément de l’échec des autres ! On veut trop souvent nous faire croire que pour que les uns réussissent les autres devraient échouer ! Les raisons de l’ampleur de l’échec scolaire en France sont ailleurs, dans cette “machine à trier” qu’est devenue notre Ecole », affirme-t-il. Pour lui 40% des jeunes entreraient en 6ème avec une faible maitrise de l’écrit, un diagnostic plutôt sévère.

François Hollande porte son effort en priorité sur le primaire.  » j’ai décidé de faire de l’école maternelle et de l’enseignement primaire une priorité de mon action ». Il annonce le renforcement de l’encadrement au primaire, inférieur effectivement à la moyenne des pays de l’OCDE.  » Je m’engage à ce que le principe dit “de plus d’enseignants que de classes” soit adopté et mis en oeuvre », promet-il. Il créera aussi une obligation d’accueil en maternelle à 3 ans et promet une remontée du taux de scolarisation pour les enfants de moins de 3 ans en zone prioritaire. Parallèlement, F Hollande annule les évaluations nationales qui seront remplacées par des évaluations indépendantes probablement par sondage. Ces évaluations avaient été très critiquées par le Haut Conseil de l’Education qui en avait critiqué la qualité. Les programmes très critiqués de 2008 seront revus. Mais F Hollande veut aussi une réforme des rythmes scolaires sur l’année et sur la semaine. C’est à dire le passage de 4 jours de classe par semaine à 4 jours et demi.

Sur le collège, il s’oppose aux orientations précoces que Luc Chatel a multipliées. « Ce qui fait la force des systèmes éducatifs qui marchent le mieux, c’est l’importance et la durée du tronc commun. C’est pourquoi je refuse totalement les orientations précoces proposées par l’actuel gouvernement. Vouloir orienter les élèves dès la fin de la cinquième, c’est accentuer les défauts de notre système, c’est trier encore et plus tôt, c’est aggraver encore les inégalités ».

Pour le lycée, François Hollande veut aller vers des lycées polyvalents associant général, technologique et professionnel, sans fixer d’objectifs précis. Il souhaite une réforme de l’orientation au bénéfice de l’enseignement professionnel. Les filières supérieures courtes devront faire place aux bacheliers technologiques et professionnels.

C’est sur la réforme de la formation que l’on attend aussi F Hollande. Il promet une refonte de la formation des enseignants. Outre le rétablissement de l’année de stage, il rétablira « une formation initiale et continue digne de ce nom » c’est dire que l’année de stage sera rétablie. Les enseignants seront formés dans des Ecoles supérieures du Professorat et de l’Education, au sein des universités, qui remplaceront les IUFM.

Et le métier ? F Hollande maintient le socle mais veut « l’adapter ». « Les pédagogies doivent évoluer », affirme-t-il, « le travail en équipe encouragé ». Mais le candidat mise sur la liberté des enseignants , en opposition à la mise en concurrence dont il accuse ses adversaires. C’est sur la sécurité et l’autorité qu’il conclue cet aspect de son discours. « L’autorité doit être restaurée. La sécurité doit être assurée ». Pour cela il mise sur l’augmentation du nombre d’adultes dans les établissements et la création d’un nouveau métier », évoqué à Perrefitte courant janvier. Il a bien sur confirmé l’embauche de 60 000 personnels supplémentaires dans l’éducation.

Alors que la droite veut mettre le temps de travail des enseignants en coeur de campagne, le discours de F Hollande cherche l’équilibre entre els attentes de la société envers son école et celles des enseignants. Les points d’équilibre seront définis dans une loi à l’automne et donc il y aura peu d’avancées concrètes à la prochaine rentrée. Un thème n’est pas abordé dans le discours : celui de la revalorisation, qui est pourtant attendue et une étape nécessaire au recrutement des 60 000 nouveaux enseignants.

Comment les syndicats accueillent-ils le programme de F. Hollande ?

Interrogés par le Café, les leaders du Snes, du Snuipp et du Se-Unsa accueillent différemment le discours de F Hollande.

