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Par François Jarraud

Quand Sarkozy mobilise Molière, Péguy et Chateaubriand Luc Chatel sort son Bled. Le 16 avril, le ministère de l’éducation nationale a annoncé son intention de « refonder l’enseignement de l’orthographe ». Il était temps…

 » La maîtrise de l’orthographe est un enjeu majeur pour la réussite des élèves et a un impact significatif sur la maîtrise globale de la langue française », écrit le ministère. « Or, les résultats des élèves depuis 30 ans ne sont pas satisfaisants comme en atteste l’ensemble des enquêtes récentes publiées sur le sujet ». Le ministère annonce une circulaire « adressée à tous les enseignants des écoles primaires » qui définira « les principes clés pour favoriser cet enseignement ». Elle sera « accompagnée par la diffusion à tous les enseignants de cycle 3 d’une plaquette d’orientations pédagogiques ».

Un problème bien réel

Une étude de la Depp (division des études du ministère) réalisée en 2007 montre une baisse réelle du niveau en orthographe des écoliers français.  » La même dictée a été proposée aux élèves de 1987 et de 2007, à partir d’un texte d’une dizaine de lignes (85 mots et signes de ponctuation) », écrit la DEPP. « Le nombre d’erreurs (nombre de mots mal orthographiés ou de ponctuations erronées) a augmenté en moyenne : de 10,7 en 1987 à 14,7 en 2007. Le pourcentage d’élèves qui faisaient plus de quinze erreurs était de 26 % en 1987, il est aujourd’hui de 46 %. Ce sont principalement les erreurs grammaticales qui ont augmenté : de sept en moyenne en 1987 à onze en 2007. Par exemple, 87%des élèves conjuguaient correctement le verbe « tombait » dans la phrase « Le soir tombait. » ; ils ne sont plus aujourd’hui que 63%des élèves. En revanche, sur des conjugaisons difficiles pour les élèves de CM2, comme l’accord avec l’auxiliaire « avoir », le pourcentage de réussite n’évolue pas : environ 30 % des élèves, que ce soit en 1987 ou en 2007, écrivent correctement le verbe « vus » dans la phrase « Elle les a peut-être vus ! ». »

Apprendre à enseigner l’orthographe en 4 pages ?

Si la circulaire ministérielle n’est pas encore connue, la plaquette est déjà diffusée. Elle se compose de 6 pages, dont 4 pages de recommandations. Le ministère recommande  » un enseignement progressif et explicite » de l’orthographe. « Diverses recherches convergent pour montrer que l’orthographe, comme la grammaire, le vocabulaire, la compréhension des textes, doit être abordée de manière explicite et progressive. Cet enseignement concerne la connaissance des formes écrites des mots et leurs règles de fonctionnement. Un enseignement explicite et progressif de l’orthographe est donc nécessaire. Il apporte une aide particulière aux élèves les plus fragiles linguistiquement en leur donnant des points de repère, gage d’une plus grande assurance et d’une meilleure efficacité d’usage de la langue ». Il souhaite aussi des « leçons spécifiques et régulières » et des « exercices répétitifs d’application de règles, permettant l’imprégnation ». Mais un peu plus loin il vante « une approche implicite » et des « ateliers d’écriture de type « oulipo » », des jeux d’orthographe : Jeu du pendu, jeux d’accords, quizz orthographique, les « Timbrés de l’orthographe » ».

Les recettes qui n’ont pas marché peuvent-elles être efficaces ?

Consulté par le Café, Jean-Pierre Jaffré, chercheur au CNRS, spécialiste de l’orthographe, évalue modestement l’impact de la mesure ministérielle. « Si l’intention est à priori louable, il est néanmoins peu probable que ces quelques pages permettent de redresser un niveau scolaire dont on souligne d’emblée la faiblesse. Pour l’essentiel, les secteurs abordés ne sont pas nouveaux et reprennent des idées générales bien connues… et donc concomitantes de la « baisse du niveau » dénoncée. Certains points demeurent certes discutables, comme la volonté affichée de mettre l’orthographe en centre de tout (vocabulaire, grammaire, etc.). Ne pourrait-on inverser les propositions et dire, notamment, que c’est la grammaire qui est au service de l’orthographe et non l’inverse ? Sans précisions sur leur formulation, l’insistance récurrente sur les règles et leur apprentissage explicite ne va guère au-delà de la déclaration d’intention. Il faudrait au moins introduire une distinction entre métalangage et procédures métalinguistiques. Bref, les vertus didactiques de ce texte me semblent fort limitées ».

