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Par Jean-Louis Auduc

Pour Jean-Louis Auduc, poser la question des devoirs évite de poser celle des inégalités de genre dans les apprentissages.

Je suis toujours gêné par les à peu-près qui loin de faciliter la discussion et la résolution des problèmes, les obscurcissent et souvent empêchent de trouver des solutions efficaces. Deux illustrations très récentes viennent d’être données de ces débats piégés ou piégeants. Elles concernent les devoirs à la maison et le décrochage scolaire…..

Evoquer en permanence à propos des devoirs à la maison le texte de 1956 comme si c’était un texte visant à une école plus démocratique en oubliant le contexte dans lequel il se situait et la présentation qui en fut faite à l’époque, conduit à promouvoir un texte qui visait à séparer ceux qui faisaient des études courtes s’arrêtant à 14 ans et ceux appelés (ils étaient moins de 20% à l’époque) à suivre une scolarité plus longue, puisque ce texte ne s’appliquait pas en cours moyen aux élèves préparant l’examen d’entrée en 6eme et aux élèves scolarisés dans les écoles existant à l’intérieur des établissements de second degré (les petits collèges allant de la 11e à la 7eme ) ! Aujourd’hui que toute la classe d’âge va en collège, promouvoir ce texte peut recéler des dangers au moment où certains semblent vouloir en revenir à la situation des années 1950…..

Vouloir lutter contre le décrochage scolaire est un défi important et indispensable, mais pourquoi le présenter comme si le public concerné n’avait pas pour caractéristique d’être un public très majoritairement masculin. A le nier, à l’occulter, à considérer qu’on a affaire à des élèves asexués, on risque une nouvelle fois d’échouer. Pourtant toutes les études montrent cette réalité

Le rapport du Conseil Economique et Social (CES) sur les inégalités scolaires évoque clairement parmi les inégalités « Les inégalités selon les genres » et il écrit notamment :

« Les inégalités de performances scolaires entre les élèves sont aussi étroitement associées au genre. Les filles sont en moyenne meilleures que les garçons…Il y a là une réalité complexe, difficile à saisir, qui renvoie probablement à des différences dans les conditions de socialisation des filles et des garçons dont nous ne sommes pas toujours parfaitement conscients….Les principaux indicateurs de la scolarité rendent compte du meilleur comportement scolaire et de la plus grande réussite des filles jusqu’à un stade avancé de leurs études……Ce qui est préoccupant dans le cas de la France est que le différentiel de performance filles-garçons se soit creusé ( +11 points ) depuis 2000 un peu plus fortement que la moyenne de ses partenaires……La représentation par genre des niveaux les plus faibles dans les enquêtes PISA est particulièrement éloquente. Elle montre la concentration de la difficulté scolaire sur les garçons. En France, 26% des garçons (plus d’un garçon sur quatre !) et 14% des filles ( moins d’un fille sur sept) n’atteignaient pas, en 2009, le niveau de compétence 2 en lecture, considéré comme un minimum à atteindre pour réussir son parcours personnel….. » [1]

Une étude de la DEPP concernant les élèves rentrés en 6eme en 1995 comporte une analyse spécifique des élèves issus de l’immigration maghrébine face aux diplômes et au décrochage scolaire

D’origine maghrébine

Français « de souche »

Garçons

Filles

Garçons

Filles

Baccalauréat

43%

74%

64%

74%

CAP/BEP

22%

11%

21%

16%

Brevet

7%

6%

6%

5%

Sans

diplôme

28%

9%

9%

5%

( Tableau réalisé à partir d’une étude de la Direction de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance (DEPP) de 2010, publié dans les cahiers Pédagogiques de Février 2011 en illustration de l’article de Françoise Lorcerie : La discrimination institutionnelle des garçons maghrébins. »

On peut tirer de ce tableau les leçons suivantes :

1) Les filles issues de l’immigration maghrébine sont juste un peu moins bonnes que les filles issues de familles françaises. Elles font jeu égal pour la réussite au baccalauréat avec 3 sur 4 l’obtenant, mais elles décrochent un peu plus (9% au lieu de 5%).

2) Les filles issues de l’immigration maghrébine font jeu égal concernant le décrochage avec les garçons français avec 9%, mais elles réussissent mieux au baccalauréat qu’eux. 3 filles sur 4 de l’immigration maghrébine l’obtiennent contre seulement 2 garçons issus de familles françaises sur 3.

3) Les garçons issus de l’immigration maghrébine sont seulement un peu plus de 4 sur 10 à réussir le baccalauréat contre 3 sur 4 pour les filles issues de familles françaises ou d’origine maghrébine et 2 sur 3 pour les garçons issus de familles françaises.

4) Les garçons issus de l’immigration maghrébine décrochent sans obtenir aucun diplôme ou qualification 3 fois plus que les garçons issus de familles françaises ou que les filles d’origine maghrébine.

On a donc un chiffre incroyablement élevé de garçons issus de l’immigration maghrébine sortant de l’école sans diplôme contre seulement 9% des filles de la même origine.

Il y a dans ces statistiques de quoi faire réfléchir sérieusement au fait que la dimension du genre est indispensable à prendre en compte pour la mise en place de dispositifs efficients pour lutter contre l’échec scolaire !

Jean-Louis Auduc



[1] Les inégalités à l’école. Rapport du Conseil économique social et environnemental. Septembre 2011, pages 47 à 49