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Forum Adolescences : Les adolescents moins anxieux que leurs parents…


Par Jeanne-Claire Fumet


C’est la leçon du 8ème Forum Adolescences de la Fondation Pfizer, le 4 avril au Théâtre du Trianon à Paris, sur le thème : les adolescents ont-ils encore besoin de modèles pour se construire ? La Génération C (comme Connectée), Y, Digitale, vivrait plutôt bien sa condition juvénile, au contraire de ce que laissent entendre les médias : l’angoisse serait beaucoup plus du côté des parents, incertains des modèles à transmettre, impuissants devant le monde en mutation qui s’ouvre devant eux, tandis que les jeunes gens adoptent un optimiste « Carpe Diem » virtuel. Au terme de trois tables rondes, qui rassemblaient témoins, experts et chercheurs appelés à discuter avec des adolescents venus de toute la France, l’image se fait cependant plus nuancée : pas trop malheureux, mais assombris par le pessimisme de leurs aînés ; en demande de confiance mais réticents à risquer l’échec ; désireux de liberté mais exigeant d’être protégés ; sévères dans leurs jugements sur eux-mêmes mais pas disposés à changer ; les adolescents voudraient surtout que les adultes se montrent plus adultes pour les aider à vivre pleinement leur jeunesse. Et le pays heureux des technologies où ils s’ébattent creusent profondément les écarts entre les 73% qui se sentent bien et les autres.


Ultra-connectés et sociaux « addicts »


Qui sont les adolescents d’aujourd’hui ? demandait une première table ronde. Leïla Idtaleb, directrice d’IPSOS Santé, évoquait quelques chiffres : 73% d’entre eux se sentent bien, avec 5h30 de connexion et 83 SMS en moyenne par jour ; une activité soutenue qui les contraint à devenir multitâches, mais qui répond à un fort besoin d’intégration à des réseaux à travers les quels ils rencontrent aussi « la vraie vie ». Ils « font le mur » avec Facebook sans sortir de la maison, où ils se sentent bien, plébiscitant la famille et incluant les valeurs familiales dans leurs projets d’avenir. Corollaire de leur monde très visuel : un grand souci des apparences et de leur style looké, volontiers consommateur de marques coûteuses – pour ne pas déchoir. Leurs parents peuvent se rassurer : ils savent ce qu’ils veulent faire de leurs vies, mais ils ne supportent pas qu’on leur projette un chemin préconçu.


« Avant on transmettait un uniforme, maintenant ce sont des valeurs. »


Monique Dagnaud, sociologue, souligne « l’obsession scolaire » des parents, peut-être liée à leurs propres difficultés, leur impuissance d’adultes face à une société sur laquelle ils ont peu de prises. Patrice Huerre, pédopsychiatre, valorise la créativité liée aux pratiques des nouveaux outils, que les employeurs reconnaissent et apprécient au même titre que les savoirs classiques. Paradoxalement, indique Monique Dagnaud, les adultes ont dans l’ensemble un regard positif sur la maîtrise de ces technologies, même s’ils s’inquiètent de voir leurs enfants s’y adonner un peu trop souvent. Sérieuse ou pas, ces pratiques ? « On se réfugie dans le présent, on est heureux grâce à nos jeux », reconnaît un adolescent. Les parents sont plus en détresse qu’eux, indique Patrice Huerre, qui dit recevoir des adultes très démunis face à l’éducation de leurs enfants. « Pourquoi tant de peur ? » se demande Pierre-Henri Tavoillot, président du Collège de Philosophie. « Sans doute parce que la peur rassure : il est bien de s’inquiéter devant la responsabilité d’avoir à éduquer, c’est-à-dire protéger et émanciper en même temps. Cette inquiétude révèle qu’il n’y a plus de grands modèles assurés, et c’est tant mieux : avant, on transmettait un uniforme, maintenant, ce sont des valeurs, avec leur incertitude et leur fragilité. C’est plus anxiogène. »


Droit à l’erreur, droit aux limites ?