Christian Chevalier, secrétaire général du Se-Unsa, salue « la vision humaniste et sociale de l’école » de F Hollande, « opposée à celle de N Sarkozy ». Il juge très intéressant le discours sur le primaire « après 10 ans de désintérêt » pour le premier degré. Il approuve le maintien du socle, le refus de l’orientation précoce, le rétablissement de la formation des enseignants. Il a pourtant deux déceptions : F Hollande ne parle pas ni de revalorisation financière ni de l’évaluation des enseignants. Sur le premier point, pour lui, les arbitrages ne sont pas faits.

Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp, est le plus enthousiaste. « François Hollande a une vision de l’école » nous dit-il. Il salue la priorité au primaire, le rétablissement de la formation des enseignants, le principe du « plus de maîtres que de classe », la promesse de concertation. « Je constate avec satisfaction que la bataille pour défendre l’école durant ces dernières années n’a pas été vaine », lâche-t-il. Il retrouve dans les propos de F Hollande plusieurs revendications de son syndicat. « Les enseignants ont besoin de retrouver la fierté dans leur métier et la société de croire à nouveau dans son école ». La question des rythmes scolaires ne lui semble pas tabou. La question de la revalorisation « est une vraie question » même si le métier « est revalorisé dans la façon d’en parler ».

Déception. C’est l’impression que donne Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes. Pour elle, « il y a une véritable volonté de rupture avec la politique de ces 5 dernières années et c’est positif ». Il y a des choses concrètes mais aussi du flou ». Le flou c’est le second degré sur lequel F Hollande n’a pas dit grand chose. « Ca manque de fond et de réflexion » par exemple sur les questions qui se posent en classe. F Rolet regrette aussi de ne pas savoir comment seront répartis les nouveaux emplois. « La revalorisation reste symbolique ». Sur l’évolution du métier elle invite à être prudent.

Agressif, Luc Chatel a réagi pour l’UMP au discours de F Hollande en demandant « des droits d’auteur » sur des mesures qu’il estime déjà mises en oeuvre comme les AVS, la conférence sur les rythmes scolaires. « Le programme de F Hollande se réduit à un plagiat des mesures » sauf sur deux points : F Hollande « manque de courage » sur l’autonomie des établissements et est « obsédé des moyens ».

Editorial : Les silences de François Hollande

Le ton républicain du discours de François Hollande, l’appel au redressement moral, la dignité reconnue à l’école et au métier d’enseignant ont frappé les participants au meeting d’Orléans. Ces propos sont d’autant plus utiles qu’on sait que les enseignants vont faire les frais d’une campagne médiatique probablement violente dans les semaines à venir. Pour autant le discours de François Hollande a ses silences qui interrogent les acteurs.

Le premier porte justement sur le métier d’enseignant. Si François Hollande veut revoir les rythmes scolaires cela aura forcément des conséquences pour les professeurs. La question de la revalorisation salariale n’est même pas mentionnée dans le discours alors que les enseignants français sont parmi les moins bien payés des pays de l’OCDE. Il y a évidemment un rapport entre des salaires aussi faibles et la difficulté qu’éprouve le ministère à trouver des candidats aux concours. Comment dès lors embaucher les 60 000 nouveaux fonctionnaires promis par F Hollande ? Comment penser que François Hollande et son équipe n’ont pas à l’avance construit leur budget ? Comment dès lors interpréter ce silence ?

Une autre zone d’ombre porte sur le secondaire. F Hollande a sans doute raison de mettre l’accent sur le primaire. Sur ce terrain la réflexion est avancée et des mesures précises, comme la suppression des évaluations ou la révision des programmes de 2008, sont annoncées. Faut-il pour autant considérer que tout va bien au collège et au lycée ? S’il est légitime de conserver le socle commun faut-il maintenir l’absurdité bureaucratique que constitue le livret personnel de compétences tel qu’il a été introduit par Chatel ? Faut-il conserver le curieux monstre qu’est devenu le brevet où s’empilent un examen classique surmonté de la validation du socle ? Devant l’échec qu’est la réforme du lycée est-ce son application seulement qui pêche ? Que penser de l’entassement des dispositifs d’accompagnement introduits de l’école au lycée sans que leur efficacité soit démontrée ? Est ce le principe même de ce type d’aide qui est à revoir ou est-ce l’application qu’en ont fait Darcos et Chatel ?

