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Par François Jarraud

Dans un rapport remis le 9 mars, l’Inspection générale fait le point sur l’application de la réforme du lycée général et technologique. Ce fleuron difficilement construit de l’ère sarkozienne se heurte à ses contradictions et à de nombreux obstacles. Aujourd’hui les objectifs principaux de la réforme sont loin d’être atteints. Les inspecteurs appellent à s’en remettre au temps. Pendant ce temps, les élèves essuient les plâtres…

« Le risque serait de réformer de nouveau les lycées, dans un avenir proche… La réforme est au milieu du gué ». En concluant ainsi le « rapport de suivi de la réforme du lycée », appuyé sur un choix d’académies (Aix-Marseille, Caen, Créteil, Grenoble, Lille, Nancy-Metz et Rennes) et d’établissements plus équilibré qu’en 2010, les inspecteurs généraux Catherine Moisan et Jean-François Cuisinier posent la question de l’avenir de la réforme. Et même s’ils invitent à poursuivre, ce n’est évidemment pas sans raisons qu’ils s’interrogent à ce sujet. C’est qu’à ce jour aucun des objectifs de la réforme n’est atteint et que, si « le processus de la réforme est réellement engagé dans la grande majorité des lycées visités », des effets indésirables et pervers voient le jour. Enfin la pression budgétaire plombe la réforme.

La réforme Chatel se fixait pour premier objectif de rééquilibrer les flux d’orientation particulièrement au profit des séries L, STI2D et STL, grâce aux « enseignements d’exploration ». Or au bout de la deuxième année ces objectifs ne sont pas atteints. Certes la filière L passe de 9,5 à 10,2 % des passages en fin de seconde mais cette hausse est à mettre en perspective avec l’augmentation du taux de passage vers les filières générales (+6,8% en 6 ans). En réalité la hiérarchie des filières est renforcée, la plus forte hausse se portant sur la série la plus « noble », la série S : 30,8 % des sorties en 2009, 32,6% en 2011. Les séries STI2D, STL et ST2S enrayent juste leur chute. « L’absence de mutualisation entre les lycées et l’insuffisance de l’information des familles dans les collèges font craindre de voir de nouveau diminuer les effectifs des séries STL et STI2D », notent les inspecteurs. Le rapport souligne d’ailleurs que les conseils de classe n’ont pas modifié leurs procédures d’orientation. Selon les inspecteurs, « l’offre du lycée prime sur tout autre levier » dans les choix d’orientation. Ainsi 12,8% des élèves des lycées ayant une série L optent pour cette voie contre 1,3% dans les autres établissements. « Tout se passe donc comme si chaque lycée fonctionnait en limitant les parcours possibles pour ses élèves à l’offre dont il dispose et qu’il connaît ». La réforme a, dans le contexte de suppressions de postes, juste renforcé la concurrence entre établissements. Les lycées sont engagés dans « une lutte pour la survie » qui rend le reste secondaire. « Qui peut croire qu’en un an ou deux les choix des élèves peuvent changer radicalement », estime Philippe Tournier, secrétaire général du premier syndicat de chefs d’établissement, le Snpden, interrogé par le Café. « Il faut 5 à 10 ans pour obtenir des résultats ». Pour lui les choix sont pilotés par le post-bac et les représentations mettent du temps à évoluer. « Il n’y a pas eu de miracle », nous a confié Claire Krepper, secrétaire nationale du Se-Unsa, un syndicat qui s’est investi en faveur de la réforme. « On est très déçus de voir que les enseignements d’exploration ouvrent peu le choix des possibles. D’autre part on a beaucoup d’inquiétudes pour les STI2D où il y a une grande souffrance des personnels ».

L’autre grande réforme c’est « l’accompagnement personnalisé » (A.P.) un dispositif censé personnaliser l’enseignement. Or il ne semble pas réussir à aider les élèves qui en ont besoin. Il a bien été institué dans la plupart des établissements, avec des modalités de fonctionnement différents. Mais le rapport montre beaucoup d’errance dans l’utilisation des heures et de gros problèmes d’organisation : « certains échecs d’organisation trop complexe l’an dernier ont fortement déstabilisé les professeurs ». Globalement, les inspecteurs ne manquent pas de rendre les professeurs seuls responsables des difficultés, dressant un portrait caricatural des enseignants. « Une première catégorie de professeurs éprouve de fortes réticences à se projeter dans le rôle qui lui est assigné par la réforme… Les professeurs ont appris à transmettre une discipline, pas à enseigner… Une autre catégorie, au contraire, se félicite de cet « espace de liberté » qui leur permet enfin d’exercer leur véritable métier de professeur. Ces professeurs font preuve d’un haut niveau de professionnalisme… » Pourtant les élèves sont encore plus critiques puisqu’il jugent que l’A.P. « ça ne sert à rien ». Le tutorat n’est présent que dans une minorité d’établissements. Pour Roger Keime, secrétaire général du SNIA-IPR, principal syndicat d’inspecteurs du secondaire, l’A.P. est efficace pour les deux tiers des élèves moyens mais inefficace pour le quart des élèves en vraie difficulté.

