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Par François Jarraud

A la veille du premier tour de l’élection présidentielle, le moment est venu de faire le bilan du quinquennat en matière éducative. Nicolas Sarkozy a-t-il permis à davantage de jeunes de réussir à l’école ? A-t-il lutté contre les inégalités sociales à l’Ecole ? Laisse-t-il un système éducatif en meilleur état que lors de son arrivée ? Quels défis rencontrera le prochain président ?

Le niveau monte-il ?

A cette question, l’éducation nationale répond généralement par les résultats des évaluations nationales, un dispositif dont le manque de sérieux a été souligné par le Haut Conseil de l’Education. Mais le ministère produit par ailleurs l’enquête CEDRE, par échantillon, régulière et scientifique, qui permet d’avoir un regard objectif sur cette question. Ce que montre CEDRE c’est qu’au primaire il n’y a pas d’évolution entre 2003 et 2009. Il y a toujours 13% de faibles et 29% de performants. Par contre les écarts se sont creusés entre garçons et filles (les garçons pèsent 60% des élèves faibles en 2009 contre 54% en 2003). Surtout un écart de 7 points, jugé « significatif » est apparu entre école publique et école privée. A la fin du collège, le pourcentage d’élèves forts a diminué de 2003 à 2009, passant de 10 à 7% et celui des faibles a augmenté de 15 à 18%.

Selon l’OCDE, le taux de scolarisation des 15-19 ans a généralement augmenté de 9,5% dans les pays de l’OCDE de 2000 à 2009. En France il est passé de 89 à 84%. Certes cela résulte aussi de la baisse des redoublements. Mais cela se traduit par le fait que 130 000 jeunes quittent le système éducatif sans diplôme du secondaire ce qui est énorme. La situation n’est pas meilleure chez les 20-29 ans où le taux stagne alors que dans l’OCDE il a monté de 8%. Le gouvernement s’est engagé à avoir 50% d’une tranche d’âge diplômé du supérieur. Il lui manque 30 000 jeunes diplômés. En France, c’est presque 200 000 jeunes qui chaque année n’atteignent pas le niveau scolaire que la société considère comme normal.

Au niveau du bac, si le taux d’accès au bac a monté c’est principalement du à un effet d’aubaine, le passage du bac professionnel de 4 à 3 ans qui a augmenté le nombre de bacheliers professionnels exceptionnellement. Le pourcentage de bacheliers généraux dans les bacheliers reste inférieur à ce qu’il était au milieu des années 1990.

Les inégalités à l’école se sont-elles réduites ?

Les inégalités sociales entre établissements existent. En France 8% des élèves des collèges Ambition réussite sont des enfants d’enseignants et de cadres quand c’est 35% des élèves des autres collèges. A Paris la proportion d’élèves étrangers est de 33% au collège M Dormoy du 18ème arrondissement quand elle est de 1% au collège Lavoisier en centre ville. A cela s’ajoute la ségrégation académique : 33% d’élèves faibles dans les établissements de l’éducation prioritaire, 9% dans les collèges privés. En ce début de siècle, le poids des diplômes et des voies de formation pèse sur les familles et nourrit la ségrégation. Or la ségrégation abaisse le niveau scolaire des plus démunis et entraine notre système éducatif vers le bas.

L’assouplissement de la carte scolaire a aggravé la ségrégation sociale. L’enquête de Marco Oberti, Edmond Préteceille et Clément Rivière sur les collèges de la région parisienne montre qu’il a vidé les collèges les plus populaires, augmentant la ségrégation.  » Les collèges pour lesquels l’incidence de la réforme est la plus forte dans les Hauts-de-Seine sont ceux des deux types les plus populaires-immigrés-ouvriers… Le total des pertes par dérogation dans ces collèges populaires-immigrés-ouvriers représente presque l’équivalent de l’effectif de 6e de deux collèges en l’espace de deux ans. Pour un petit groupe de collèges, l’impact est encore plus fort, puisqu’on en trouve neuf pour lesquels le solde négatif sur deux ans est supérieur à 40 % de l’effectif annuel ».