En parler davantage c’est peut-être diminuer d’autant les futures négociations. Mais ne rien dire n’est-ce pas montrer que le candidat n’est pas prêt ou qu’il n’a pas arbitré ? Dans la campagne qui s’annonce d’une rare violence le temps de travail et le salaire des enseignants seront des thèmes de campagne. Inutile d’attendre pour clarifier les positions.

Eclairage : Vincent Peillon : « Refonder la République par l’école »

« Il faudra revoir les programmes de 2008, et cesser les empilements, les redondances ou les aberrations ». C’est à une  » refondation de la République par l’école » qu’appelle Vincent Peillon, chargé de l’éducation dans l’équipe de campagne de François Hollande. Il annonce la publication du programme Hollande en janvier 2012 et d’ici là entre peu dans les détails. Le programme mettra  » la qualité du rapport entre le professeur et l’élève » et la pédagogie au centre de toute réforme du système éducatif. Sur la question du temps de travail des enseignants il invite à  » utiliser au mieux ce temps de travail pour l’épanouissement des personnels et la réussite des élèves ». Sur celle de la revalorisation, « dans l’état des finances publiques qui est le notre, comprenez que la revalorisation indiciaire n’est pas l’action la plus évidente ». Demain l’Ecole aura toujours besoin d’enseignants dévoués et la République de ses hussards noirs…

Etes-vous sorti de la phase des consultations avec les acteurs de l’Ecole ? Sinon quand publierez vous le programme Hollande pour l’Ecole ?

V Peillon - photo José LavezziFrançois Hollande est candidat à l’élection présidentielle. Il va proposer un projet pour la France. Dans ce projet, il a annoncé qu’il veut mettre un terme à la crise de l’avenir qui ronge notre pays, l’affaiblit, le désunit. Au coeur de cette ambition il y a l’école, non seulement parce qu’elle est au fondement de notre identité républicaine, mais parce qu’elle est la France de demain. Edgar Quinet disait de l’écolier qu’il est le « messager de l’avenir ». En abandonnant l’école, la droite a sacrifié notre avenir. Nous voulons retrouver le sens du progrès, la promesse républicaine, et nous savons que l’école est le vecteur pour le faire. Il appartient à François Hollande de donner du sens, de fixer une orientation, de défendre des valeurs, pas seulement d’écrire un programme.

D’où la deuxième volonté de François Hollande, celle de passer un nouveau contrat entre l’école et la nation. Cette idée n’est pas rien. Il s’agit de dire que l’école est l’affaire de tous, le bien de tous, qu’elle relève de l’intérêt général, et que donc tout le monde doit prendre en charge cette oeuvre qui est une oeuvre de refondation républicaine. C’est la nation toute entière qui doit se mobiliser autour de son école. C’est un choix de valeur et un choix de société. Nous voulons porter le projet d’une société qui replace la connaissance, le savoir, l’avenir, la justice, la laïcité au coeur du pacte républicain C’est dans cette perspective que François Hollande a souhaité que je puisse rencontrer, avec tous ceux et toutes celles qui m’entourent, l’ensemble des acteurs pour baliser ce que pourra être cet acte de refondation dont il avait précisé au salon de l’éducation qu’il devrait prendre, pour commencer, la forme d’une loi de programmation votée à l’automne.

Une première série de consultations est terminée, mais d’autres vont se poursuivre à travers des groupes thématiques pour approfondir plusieurs points et voire jusqu’où on peut aller. C’est un travail sérieux, discret, approfondi, respectueux des rôles de chacun, mais qui dit bien combien nous partageons tous la volonté de conduire ensemble ce redressement national autour et à partir de notre école. François Hollande aura à proposer son projet pour la France, et sa vision de l’école républicaine du XXI siècle, sans doute dans les premières semaines de 2012, et il aura plusieurs occasions de préciser ce projet jusqu’en mai.

