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Par François Jarraud

Alors que le programme du candidat UMP demande la généralisation de la publication des résultats des établissements scolaires, revenons sur l’impact des indicateurs des lycées.

Dans quelques années peut-être, regarderons-nous le chemin parcouru et, nous retournant, nous dirons : « tout a commencé là ». Comme la plupart des grandes réformes, la décision de publier les indicateurs des lycées s’est faite sans loi, sans décret, par la seule volonté d’un pouvoir politique autrement jaloux de conserver d’autres statistiques. Pourtant elle a peut-être posé la première pierre d’une reconstruction de l’école sur d’autres principes.

Aujourd’hui, quand on interroge les acteurs de cette publication, Michel Quéré, directeur de la Depp (le service statistique du ministère de l’éducation nationale) nous dit qu’elle « aide les familles à utiliser efficacement l’offre de formation locale ». Jean-Michel Blanquer, le puissant patron de l’enseignement scolaire explique qu’elle  » crée une culture de l’évaluation ». Deux réponses que l’on pourra trouver en net décalage par rapport au phénomène médiatique qui accompagne la sortie des statistiques aussi bien sur le site ministériel que dans les médias. Et si on allait y voir de plus près ?

Comment les parents utilisent-ils les indicateurs ? En publiant ces données sur l’accès au bac, le ministère prend le risque de (ou souhaite ?) créer une véritable concurrence entre établissements. Est-ce ce qui se passe ? En 2009, les travaux d’Agnès Van Zanten (Choisir son école, Le lien social, Puf, 2009, 284 p), montraient que les parents ont leur propre critère de choix. « Certes, les évolutions du marché du travail ainsi que les modalités d’orientation dans le système scolaire poussent beaucoup de parents à se soucier particulièrement de la capacité des établissements à améliorer le « niveau » de leurs enfants » nous déclarait Agnès Van Zanten. « Pourtant les parents des classes moyennes ne font pas que des choix « instrumentaux ». Ils font aussi des choix « expressifs », c’est-à-dire orientés vers le bien-être, le bonheur et le développement global de leur enfant ». Pourtant, si quelques médias tentent de diversifier les modes de lecture des indicateurs, comme Le Monde, c’est bien le classement que publient majoritairement les médias et que cherchent les parents. La course est lancée pour placer son enfant dans l’établissement le mieux classé même quand sa plus-value pédagogique est faible ou négative ce qui est le cas de nombre de ces établissements.

A vrai dire la course commence là où il n’y a pas de publication officielle d’indicateurs, au collège. C’est un autre fait nouveau qui a tout changé. La politique « d’assouplissement » de la carte scolaire (2007) a considérablement relancé la mise en concurrence des établissements. Les travaux de C Ben Ayed ou de B Monfroit montrent que l’assouplissement a levé les obstacles idéologiques et légitimé l’évitement scolaire. Finalement il a renforcé la ségrégation et les inégalités. Un verrou semble avoir sauté et les demandes de dérogations explosent là où la concurrence entre établissements est possible. Ce n’est pas seulement la performance pédagogique qui intéresse les parents. Si le classement fonde la rareté, c’est au final le sentiment d’entre soi qui pilote le marché scolaire. Par exemple, M Oberti, en Ile-de-France, montre que la ségrégation scolaire accentue la ségrégation sociale et ethnique au niveau des collèges. Le fils du pauvre est davantage ségrégé que ses parents à l’école ! Dans cette perspective, la publication des indicateurs, sans être nécessaire, est essentielle. Acte administratif, elle autorise la mise en concurrence et libère le chacun pour soi.