L’Etat dépense moins pour les établissements prioritaires que pour les établissements favorisés. Un récent rapport de la Cour des Comptes montre que cela commence dès le primaire où l’Etat dépense 3134 € par élève parisien contre 2861 € pour l’académie la moins bien dotée. De plus les inégalités ont croissant, affirme encore la Cour. Ainsi dans la répartition des postes, Créteil avec 4000 élèves supplémentaires a perdu à la rentrée 2011 426 postes quand Paris, avec 1000 élèves de plus gagnait 20 emplois. Au primaire, la possibilité de scolariser un enfant de moins de 3 ans à Créteil est 14 fois inférieure en Seine Saint-Denis qu’en France en général.

Résultat, la France est un pays où l’influence de l’origine sociale dans l’éducation est particulièrement forte d’après l’OCDE. Sur 34 pays, elle n’est plus forte que dans un seul pays (la Nouvelle Zélande). L’origine ethnique pèse aussi d’un grand poids. En moyenne dans l’OCDE il y a 55 points d’écart (aux résultats de PISA) entre un jeune allochtone de première génération et un jeune autochtone. En France l’écart est de 75 points, soit presque deux années de scolarité. Pour la seconde génération il est de 55 points contre 35. Ainsi ce sont les valeurs républicaines de l’Ecole qui sont interrogées.

Laisse-t-il un système éducatif en meilleur état que lors de son arrivée ?

Pour les dépenses pour l’éducation, la France se singularise à nouveau. C’est simplement le dernier pays de l’OCDE pour l’évolution de ses dépenses éducatives. Elles ont évolué moins vite que le PIB, même si le rythme n’est pas le même du primaire au supérieur. Il y a par contre une unité pour les salaires des enseignants qui sont toujours inférieurs à la moyenne de l’ OCDE: 33 359$ pour un enseignant du primaire français contre 38 914 dans l’OCDE; 38 856 en collège français contre 41 701. Ces salaires ont diminué en France alors qu’ils ont progressé dans tous les pays de l’OCDE sauf deux : seule la Hongrie fait plus mal que la France.

Le sondage opéré par le Café pédagogique au mois de mars 2012 auprès des enseignants montre un refus très net des mesures Sarkozy. Les mesures générales comme l’évaluation et le recrutement par le chef d’établissement sont rejetées par près de 8 enseignants sur 10 seulement 14 et 17% les acceptent. 82% sont favorables à un moratoire des suppressions de postes, 85% pour de nouvelles embauches. L’orientation précoce, un des points du programme Sarkozy, qui permettrait d’expulser du collège les enfants difficiles, n’est soutenue que par 23% des enseignants, 70% sont contre. La proposition sarkozienne de revaloriser le salaire en échange de travailler plus n’est acceptée que par 15% des enseignants, 73% sont contre. Le rétablissement de la carte scolaire est demandé par 79% d’entre eux. A l’école primaire, l’aide personnalisée est nettement rejetée : 89% des enseignants sont contre son maintien en état. 74% demandent la suppression des évaluations nationales chères au coeur du ministre. 94% s’opposent aux suppressions des Rased. Dans les réponses libres, on note de nombreuses demandes d’un retour aux programmes de 2002, ce qui veut dire qu’au bout de 4 ans les programmes de 2008 ne sont toujours pas acceptés. Au collège, le Livret personnel de compétences est rejeté par 51% des enseignants, 40% souhaitent le garder. Au lycée, le moratoire pour la réforme du lycée technologique est validé par 58% des enseignants seulement 14% sont contre. Seulement un enseignant sur dix est pour le maintien en l’état de l’accompagnement personnalisé, 80% sont contre. En lycée professionnel, la proposition de mettre en alternance la terminale pro ne recueille que 14% d’avis favorables, 86% sont contre.

Les étudiants boudent le métier d’enseignant. La crise de recrutement est apparue nettement en 2011 où un millier de postes aux concours n’ont pas trouvé preneurs. En 2012, les résultats des épreuves d’admissibilité montrent que cette situation va se renouveler. La faible hausse des salaires de début de carrière n’ont pas suffi à attirer des étudiants vers l’enseignement.