A droite l’UMP met en avant un modèle cohérent sur l’Ecole : celui du pilotage par l’évaluation et la mise en concurrence des écoles et établissements. C’est un modèle qui est déjà opérationnel dans plusieurs pays ce qui lui ajoute du poids. Pensez vous que la France puisse échapper à ce modèle de gestion de l’Ecole ? Si oui, par quoi le remplacerez vous ?

Un modèle cohérent? Je ne le crois pas. L’évaluation nous dit qu’il faut mettre des moyens sur le primaire, sur la formation des enseignants, envisager d’autres rythmes pour les élèves…..Que fait la droite? exactement le contraire! C’est ça le pilotage par l’évaluation?

Le seul pilotage de l’éducation nationale depuis cinq ans est fait par Bercy: on rend des postes, on applique la règle de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, et après on cherche où les trouver: c’est ainsi qu’on n’ accueille plus les petits à la maternelle, qu’on dépouille les zones prioritaires de leurs moyens, qu’on n’accompagne plus les publics handicapés, qu’on supprime la formation des enseignants dans l’urgence, qu’on n’assure plus les remplacements….D’ailleurs, vous l’aurez observé, la droite ne publie pas les évaluations qu’elle demande. Pourquoi? Parce que ces évaluations montrent nettement les erreurs de sa politique et les conséquences lourdes de ces erreurs en termes de performance du système et de réussite des élèves. La droite a réussi a abaisser le niveau et augmenter les inégalités. Mais comme elle préfère la propagande à l’action réelle, elle refuse la publication des études et même des rapports de l’inspection générale C’est un déni de démocratie inacceptable. La cohérence de la droite, la seule, c’est de faire reculer l’école et de la soumettre à une logique d’entreprise. Cette incohérence est évaluée: puisque certains semblent rêver du retour des blouses grises, revenons aussi au bonnet d’âne. Bonnet d’âne pour les politiques de la droite, voilà ce que disent les évaluations

Notre modèle est simple, et c’est un principe supplémentaire de notre action: notre seule cohérence, c’est la réussite de tous les élèves, et notre entrée dans toutes les questions, temps scolaires, méthodes, orientation, programmes, et même gouvernance, est toujours d’abord pédagogique. C’est le seul critère: la réussite de tous les élèves. Par ailleurs, faisons attention à ne pas croire qu’un système peut en imiter un autre. L’éducation, ce sont des tables, des bâtiments, des décrets, des circulaires, un grand corps, mais c’est aussi des moeurs, une histoire, une culture, un esprit et un pays comme la France a une culture scolaire spécifique et un esprit public bien à lui qui n’a pas que des défauts.. On ne part pas de rien.

Dans les idées qu’on entend un peu partout (pas seulement chez des politiques de droite), il y a l’idée qu’on peut augmenter le temps de travail des enseignants. Même si, de fait, les rectorats n’arrivent plus à caser leurs heures supplémentaires défiscalisées. Quel est votre sentiment là dessus ?

Comme souvent, c’est une mauvaise entrée dans le sujet. Les enseignants travaillent pour l’immense majorité d’entre eux beaucoup, et souvent dans des conditions de plus en plus difficiles. Un certain nombre d’études existent qui montrent clairement cela. La véritable question est de savoir comment utiliser au mieux ce temps de travail pour l’épanouissement des personnels et la réussite des élèves. C’est là que la discussion doit porter et que des évolutions doivent avoir lieu. Beaucoup en partagent maintenant l’idée, à condition de respecter la reconnaissance des disciplines, et de dépasser des fausses oppositions qui n’ont que trop contribué à diviser ceux qui aiment l’école et à faire le lit de ceux qui ne l’aiment pas.

Certains courants expliquent que l’amélioration des performances du système éducatif passe par une autonomie plus grande des établissements. Partagez-vous cette analyse et pourquoi ?

