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Par François Jarraud

« Apprentis sorciers », « méthode obscurantiste », « parti pris idéologique et aventureux ». Le vocabulaire utilisé par Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp, pour qualifier les nouvelles fiches d’aide destinées aux enfants de grande section de maternelle que la Dgesco veut mettre en place, rappellent les heures les plus chaudes de la bataille sur la lecture du temps de Gilles de Robien (2006). Pourtant Luc Chatel avait pris garde de se démarquer de l’héritage idéologique de Robien et Darcos. Que se passe-t-il entre le ministère et le Snuipp ?

Lundi 2 avril, Sébastien Sihr, un jeune professeur des écoles qui n’était pas à la tête du Snuipp en 2006, écrit à Luc Chatel. « Nous estimons que les exercices d’aides proposés aux élèves de grande section relèvent d’une conception affligeante des apprentissages, issue pour l’essentiel des années 1970 et aujourd’hui abandonnée… Monsieur le Directeur de la DGESCO nous affirme que ce dispositif est le fruit d’un consensus scientifique issu de la recherche. Mais de quels travaux s’agit-il ? Quelles sont les cohortes d’élèves qui ont été étudiées ? Et avec quels résultats concrets pour ceux notamment qui sont en difficulté ? » Le Snuipp met en demeure le ministre de publier les résultats des recherches qui fondent le choix des exercices.

Sont en cause des fiches de remédiation en phonologie que le ministère vient d’adresser aux syndicats. Ils sont présentés comme étant encore « en cours d’élaboration » mais, selon S. Sihr, JM Blanquer, directeur de l’enseignement scolaire au ministère, les considère comme actés. Ils devraient être diffusés aux enseignants à la fin de l’année scolaire. Mais dès maintenant, le ministère utilise des fonds du grand emprunt pour former 2000 conseillers pédagogiques à leur utilisation, selon le Snuipp.

« Ce n’est pas une mince affaire », prévient S Sihr. « On est en désaccord profond avec l’approche de ces exercices qui relèvent d’une méthode obscurantiste », affirme-t-il. « JM Blanquer affirme que ces fiches sont issues de la recherche scientifique et sont efficaces. Qu’il nous le prouve ! ». Le Snuipp relève des points de désaccord. « Selon ce programme, il suffirait de « refaire et répéter » quand l’élève échoue. Il suffirait de découper l’image du mot lapin en deux pour que l’enfant comprenne que le mot est constitué de deux syllabes « LA » et « PIN ». Il suffirait aussi d’associer les dessins d’une « rue » et d’un « banc » pour que l’élève trouve le mot « ruban ». Le syndicat relève également l’utilisation de sons jugés trop complexes en 2008 comme Be et Le. Tout cela n’est pas très sérieux », explique S Sihr. « La grande majorité des recherches actuelles indique pourtant que ces approches ne profitent pas aux élèves qui ont des bases fragiles ».

Le Snuipp a soumis ces fiches à des chercheurs. Mireille Brigaudiot a déjà publié une réaction négative sur ces documents. S Sihr annonce d’autres analyses. « Blanquer privilégie une seule approche », dénonce S Sihr, « il écarte d’autres outils validés par des chercheurs ». Les vidéos utilisées pour la formation des conseillers pédagogiques reposeraient, selon le Snuipp, sur les travaux du cogniticien S Dehaene, auteur d’un ouvrage récent sur la lecture, du linguiste A Bentolila, proche de Robien en 2006 et de M. Zorman, un médecin auteur d’une méthode. Tous trois sont très en vogue auprès de JM Blanquer. Ce qui va dans le sens de S Sihr, c’est que la circulaire de rentrée affirme tout de go : « les apports de la recherche et de l’expérience permettent aujourd’hui d’identifier ce qui fonctionne en matière d’apprentissage de la lecture et de l’écriture, et de donner ainsi aux enseignants les outils pédagogiques les plus pertinents ».

« On est dans une approche de type Gosplan« , souffle S Sihr. « La Dgesco pense qu’il est inutile de former les professeurs et qu’il suffit d’une bonne prescription qui tombe d’en haut avec la bonne méthode pour que tout aille bien. Il fait fi de l’expertise des enseignants. Il écarte la didactique ». Pour lui, pour apprendre à lire « il y a des incontournables : comprendre le fonctionnement de l’écrit, discriminer des sons et comprendre qu’une lettre produit un son afin de maîtriser le code alphabétique ». Mais c’est aussi « avoir des rencontres avec le monde de l’écrit ». C’est ce « tout » qui semble rejeté par la Dgesco alors que les premiers apprentissages, en maternelle, sont déterminants.

L’autre grand syndicat du primaire, le Se-Unsa, est sur la même ligne. « Ces outils, mal conçus, mais estampillés par le Ministère, peuvent causer des dégâts chez les élèves les plus fragiles », écrit le syndicat. Il demande la fin des « programmes d’entraînement “clés en main” censés convenir à tous les élèves », de « l’acharnement pédagogique comme seule réponse aux difficultés inhérentes à l’apprentissage ».

Un conflit idéologique majeur est-il en train de germer ? Luc Chatel qui, jusque là s’est bien gardé de prendre position dans la querelle des pédagogues et des dénonciateurs du « pédagogisme » est soumis de se prononcer. Tout cela se produit au moment où le candidat UMP tape à bras raccourcis sur les syndicats dans ses discours. L’apprentissage de la lecture va-t-il devenir un nouveau front de la guerre électorale ? La droite entend-elle, en cas de victoire, imposer ses méthodes d’enseignement ?

François Jarraud

Lettre au ministre

http://www.snuipp.fr/Le-SNUipp-interpelle-le-ministre,11701

Communiqué Se-Unsa

http://www.se-unsa.org/spip.php?article4437

Lecture vrai débat et fausse solution

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Documents/lecture.pdf