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Pour les vingt ans de la collection « Théâtre aujourd’hui », le Scéren (CNDP-CRDP) avait choisi de célébrer Jean-Claude Grumberg, l’un des auteurs de théâtre les plus joués dans le milieu du théâtre scolaire. Entourés de Jean-Michel Ribes, directeur du Théâtre du Rond-Point, de Constantin Costa-Gavras, de Muriel Mayette, administratrice de la Comédie Française et de Françoise Nyssen, des Éditions Actes Sud, Jean-Claude Merriaux, DG du CNDP et Jean-Claude Lallias recevaient Jean-Claude Grumberg au Théâtre du Vieux Colombier, le 4 juin, pour une soirée d’hommage émaillée de vidéos extraites du 14ème numéro de la revue, et de lectures de textes par des élèves et des acteurs. Soirée émouvante autour d’une personnalité touchante et drôle.

« Un homme qui zigzaguait en allant tout droit », dit de lui son ami Jean-Michel Ribes, qui reconnaît avoir mis longtemps à comprendre le fonctionnement de Jean-Claude Grumberg, noué par «l’émotion inconsolable du souvenir de son père ». L’esquisse du portrait est posée : l’auteur est hanté par le souvenir de l’Holocauste et son œuvre pourrait se lire comme une tentative sans cesse réitérée, malgré le rire, l’humour, la diversité des thèmes, d’approcher à pas de loup, par une intelligence intuitive et anxieuse, l’incompréhensible tragédie qui a emporté parmi tant d’autres son père et son grand-père. L’Atelier, dont la création à l’Odéon en 1979 est reprise en intégralité dans le DVD du Scéren, évoque l’aberration d’un déni officiel : l’acte de décès d’un déporté sans retour comporte la simple mention « décédé à Drancy ». Que faire ? Réclamer la vérité alors que l’urgence du quotidien, au sortir de la guerre, appelle à d’autres préoccupations ?

« Ce que l’on découvre de la misère humaine – ou de l’ignorance », commente J-C Grumberg lorsqu’il dit avoir entendu, de la part d’habitants actuels de Drancy, que les déportés n’ont pas pu souffrir plus qu’eux-mêmes ne souffrent actuellement. Parce que là réside l’indécidable de l’expérience humaine, l’auteur veut que le théâtre donne à parler aux acteurs, qui savent mettre juste le bon poids, sans mesurer, à l’expression de ce qui ne peut pas se dire, pour aider à comprendre ce qui se joue entre les humains, dans l’expérience du drame, du rire, de la parole lâchée sans penser, de l’indifférence aveugle ou de l’impuissance navrée. Au cinéma, les scénarios du Dernier Métro de Truffaut, du Couperet et d’Amen , de Costa-Gavras, sont autant d’occasions de variations autour de ces thèmes qui traversent son théâtre.

« Des textes accessibles et proches de nous », témoignent les élèves d’option théâtre du lycée Henri Sellier de Livry-Gargan (93) venus avec leur professeur Aurore Boguet, ou du Lycée Jean Moulin de Marne-La-Vallée (77), escortés par Philippe Guyard, pour une lecture d’extraits de Moi je crois pas ou de Si ça va, tandis que les CP de l’École Simon Bolivar à Paris (19ème), accompagnés par Aurore Boguet, ont présenté des fragments de Mange ta main, l’un des nombreux textes de littérature enfantine de l’auteur. Robin Renucci, directeur des Tréteaux de France, a proposé une lecture magistrale de la postface à Mon étoile et Une vie de « On », avant de rappeler l’importance d’une éducation à la pratique théâtrale et artistique, à laquelle ne saurait se substituer l’étude de l’histoire des Arts que les programmes actuels tendent à favoriser. « On peut aussi étudier l’histoire de la natation, remarquait-il, ça ne remplace pas quelques séances de piscine ».

L’ensemble des 20 ans de publication de « Théâtre aujourd’hui », offert à une spectatrice par tirage au sort, après un intermède de chants Yiddish de Serge Kribus, en clôture de soirée, compose une somme imposante : conçue pour faire connaître l’histoire du théâtre et les créations contemporaines, la collection embrasse un domaine étendu de la tragédie grecque à Valère Novarina, dans une approche richement documentée et informée, servie par de prestigieux contributeurs rassemblés autour du travail inlassable de Jean-Claude Lallias, responsable de l’édition. Une collection à laquelle on ne peut que souhaiter encore quelques belles décennies à venir.

Jeanne-Claire Fumet

Découvrir la collection sur le site du CNDP