Si l’autonomie c’est le caporalisme, le management, la logique des moyens, l’abandon des cadres nationaux, non. Si c’est l’équipe pédagogique, le projet éducatif local, la construction de réponses spécifiques, oui, et cela existe déjà. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la possibilité de travailler en équipes, de construire des projets particuliers, de gérer une partie du temps, de contractualiser avec les collectivités locales, les associations ou même d’autres acteurs culturels ou économiques suppose du temps, de la reconnaissance, de l’apprentissage aussi si l’on veut que cela ne soit pas un substitut à des missions fondamentales d’instruction. Dans les études dont nous disposons, le facteur autonomie n’est pas déterminant. Cela dépend des endroits: la Finlande, de ce point de vue, n’est pas les Etats-Unis. Ce qui est déterminant, c’est la qualité du rapport entre le professeur et l’élève, rapport qui doit être replacé au coeur de notre système et qui exige, je le redis, des évolutions.

Le débat sur les « compétences » et l’évaluation des élèves est très fort depuis quelques années, dans les pays de l’OCDE. Il semble que ces notions fassent débat chez les enseignants. Comment pensez-vous que le système éducatif français puisse dépasser l’apparent antagonisme entre programmes et socle commun, entre évaluation par compétence et examens nationaux (brevet, bac…) ?

Nous ne devons pas idéaliser inutilement le passé, et du même coup le méconnaître. Nous devons repenser l’évaluation: elle est violente, peu formative, organise une orientation et une sélection par l’échec, provoque beaucoup de souffrances et finalement impose des modèles rigides et malthusiens qui ne diversifient pas les profils de réussite et ne nous permet pas de répondre même à nos besoins de professionnels dans certains secteurs. Ce système vaut d’ailleurs à tous les niveaux: pour les professeurs comme pour les élèves. Que cela fasse débat, tant mieux, car il n’y a pas d’éducation parfaite, pas d’homme parfait, pas de société parfaite, et que c’est une nécessaire qualité du pédagogue que de toujours s’interroger sur son action, sur les concepts qu’il utilise et les finalités qu’il sert. La réflexion critique est partie prenante du métier.

Mais enfin, là encore: je ne vois pas qu’il faille revenir sur l’idée du socle commun, même si je n’aime pas cette idée d’un socle, comme si l’on voulait ramener l’élève, qui doit s’élever, vers la terre; je n’oppose pas cela à l’idée de culture commune. Je rappelle que nous sommes certains qu’il faut concentrer les apprentissages sur les matières fondamentales dés le plus jeune âge, mais je rappelle aussi que Jules Ferry parlait d’une « éducation libérale », c’est-à-dire d’une école qui permette l’accès aux arts libéraux aux enfants des classes les plus modestes. Je n’oppose pas éducation et instruction, discipline et pédagogie, compétences et savoirs, socle et culture: je réprouve les pensées binaires, et je souhaite que François Hollande puisse construire avec tous l’école de la nouvelle France.

Il faudra revoir les programmes de 2008, et cesser les empilements, les redondances ou les aberrations. Nous le savons tous. Là encore l’entrée pédagogique est fondamentale, et l’intérêt commun, l’intérêt de l’élève, ne peut être la résultante d’une pluralité d’intérêts, sans doute tous très respectables, mais particuliers. Dans un système comme le nôtre, la question du pilotage par les examens se pose, et donc cette question n’est pas taboue. Mais il faut l’inscrire dans une vision globale et veiller à ne pas afficher de chiffons rouges.

Dans le débat sur l’école, il y a une forte propension à commencer par les sujets saturés de passion afin d’être sûrs de tout bloquer…cela ne me semble pas de bonne méthode. Et pas à la hauteur du défi que nous devons essayer de relever. Car nous ne pouvons accepter d’en rester là où nous sommes rendus aujourd’hui. Nous devons opérer non pas une énième réforme, pour habiller une régression de plus, mais une refondation républicaine. Cela ne se fera pas sans le soutien, l’accord, l’engagement des enseignants. Il faut retrouver l’énergie des grandes tâches. La France a besoin de ses professeurs pour réussir son entrée dans le XXI siècle et se redresser.