Les adultes ont-ils encore un rôle à jouer auprès des adolescents ? interrogeait la seconde table ronde. Pour Olivier Galland, sociologue, ils ont plus que jamais besoin d’aide dans des choix complexes, sans modèles hérités. Ils ont besoin aussi d’un droit à l’erreur. « Ah non, réagit une jeune fille, si on fait des erreurs, on va être en échec et se décourager ! » On ne peut pas leur faire faire l’économie d’expériences douloureuses, reprend Caroline Thompson, psychologue. Internet doit être un connecteur et un séparateur : inutile de jouer les co-adolescents ou les copains en les suivant trop dans ces domaines. Les adultes doivent aussi assumer parfois leur mauvais rôle : il faut supporter de ne pas être aimé pendant un moment, ne pas demander aux enfants si on est de bons parents. « Il faut faire semblant d’être plus fort qu’eux, ils en ont besoin. » Les parents doivent peut-être être moins transmetteurs qu’accompagnateurs : d’après l’enquête IPSOS, les adultes se trompent sur les attentes de leurs enfants. Les ados attendent de l’autorité (pour pouvoir la contourner) et ils estiment avoir vraiment besoin des adultes. Mais le modèle d’autorité attendu est celui de la négociation, remarque Olivier Galland, qui prévaut dans les classes plus aisées, alors qu’il n’est pas reconnu dans les classes défavorisées, ce qui cause des tensions.


Entre préjugés « jeunistes » et « âgistes ».


Vers un nouveau pacte intergénérationnel ? s’enquérait la dernière table ronde. Mais pour quel type de pacte ? Le même modèle peut-il prévaloir partout ? Pour Claudine Attias Donfut, sociologue, les études comparatives montrent une autonomie sociale plus précoce dans les pays du Nord, en raison de systèmes sociaux plus généreux, tandis qu’on enferme davantage les jeunes dans leur condition familiale en France. Les préjugés du jeunisme (qui sacralise la jeunesse) et de l’âgisme (qui dévalorise les personnes âgées) engendrent des stéréotypes au détriment des jeunes, dévalués dans leur statut d’interlocuteurs. Pour Serge Hefez, psychiatre, il est important que les parents puissent en revanche être considérés par les adolescents comme des interlocuteurs stables qui transmettent des contenants plus que des contenus. D’après l’IPSOS, les ados attendent qu’on les aide à prendre confiance en eux : mais c’est la question permanente de leur « valeur » qui est derrière cela, remarque S. Hefez. La confiance en soi se gagne par le goût de l’effort, elle ne peut pas se donner directement dans un mouvement de complaisance narcissique.


L’adolescence est un phénomène récent, rappelle Boris Cyrulnik, invité en grand témoin du débat. Il y a encore peu, le moment de la puberté signait le passage à la vie adulte et au travail, comme c’est encore le cas dans les pays pauvres. Il ne faut pas oublier que c’est au progrès des technologies, à la réflexion sur les Droits de l’Homme qu’on doit l’émergence de cette longue période de latence. Elle offre la possibilité pour chacun de « tenter l’aventure de la personne », se connaître, devenir quelqu’un. Mais ce n’est possible que pour ceux qui ont quelque chose à dire et les moyens de le faire ; pour eux, c’est une grande chance et ils arrivent parfois à des performances extraordinaires . Mais l’écart se creuse plus profondément avec ceux qui n’en ont pas la possibilité. Et ceux-là souffrent énormément.


Il faut faire le choix de la créativité, même si c’est au risque de l’échec, conclut Philippe Jeammet, Président de la Fondation Pfizer pour la santé de l’enfant et de l’adolescent. Rien n’est pire que de céder à la tentation de détruire pour se sentir exister. On n’a pas le droit de s’abimer, de se détruire – et on ne peut pas laisser se détruire ceux qu’on aime. Et il ne faut pas négliger non plus la part invisible de l’aménagement du quotidien, les tâches modestes qu’on oublie et qui sont essentielles pour que la vie fonctionne et que la créativité puisse s’exprimer. Manière de faire le deuil des illusions que l’on nourrit collectivement sur cet âge intermédiaire ?


Jeanne Claire Fumet


Le site de la fondation Pfizer, l’enquête IPSOS et les intervenants :

http://www.fondation-pfizer.org/les-forums-adole[…]