L’autonomie des établissements, un autre grand enjeu de la réforme, semble progresser dans la mesure où les chefs d’établissement ont corrigé des erreurs. « Certains échecs d’organisation (de l’A.P.) trop complexe l’an dernier ont fortement déstabilisé les professeurs », reconnaît le rapport, et particulièrement les barrettes. « L’organisation de l’AP à la rentrée 2011 en 2nde a souvent tenu compte des dysfonctionnements de l’année dernière : des alignements de classes en barrette mis en place par beaucoup de lycées sur une grande échelle mais souvent mal gérés par excès d’ambition et défaut d’organisation ; le désir « contrarié » de nombreux enseignants de travailler avec les élèves qu’ils connaissent ; la place donnée aux élèves dans le dispositif », notent les inspecteurs. Globalement on assiste à la décrue des barrettes et au retour du groupe classe, spécialement en première. Que dégâts pour en arriver là ! Au final, « les résultats sont très inégaux, les inquiétudes sont toujours présentes, les incompréhensions aussi et les professeurs expriment un sentiment « d’abandon » est encore plus fort ». Les inspecteurs craignent que les contraintes d’emploi du temps, liées à la multiplication des groupes en barrettes (des « usines à gaz »), ne deviennent insolubles l’année prochaine avec l’extension de la réforme en terminale. A certains endroits, là où le chef d’établissement est particulièrement sourd ou zélé, la réforme a conduit à une nette dégradation du climat scolaire. Il reste pourtant bien des progrès à faire en matière d’autonomie note P. Tournier. Relevant l’exemple de ce lycée repris en main par le rectorat pour avoir utilisé ses moyens pour alléger les effectifs classe, il note que « le conformisme reste plus important que l’efficacité ». L’autonomie n’existe que quand elle se conforme à l’idéologie officielle.

La réforme remet en question le statut. La réduction des moyens nuit à la réforme, affirment les inspecteurs. « Dans certaines académies, le poids des suppressions d’emplois est si prégnant dans la gestion de l’académie et ses relations avec les établissements que le pilotage par les moyens prévaut mécaniquement sur le pilotage pédagogique ». Pourtant, les inspecteurs trouvent donc légitimes de remettre en question un garde-fou important de la réforme : la dotation des moyens par division.  » La dotation à la division pose un problème pour les classes de 1ère gt qui comportent maintenant des divisions mixtes. Plus généralement, elle provoque des effets de seuil importants ». Ils proposent donc d’y mettre fin et d’aller « plus loin dans la globalisation des modalités de dotation des lycées… Ces constats montrent également que, si la lettre du décret de 1950 est toujours en vigueur malgré son ancienneté d’une soixantaine d’années, elle doit être appliquée avec discernement car nos lycées ne ressemblent pas à ceux des années 1950 et la réforme suppose d’autres modalités d’investissement des enseignants ».

Les préconisations ne s’intéressent qu’à la gestion des moyens et aux cadres du système éducatif. On est très loin des élèves et des professeurs. Les inspecteurs veulent « renforcer la globalisation des DGH », ce qui augmenterait l’autonomie des établissements mais faciliterait aussi les retraits de moyens, aujourd’hui bloqués par les textes. Quatre préconisations sur 12 ne concernent que les IPR. Les autres concernent l’accompagnement des chefs d’établissement. Pour Roger Keime, , certaines préconisations sont inacceptables comme la 6ème qui met les inspecteurs sous l’autorité de leurs collègues DASEN.

Pour le moment la réforme Chatel n’a pas atteint ses objectifs. Pour P Tournier comme pour C. Krepper, « il faut laisser du temps au temps ». Plus qu’accentuer les divisions entre les personnels, « globalement les conseils pédagogiques fonctionnent, les enseignants se sont rendus compte qu’on peut faire des choses au niveau local », affirme P Tournier. Il reste cependant que les élèves eux ne font qu’une seule première et une seule seconde… Peut-on jouer à quitte ou double avec eux ? « Sans doute on pouvait faire mieux en terme de préparation et d’accompagnement », estime C Krepper. « Pour autant je ne crois pas qu’on sacrifie une jeunesse. Les élèves sont davantage dans la perspective de l’après-bac et ça c’est positif. Pour les enseignants, on a créé des conditions pour le travail collectif. C’est aussi une avancée ». Que faudrait-il pour améliorer al situation ? « Briser l’étau de la DGH, cela rendrait la réforme plus acceptable. Continuer à investir sur les secondes. Remplacer la concurrence entre établissements par le travail en commun. Surtout ne pas revenir en arrière ». En ce sens ce rapport apporte un éclairage intéressant pour la nouvelle équipe qui arrivera au pouvoir dans quelques semaines.

Le rapport

http://media.education.gouv.fr/file/2012/96/8/Ra[…]

Le rapport de 2011

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/03/1[…]

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