Interrogée aussi par le Café pédagogique, Catherine Brissaud, auteure avec Danièle Cogis d’un excellent ouvrage sur l’enseignement de de l’orthographe (C Brissaud et D Cogis, Comment enseigner l’orthographe aujourd’hui ? , Hatier ed) estime qu’on « peut regretter qu’on continue à taire la difficulté de l’orthographe du français et les obstacles cognitifs qu’elle suscite, le temps nécessaire aux apprentissages, qu’on ne parle pas de la nécessité du travail en équipe dans les écoles et les collèges pour mieux organiser les progressions sur plusieurs années, qu’on ne préconise pas davantage l’écriture pour épauler l’entrée dans la lecture, qu’on ne s’appuie pas davantage sur les résultats de la recherche, française notamment (aucune bibliographie accessible ?). Rien de nouveau sous le soleil dans ce document, y compris dans les quelques pistes d’exercices utiles à l’enseignement de l’orthographe. C’est la dictée préparée qui est mise en avant, qui n’est qu’un rappel de règles qui ne tient pas compte des représentations des élèves et qui a donc peu d’effet sur une grande partie des élèves. Rien sur les « nouveaux dispositifs » (Angoujard, 1994; Haas, 1995) pour ne citer que les pionniers. Nous ne sommes pas très loin du « Il suffit d’apprendre les règles et de les appliquer ». On attend davantage d’un texte ministériel sur l’enseignement de l’orthographe, qui remplacerait le texte, consistant, de 1977. Mais la période n’est sans doute pas propice à la réflexion et au soutien dont les enseignants ont besoin pour accompagner les élèves dans un apprentissage long et difficile. Elle relève d’ailleurs que le document ignore l’orthographe rectifiée.

En janvier 2012, Catherine Brissaud et Danièle Cogis nous disaient que  » Le poids des représentations sociales attachées à l’orthographe crée un système de pensée verrouillé dans la société et dans l’institution scolaire… le « Il suffit d’apprendre les règles et de les appliquer » est encore une idée très répandue. Tant qu’on n’a pas entendu de jeunes élèves raisonner sur la langue, avec toute la force de leurs convictions, on comprend mal pourquoi l’enseignement passe mal. C’est pour nous une clé du changement ». Pour elles,  » il est difficile d’agir efficacement dans un contexte où l’absence d’une formation linguistique de base se perpétue dans la formation des enseignants et donc, par la suite, dans celle des formateurs non spécialistes. Tant qu’on ne considèrera pas que ce type de formation est un socle nécessaire à tous les enseignants, il n’est pas sûr que l’enseignement du français évoluera dans le sens souhaité… Comme vous le voyez, nous continuons à penser qu’enseigner – et donc enseigner l’orthographe – est un métier qui s’apprend ».

Une circulaire pour qui ?

On pourrait penser que la plupart des professeurs des écoles n’ont pas attendu la circulaire pour se soucier d’apprendre l’orthographe à leurs élèves. On pourrait s’interroger sur la cohérence intellectuelle d’un ministère qui nous dit, évaluation à l’appui, que le niveau monte en français puis qui nous rappelle qu’il baisse. Mais une brochure de 6 pages et une circulaire ne pouvant compenser la minceur de la formation continue, des programmes de 2008 laconiques et l’absence de formation initiale des professeurs issus de la masterisation, on préférera s’interroger sur la finalité de cette circulaire. Si l’on peut prédire son inefficacité sur les enseignants, il faut croire qu’on en attend une ailleurs…

François Jarraud

Liens :

Communiqué ministériel

L’étude de la Depp

Sur el livre de Brissaud et Cogis

Orthographe, à qui la faute ?