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Monique Royer

Une histoire de la chronique de la carte scolaire qui finit bien est forcément une belle histoire. Les parents d’élèves de l’école de Beauregard à La Rochelle se sont mobilisés et ont mobilisé avec eux élus et enseignants pour sauver ce qui leur paraissait essentiel : continuer à accueillir dans l’école des enfants sourds et malentendants. Récit d’une mobilisation avec happy end.

« A voir et entendre nos enfants qu’ils soient sourds ou entendants, c’est une réussite dont nous pouvons tous être fiers. Nos enfants différents apprennent ensemble, jouent ensemble, se disputent ensemble, grandissent ensemble ». Depuis vingt ans, l’école de Beauregard accueille des enfants sourds et malentendants en milieu ordinaire. Ce choix de l’inclusion les parents le défendent, tous les parents. Et lorsqu’ils apprennent, le 16 mars, en conseil d’école, qu’une classe va être supprimée à la rentrée et qu’ils en reçoivent la confirmation le 23 mars, ils ne se résignent pas, et se lancent dans la bataille en se structurant autour de la section locale FCPE.

Sophie Poriel et Patrice Seyler faisaient partie des animateurs du mouvement. L’une a un enfant sourd, l’autre pas, et quelle différence ? L’éducation qu’ils défendent est une école qui inclut et se nourrit des différences, une éducation à laquelle l’école Beauregard contribuait jusque là. « Avec ce système de scolarisation, il est donné à nos enfants des bases solides pour que demain, en tant qu’adultes, ils puissent s’épanouir professionnellement et socialement dans le respect et la complémentarité de leur différence » ont-ils expliqué dans une de leur prise de parole devant parents et enfants au cœur du mouvement.

S’ils l’ont défendu si fort, c’est que l’école Beauregard est particulière. L’inclusion d’enfants sourds et malentendants a fait l’objet d’une charte en 2005 qui définit et répartit l’engagement de l’inspection académique, de la mairie de La Rochelle, du Conseil Général de Charente Maritime et d’associations impliquées dans l’accompagnement des sourds et malentendants. « Les signataires de ce contrat s’engagent à favoriser l’accueil et la scolarisation d’élèves sourds et malentendants à l’école Beauregard » indique la charte. L’inspection académique s’y engage « à limiter les effectifs des classes qui accueillent des enfants sourds ». Jusqu’à maintenant, l’engagement était respecté. Le dispositif mis en place à Beauregard comprend en maternelle la mise à disposition d’un enseignant spécialisé et un en langue des signes pour les classes intégrant des enfants sourds. Les classes sont alors limitées à un effectif de 18 à 19 élèves. Au niveau élémentaire, une classe de Clis avec un enseignant spécialisé accueille les enfants sourds et malentendants qui rencontrent des difficultés d’apprentissage. Ceux qui n’ont pas de difficultés intègrent les classes ordinaires qui sont alors à effectif réduit.

Avec l’annonce de la suppression d’une classe, c’est tout le dispositif qui s’écroule. Le choix est cornélien : soit on laisse les classes qui intègrent des enfants sourds et malentendants à effectif réduit et on augmente le nombre d’élèves dans les autres classes, soit on augmente l’effectif des classes d’insertion… Dans les deux cas, les parents le disent tout net : c’est non. Le dispositif représente un projet d’éducation auxquels ils adhèrent. Augmenter le nombre d’élèves par classe c’est le mettre en péril.

Sophie Poriel le précise « pour un enfant appareillé, le bruit de cinq enfants de plus dans la classe peut vite devenir insupportable. Pour apprendre quelque chose, il lui faut plus d’effort, plus de temps, puisqu’il ne manipule pas le langage. L’enseignant doit venir vérifier qu’il a bien acquis les notions en lisant ce qu’il a fait, en l’observant ». Le travail par petit groupe est essentiel. Comment faire dans une classe à 24, interroge t’-elle. Pour Patrice Seyler, la mixité entre les enfants est une véritable richesse, il faut la permettre, la faciliter. Pour communiquer, les enfants, tous les enfants apprennent la langue des signes. Une animatrice spécialisée du centre de loisirs vient pendant les pauses méridiennes initier à cette langue et favoriser le lien entre tous les enfants. Il raconte que sa fille aînée, en colère, refusait de lui parler et a exprimé son refus … en langue des signes. Anecdotique certes, mais l’exemple montre que l’apprentissage d’un langage commun ouvre les horizons. D’ailleurs, pendant le mouvement, une classe d’apprentissage de la langue des signes a été organisée devant l’école à destination des parents. Toutes les prises de paroles étaient traduites dans cette langue.

Pendant les quinze jours de mobilisation, il y a eu occupation de l’école de nuit, baptême de l’école devenue «La belle entente de Beauregard », manifestation devant le CDEN. Les acteurs n’ont eu de cesse de montrer tout ce que pouvait apporter le dispositif de Beauregard, montrer pour convaincre que la fermeture était impensable, impossible, montrer que les moyens mis à disposition en particulier par l’Inspection favorisaient une belle réussite éducative. En choisissant une attaque positive, le mouvement a sans doute plus facilement convaincu élus, parents et enseignants. La conviction, l’énergie, l’occupation du terrain en ne cessant de démontrer toute l’absurdité de clore une si belle expérience ont rallié élus de gauche et de droite : Maxime Bono, maire de La Rochelle, Dominique Bussereau, président du Conseil Général et Ségolène Royal, présidente du Conseil Régional, ont chacun envoyé un courrier à l’inspection académique pour soutenir le mouvement.

La bonne nouvelle est tombée le 5 avril : la suppression d’une classe n’était plus à l’ordre du jour, la classe était sauvée. Pour Patrice Seyler, la mobilisation des parents est une clé de ce succès : ils n’ont pas admis la décision comme une facilité et ont puisé dans les mobilisations passées des exemples d’actions. Ils ont aussi veillé à ne jamais fermer la porte à l’inspection, à éviter les écueils de la division. Le projet de « vivre ensemble » dans l’école leur tient à cœur, ils ont su le montrer, le partager et le rendre indestructible à Beauregard, dans une belle entente.

Monique Royer