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Par Jeanne-Claire Fumet


Le bac, la triche et la mort. Sacré cocktail pour Vincent Peillon ! Le conseiller éducation de François Hollande, était convié le 29 mars, à débattre avec des lycéens, des enseignants et des parents d’élèves au terme de la projection du film de Charlotte Silveira « Escalade ». Du film noir il a extrait la petite flamme de la confiance et des perspectives pour le système éducatif.


L’histoire


Sombre huis-clos entre une proviseure (Carmen Maura) et un quatuor d’élèves sans scrupules, le film explore le thème de la triche et du mensonge poussés au paroxysme comme moyen alternatif de réussite scolaire. Les élèves, issus de milieux aisés, revendiquent leur nullité scolaire mais ne veulent pas échouer au bac ; ils élaborent une ruse pour récupérer leurs copies avant correction, tandis que la proviseure, seule et démunie, s’efforce de les rappeler aux qualités de respect et d’équité. L’étouffante confrontation monte crescendo jusqu’au meurtre final qui signe l’échec de la triche comme de l’appel à la raison. Métaphore d’une rupture entre deux mondes et deux systèmes de valeur étrangers l’un à l’autre, le film laisse une impression de malaise dans la salle. Constat d’échec sans retour du dialogue entre générations ?


Une société de défiance


« Belle image de la jeunesse… », s’amuse Vincent Peillon, tandis qu’un groupe d’élèves du lycée Montaigne avoue à mi-voix ne guère se reconnaître dans les jeunes gens du film. « Mais je ne crois pas que le bac ait encore jamais provoqué tant de violence ! » poursuit-il quand on le questionne sur la pertinence de maintenir une épreuve si chargée symboliquement. Distinguant la fiction du réel, repoussant les généralités hâtives et les faits divers trop bruyants, le conseiller éducation du PS (agrégé de philosophie, familier des jurys d’examen) ramène le débat à la réalité : la « mise en situation d’exaspération réelle » que constitue le système scolaire à l’heure actuelle. Si elle ne conduit pas à de tels affrontements meurtriers, elle n’en reste pas moins source de souffrance, en France plus qu’ailleurs, pour les élèves, les enseignants et les parents. Mais plutôt que la cause d’un malaise de société, il faut y voir un symptôme : celui d’une société dépressive marquée par la défiance réciproque et systématique. Une société où l’on ne parvient plus à se projeter collectivement dans l’avenir et où l’on réclame sans cesse plus de gages, de titres et de diplômes, mais où les arbitrages ne sont jamais rendus en faveur de la jeunesse et de l’avenir mais des intérêts présents.


Plus d’encouragements, moins de sanctions


Comment faire renaître la confiance ? Il faut travailler à sortir d’un système d’évaluation-sanction qui décourage et ne fait pas assez progresser. Pour le conseiller de F. Hollande, la destruction de la recherche pédagogique et de la formation des professeurs, la mise en opposition systématique des acteurs de l’école (parents, élèves, enseignants) et des enseignants entre eux, contribuent à ruiner les efforts pour trouver de nouvelles manières de fonctionner ensemble. « L’éducation est un problème majeur, rappelle-t-il, nous le mettons au centre. Tout le monde doit se mettre à l’œuvre, pas seulement les élèves et les enseignants ». V. Peillon évoque le chef d’une grande entreprise qui prend le risque d’embaucher des jeunes sans bagages et de les former. « Mais un patron de P.M.E. peut-il prendre ce risque ? demande un jeune homme. Et le projet de refonte totale de l’éducation est-il faisable en 5 ans ? » C’est un gros risque politique, admet V. Peillon, parce que les effets de l’action ont besoin de dix ans au moins pour être perceptibles : « le temps médiatique, celui de la politique et celui de l’action publique ne coïncident plus. Mais raison de plus pour engager cette refonte de manière prioritaire, c’est une question de courage politique. »


S’interroger sur le sens de l’existence


Les attentes autour de l’école sont contradictoires. Pour les parents, il y a une vraie angoisse devant les performances scolaires attendues de leurs enfants, ce qui explique des attitudes parfois consuméristes à l’égard de l’école. Les enseignants, de leur côté, ont souvent pensé défendre au mieux les valeurs de l’école en se tenant au plus près de leurs fonctions d’enseignement et de transmission des savoirs. Mais ces valeurs de l’école sont celles de la République. Comment les transmettre aux jeunes quand elles sont contestées par tous, méprisées au plus haut de la société ? L’exemplarité publique doit jouer un rôle de modèle dans cette transmission, l’école ne peut pas y arriver toue seule. Et si on attend tout d’elle, elle n’y arrivera pas. L’école n’est pas un secteur ordinaire. Quand la République est atteinte dans ses valeurs, l’école s’en trouve affaiblie. C’est aussi la manière de considérer la jeunesse et de s’adresser à elle qu’on doit changer, conclut Vincent Peillon. « On peut s’adresser à la jeunesse en s’interrogeant sur ce qui fait le sens de l’existence, et pas seulement leur dire : je vais régler tes problèmes ». Les discours qui s’adressent aux jeunes doivent valoir pour tout le monde et s’adresser à tous.»


Peut-être une manière de rappeler que les « jeunes » sont aussi et avant tout des membres de la société à part entière, auxquels leurs aînés ont bien de la peine à laisser une place dans les débats, les choix et les responsabilités collectives.


Jeanne-Claire Fumet