Quels défis rencontrera le prochain président ?

Le prochain président devra être capable d’agir sur trois dossiers prioritaires.

Le plus urgent c’est la réduction des inégalités sociales à l’Ecole. Leur coût pour la société est terrible. Elles entrainent l’échec scolaire et les sorties sans qualification qui contribuent à leur façon au désinvestisssement dans le pays. Elles génèrent des frustrations et participent à l’érosion du lien social. Des solutions existent. L’OCDE a pu montrer des exemples e pays qui partant d’une situation aussi mauvaise que la France voient leurs résultats s’améliorer, comme l’Allemagne. Ces solutions ne sont pas forcément coûteuses mais elles demandent une volonté politique forte.

Le second dossier c’est le recrutement des enseignants. Nicolas Sarkozy pense pouvoir s’affranchir de ce problème en augmentant de 40% le temps de travail des enseignants du secondaire en leur donnant moins que ce qu’ils peuvent toucher aujourd’hui avec des heures supplémentaires. Il rencontrerait probablement des difficultés s’il était élu. E Joly et F Hollande veulent recruter de nouveaux enseignants. Or le fait de repousser la formation initiale des enseignants au niveau du master a diminué le nombre de candidats potentiels. La France fabrique 70 000 masters chaque année. L’éducation nationale pour remplacer simplement ses départs en retraite doit trouver environ 30 000 nouveaux enseignants par an. L’éducation nationale est donc en concurrence avec le monde économique pour son recrutement à un niveau jamais atteint. Faute d’avoir su augmenter le nombre de bacheliers généraux, futurs masterisables, elle s’asphyxie elle-même ! Comment casser cette mécanique ? Tout effort de recrutement implique des investissements quasi impossibles. D’autre part l’éducation ne doit pas nuire au recrutement des entreprises…

Mais le principal dossier est celui des valeurs. Le quinquennat, comme l’a montré la chercheuse Nathalie Mons, dans une tribune publiée par le Café, a attaqué les valeurs républicaines de l’Ecole. « Ces cinq dernières années ont été marquées à la fois par une multiplication des politiques combattant le modèle de l’école à la française et, plus important encore, par une rhétorique gouvernementale puissante autour du fait éducatif ainsi qu’un style de communication revendiquant le pragmatisme et le « parler sans tabou », dont l’efficacité s’appuie sur la déconstruction des mythes politiques français, en général, et de l’école républicaine en particulier », explique N Mons. « Les valeurs et principes de promotion sociale et de démocratisation de l’enseignement, au cœur aussi de l’école républicaine dans sa version gaulliste, sont également attaqués frontalement par des politiques scolaires, colorées socialement, mais qui ne visent de fait que la sélection et la construction des élites scolaires et sociales. Il ne s’agit plus de fabriquer, pour tous les élèves, les conditions positives d’une ascension sociale et, dans le cadre d’une politique de discriminative positive, d’améliorer les contextes d’apprentissages de l’ensemble des élèves issus de familles défavorisées mais uniquement d’extraire dans ce vivier humain de « talents » quelques enfants qui apporteront leur contribution aux futures élites sociales. Ces politiques contribuent aussi, en mobilisant la figure emblématique du « boursier méritant » issue de l’imaginaire collectif de la IIIème République, à asseoir la légitimité d’un système éducatif présenté comme méritocratique, et donc démocratique. »

Si le pays a à faire face à des défis plus importants encore que celui posé par l’Ecole, par contre pour l’Ecole, l’élection est déterminante. Les conseillers du président aiment à dire qu’ils ont « levé les verrous » et qu’un second quinquennat serait celui de la construction d’une nouvelle école basée sur la concurrence et la sélection. Le bulletin de vote du 22 avril correspond aussi au choix entre école libérale et renouveau de l’école républicaine.

François Jarraud

Liens :

Le bilan

Le sondage

Mons sur les valeurs républicaines

Sarkozy et les inégalités scolaires

Sur la ségrégation scolaire