Comment l’institution utilise-t-elle les indicateurs ? Après tout, à travers la « plus value », ils montrent les lycées où le rendement scolaire est faible et ceux qui sont méritants. Dans d’autres pays ces résultats se traduiraient par une sanction ou un soutien financier, voire par la fermeture. « Avec les indicateurs, à l’échelle de l’école, de la circonscription, du département on dispose d’un outil de pilotage très poussé », nous a répondu Jean-Michel Blanquer. Ces indicateurs alimentent les contrats passés entre l’Etat et les académies puis entre celles-ci et les établissements. Oui mais comment ? Si l’on fixe des objectifs à tel ou tel proviseur, quels moyens les accompagnent ? Peut on vraiment parler d’un pilotage national ? Dans la situation actuelle où la réduction des moyens frappe même les établissements prioritaires, s’agit-il vraiment d’un pilotage ou d’une déclinaison locale du « débrouillez-vous » ? Il semble bien qu’aucune règle nationale n’accompagne l’exploitation de ces indicateurs.

Pour le système, à quoi servent les indicateurs ? Il faut regarder quel usage en ont fait les pays qui ont les premiers publiés les résultats d’établissements. Et là les évolutions anglaise et américaine s’imposent. Aux Etats-Unis, la loi No Child Left Behind lie depuis 10 ans les résultats aux aides fédérales données aux établissements. Ce pilotage par l’évaluation a des effets ravageurs sur le système éducatif. Les écoles les ont atténué en pratiquant une fraude qui semble, là où des enquêtes ont eu lieu, massive. Partout elles se sont recentrées sur les disciplines évaluées et ont laissé tomber le reste. On est incapable au vu de la fraude de dire si cela a réellement servi l’anglais et les maths. Ce qui est certain c’est que le détour culturel n’est pas un gadget marginal. Pour les élèves qui s’empêchent d’apprendre, comme dit S Boimare, c’est le bon chemin du progrès scolaire.

Ce pilotage par les indicateurs est aussi en train de transformer en profondeur le métier d’enseignant. A New York les résultats individuels des enseignants sont publiés. Les parents peuvent savoir si les professeurs sont « bons » ou « mauvais » dans telle ou telle école. Les écoles peuvent peut-être s’arracher les services de Mme X, bien classée. Mais globalement les indicateurs ont servi à faire sauter les accords statutaires et se traduisent par une détérioration salariale et sociale du métier d’enseignant. Osons les mots, une prolétarisation et une précarisation.

En quelques années les indicateurs ont permis la privatisation des systèmes éducatifs. Reprenons la carte new yorkaise des « bons » et des « mauvais » professeurs. On voit tout de suite la multiplication des Charter schools, ces écoles à fond public mais gestion privée. Dans d’autres états, le chèque éducation permet le départ vers le privé des classes moyennes tout en pompant l’argent public et les élèves moyens pour les écoles publiques. En Angleterre, le retour au pouvoir des conservateurs a considérablement accéléré le glissement vers la privatisation. Les travaillistes avaient essayé les « academies » sur le modèle des charter schools. Les conservateurs multiplient les « free schools ». Dès qu’une école n’atteint pas les résultats attendus par les indicateurs (d’ailleurs relevés au nom de l’excellence) on la transforme en « free school » confiée à des parents ou des firmes internationales. Le gouvernement vient d’admettre que les free schools pourraient être gérées dans un but lucratif. C’est très précisément la fin de l’école publique.

Faut-il supprimer les indicateurs ? Le système éducatif a évidemment besoin de données fiables pour sa gestion et son évaluation. Toutes les données doivent-elles être publiques ? Aujourd’hui l’Etat français répond non. Les évaluations des enseignants, celles des écoles et des collèges ne sont pas publiées. L’exemple anglais montre que tous les verrous peuvent sauter très rapidement et faire glisser l’Ecole vers la privatisation en 2 ou 3 ans. En demandant la publication des indicateurs de tous les établissements, en démantelant la carte scolaire et le collège unique c’est bien sur ce terrain que le candidat président veut aller. La publication des indicateurs se situe dans ce débat. Pour le moment elle n’a pas contribué réellement à éclairer le public sur les enjeux éducatifs et à faire avancer l’Ecole.

François Jarraud

Agnès Van Zanten

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/leleve/Pages/2009/105_A[…]

Sur l’assouplissement

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/02/16022012_A[…]

Nathalie Mons

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/02/21022012_[…]