Les travaux de l’OCDE montrent que les salaires des enseignants ont relativement diminué depuis 1995 et qu’ils sont bas par rapport aux pays voisins. Là aussi qu’est ce qui peut être fait ? Avec quelles exigences en retour ? Comment rendre le métier à nouveau attractif ?

C’est un sujet majeur, et François Hollande est très préoccupé de la crise des recrutements. Je ne nie pas ce que vous dites, mais dans l’état des finances publiques qui est le notre, comprenez que la revalorisation indiciaire n’est pas l’action la plus évidente. Par contre, des problèmes se posent: la formation initiale et continue, les déroulements de carrière, mais aussi les prérecrutements car avec la mastérisation nous risquons de décourager du métier beaucoup de jeunes qui auraient pourtant la vocation mais qui n’ont pas les moyens de poursuivre sans revenus des études aussi longues. Vous savez que de plus en plus de jeunes travaillent pour payer leurs études, qu’ils travaillent de plus en plus d’heures, et qu’il y a une corrélation entre cette nécessité où ils se trouvent et l’échec dans les études.

C’est un plan d’ensemble que François Hollande proposera, car il ne peut accepter l’idée qu’un pays comme le notre ne puisse même plus recruter des professeurs pour éduquer ses enfants tant on a abîmé les conditions du métier. J’ai été frappé tout au long des discussions que nous avons menées d’avoir des enseignants ou des acteurs dont la préoccupation est d’abord celle de leur métier, des élèves, de la nation, bien avant la question de leurs situations. personnelles Nous sommes bien loin de l’image lamentable que certains ont voulu donner des enseignants. Ils ont des valeurs fortes et une haute idée de leur responsabilité et de leur tâche malgré les attaques qu’ils n’ont cessé de subir ces dernières années, et parfois malheureusement un peu avant. Jaurès disait de la République qu’elle est un grand acte de confiance. On pourrait dire la même chose de l’éducation et de l’instruction. Alain disait: « il faut donner d’abord ». Je veux que nous retrouvions cette confiance. C’est ce que propose François Hollande avec la priorité à la jeunesse et à l’école.

La situation économique ne cesse de se dégrader. Dans cette perspective est-il encore possible de dégager des moyens supplémentaires pour l’Ecole par exemple pour embaucher 60 000 personnes ? Le futur gouvernement peut-il s’engager sur des moyens supplémentaires pour l’éducation ?

François Hollande a pris ses responsabilités, et chacun convient maintenant, après le temps des sarcasmes, que c’était courageux et juste. On fait deux milliards de cadeaux fiscaux aux plus gros patrimoines par la réforme de l’ISF encore cette année, on gaspille de l’argent, 75 milliards d’euros en cinq ans avec des cadeaux fiscaux inutiles, et là où se prépare l’avenir du pays, à l’école, il faut s’affaiblir sans cesse davantage. Ce n’est pas raisonnable. Si l’on veut reconstruire une formation des enseignants digne de ce nom, permettre de meilleurs apprentissages durant les premières années, accueillir les enfants handicapés, améliorer l’orientation, briser le noyau dur de l’échec scolaire, arrêter l’hémorragie des jeunes qui sortent du système sans qualification, il faudra des moyens. Ceux-ci devront accompagner un véritable effort d’amélioration de nos pédagogies, et donc les réformes nécessaires.

Mais la première rupture à faire est de comprendre que pour nous l’éducation n’est pas une dépense passive, un coût: c’est un investissement, le premier investissement d’avenir, qui entraînera notre croissance et compétitivité de demain. Il appartiendra à François Hollande de rendre ses arbitrages. Mais il a déjà affiché clairement la priorité qu’il veut accorder à l’école. A ceux qui aiment l’école et y consacrent leur vie de répondre à cet espoir. On l’attendait depuis longtemps pour en relever le pari. François Hollande a dit, vouloir refonder la République par l’école: cette refondation a besoin de ses nouveaux hussards noirs.

Propos recueillis par François Jarraud

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