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Par Jean-Louis Auduc

La session 2012 des concours de recrutement s’annonce catastrophique, prédit Jean-Louis Auduc, ancien directeur adjoint de l’IUFM de Créteil. Or sans recrutement toute transformation de l’Ecole s’avère impossible. A quelles conditions pourra-t-on trouver le nombre d’enseignants nécessaire ? Jean-Louis Auduc énumère les efforts à consentir pour rendre le métier enseignant attractif : pré recrutement, formation, conditions de travail et salaire.

Tous concours de recrutement confondus, la session 2011 s’était traduite par près de 1500 postes d’enseignants non pourvus. La session de 2012, malgré la diminution du nombre de postes mis au concours et la fermeture des recrutements dans un certain nombre de sections dans les domaines professionnelles et technologiques, va tout droit vers le doublement du nombre de postes d’enseignants non pourvus par rapport à la session précédente.

On sait déjà compte tenu des résultats de l’admissibilité qu’un certain nombre de sections de CAPES comme l’Anglais, les Mathématiques, les Lettres Classiques, l’Education Musicale ne pourront pas pourvoir tous leurs postes mis au concours, malgré leur diminution. Quand on sait qu’à la session 2012 il y a eu moins de 31 000 candidats qui ont effectivement participé aux épreuves écrites d’admissibilité de tous les concours de recrutement pour 17 500 postes, on ne peut qu’être préoccupé pour la session suivante où il est prévu, tous secteurs confondus, plus de 33 000 départs en retraite…

Une telle crise de recrutement si elle n’est pas d’urgence combattue risque d’asphyxier pour longtemps notre système éducatif et de rendre impossible toute transformation en profondeur de celui-ci. Elle n’a pas été combattue par tous ceux qui s’en servent pour diminuer les heures d’enseignement (comme le montre pour les langues vivantes la circulaire de rentrée 2012), pour faire sortir massivement un certain nombre de jeunes de l’école dès 14 ans, favoriser exclusivement l’apprentissage pour l’obtention des diplômes professionnels, ou mettre en cause le statut des personnels, voire les concours en favorisant le recrutement de vacataires, via Pôle Emploi.

Rompre avec ces logiques implique de relancer d’urgence l’attractivité du métier enseignant et ce dès l’été 2012, si l’on veut connaître les premières retombées lors de la rentrée 2013 , avec comme objectif de pouvoir compenser tous les départs en retraite et d’entamer une amélioration de la situation Différents chantiers sont impérativement à mener en priorité sur cette question.

En premier lieu, les pré recrutements. Il faut aider financièrement ceux qui envisagent de se diriger vers le métier enseignant et ne pas réserver les concours à ceux qui ont les moyens de mener des études universitaires longues. Ces pré recrutements doivent exister dès Bac+2 pour être incitatifs vis-à-vis d’étudiants qui s’interrogent sur leur avenir. Ces pré-recrutements ont également pour finalité à moyen terme d’inciter les lycéens à choisir la voie générale. Il faut le dire et le redire, les difficultés du recrutement des enseignants du premier comme du second degré viennent aussi du fait qu’il n’y a pas assez de lycéens dans les filières générales. Le pourcentage d’une classe d’âge de bacheliers des filières générales n’a augmenté depuis 1990 que de 7% alors que le pourcentage de bacheliers dans la classe d’âge, tous bacs confondus, augmentait de 26% ! Concernant les disciplines professionnelles, ô combien décisives pour combattre les sorties sans qualification de jeunes, il faut remettre en place les Cycles préparatoires au concours de Professeur de lycée professionnel ( CP CAPLP) mis en sommeil en 2004 et qui jusque là avaient permis une reconversion positive et efficace vers l’enseignement professionnel, à partir de leurs compétences acquises dans l’exercice de leur métier, de professionnels du monde de l’entreprise.

En second lieu, il faut la construction d’une véritable formation initiale et continue des personnels qui permette une entrée progressive dans l’exercice d’un métier qui, à tous les niveaux d’enseignement s’est complexifié. Ce qui implique une approche de la gestion du traitement pédagogique de l’hétérogénéité des publics scolaires, du diagnostic des difficultés de certains élèves et de la psychologie, suivant le niveau concerné des jeunes enfants, des adolescents ou des jeunes adultes. Une telle formation ne peut être le simple « ripolinage » de ce qui existait avant 2008, mais doit être conçue comme ayant comme premier objectif de donner les meilleures conditions aux élèves de se trouver en réussite.

En troisième lieu, il faut améliorer les conditions de travail. Il s’agit dans ce domaine de prévoir à travers de meilleurs rythmes journaliers, hebdomadaires et annuels, un meilleur équilibre des moments d’apprentissage et prévoir dans certains établissements une diminution du nombre d’élèves par classe. L’exercice solitaire du métier enseignant montre ses limites face aux difficultés d’exercice (gestion de la classe, prise en compte de la diversité des élèves…). Le pilotage « par les résultats » pèse autant sur les enseignants que sur les élèves et leurs familles et se traduit par une angoisse de tous les jours face à une certaine « évaluationnite ». Face au malaise, à l’épuisement, à l’usure, constatés chez les enseignants, on peut diminuer le stress enseignant en passant d’un exercice solitaire du métier à un exercice solidaire.

Il apparaît indispensable de développer une culture de l’accompagnement de projets, de favoriser une véritable gestion des ressources humaines et professionnelles basée sur les compétences et les potentialités de chacun, et d’accorder aux enseignants une véritable autonomie dans les faits que le système bureaucratique a tendance à freiner. Le rôle du chef d’établissement est à cet égard fondamental, en sachant qu’il est lui aussi en proie à de multiples difficultés et qu’il peut être à la fois stressé et stresseur … Il faut que les enseignants soient reconnus et sécurisés. Pour se sentir libre d’innover, il faut se sentir sécuriser et en confiance avec son institution. Des projets comme celui prévu pour l’évaluation par l’actuel ministre tournent le dos à cet impératif. Il faut également permettre à l’enseignant d’exercer des responsabilités dans son établissement.

En dernier lieu, il y a les salaires. Les salaires et la carrière enseignante ne sont plus aujourd’hui à la hauteur des qualifications requises. Les enseignants français sont parmi les plus mal payés des pays de l’OCDE. Un effort dans ce domaine parait indispensable pour montrer à l’ensemble du pays l’importance du métier enseignant.

C’est dès juin 2012 que tout élu aux présidentielles devra se mettre au travail concernant ces défis, faute de quoi la crise de recrutement continuera et avec elle, les difficultés pour compenser tous les départs en retraite des personnels et éventuellement créer de nouveaux postes pour assurer une meilleure réussite de tous les jeunes.

Jean-Louis Auduc

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