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Comment raccrocher les « décrocheurs », comment satisfaire l’envie de voir ce qui se passe en dehors du collège et donner du sens aux apprentissages, y compris des bons élèves ? Comment leur donner envie de poursuivre leur scolarité pour décrocher plus tard… un travail dans le domaine de la chimie, puisque le bassin d’emploi de la région héberge une large gamme de PME et de grands groupes, acteurs majeurs de la chimie mondiale ? C’est le défi que s’est lancé Aurélie Badard en acceptant le cours optionnel de DP3 qui regroupe des élèves de niveau hétérogène, dont les collègues ne savaient trop que faire, au collège Charpak de Brindas, près de Lyon. Ce projet a été présenté au 5ème Forum des enseignants innovants les 1er et 2 juin 2012.

D’abord, on n’y croit pas : la chimie, une fois dépassé le cadre du laboratoire avec quelques expériences amusantes, on ne voit pas bien ce qu’elle a de si attractif. Mais Aurélie est passionnée par sa discipline, et passionnée tout court, y compris de pédagogie (elle enseigne depuis 15 ans, est formatrice disciplinaire depuis 2 ans, Tutrice de M1 et M2 cette année et appartient au Groupe de Ressources Disciplinaires de SPC de l’académie de Lyon). Ce cours de découverte des métiers et d’accompagnement au projet d’orientation des élèves est l’occasion de rattacher des savoirs à une réalité concrète : la chimie, c’est peut-être du pétrole ou des silicones, mais ça sert à faire du rouge à lèvres et toutes sortes de plastiques, elle est présente dans l’environnement quotidien. Et il y a tout un monde à découvrir, un monde où les adultes exercent des métiers très variés.

Ce qu’ils en disent

« J’ai appris à écouter et à m’intéresser ! », « J’ai découvert que la chimie était très vaste », « J’ai commencé à réfléchir vraiment à mon avenir », « J’ai découvert le monde de l’entreprise », « Cela m’a permis de m’ouvrir aux autres … », « Cela m’a permis de m’intéresser à autre chose que le foot et la PSP ! », « J’ai découvert que si on veut, on peut ! » Voici ce qu’ils en disent, en ce début juin.

Aurélie Badard : « J’ai du plaisir à les retrouver chaque semaine, à les regarder différemment, pas comme des « bons élèves » ou des « cancres », car c’est l’image que certains ont appris à donner d’eux-mêmes, ou que leur renvoie leur famille, mais comme des adolescents responsables, qui ont envie de se projeter dans un avenir positif. »

« J’ai ressenti ce projet comme très construit: objectif bien défini et affiché, travail de préparation, continuité sur toute une année, diversité des interlocuteurs… J’ai l’impression d’une vraie attente de la part du groupe d’élèves pour ce que je pouvais leur apporter. Le jour de la réunion, j’ai sans doute été trop bavard; les questions des élèves étaient toujours pertinentes. Les élèves ont eu la gentillesse de m’envoyer le texte réalisé après cette réunion. Un gage du suivi du projet », remarque monsieur Guyard, journaliste scientifique.

« Je pense personnellement que ce genre d’action est à poursuivre dans les collèges et lycées. Toutes les actions qui rapprochent le monde de l’entreprise et de l’éducation doivent être développées. Nous sommes dans le secteur scientifique/industriel qui n’a pas forcement bonne image et ne fait pas « rêver » la génération actuelle », dit Monsieur Clechet, du groupe Blanchon.

Le projet

Le travail d’Aurélie avec sa classe s’articule autour de trois grands axes :

– les représentations (de soi, du prestige des métiers, de l’organisation de l’entreprise, des formations…)

– les rencontres avec des personnes exerçant différents métiers à différents niveaux de qualification et de responsabilités

– les visites d’entreprises et d’établissements de formation

Rien de bien innovant, me direz-vous. Si. Dans l’approche pédagogique et l’articulation de ces axes. C’est une constante des projets présentés au Forum, l’élève est toujours au centre des activités, acteur et non consommateur. Il sera tour à tour enquêteur, journaliste, vidéaste, chef d’entreprise, au fil des activités et des jeux de rôles qui serviront de préparation aux rencontres avec les adultes représentant les métiers, ou les personnalités invitées. Et ils rencontreront d’ailleurs, entre autres, un journaliste scientifique et un chef d’entreprise. Différentes compétences transversales et disciplinaires seront mises en œuvre, dans un cadre différent de celui de la classe, et en confiance : l’évaluation se fera en situation.

Chaque activité préparatoire est guidée par une fiche-élève, conservée dans un dossier que l’élève emporte en fin d’année (le dossier conserve aussi la mémoire des comptes-rendus de visites, des interviews des adultes venus raconter leur métier, des articles de presse découpés et commentés). La présence de cette progression – découverte d’un secteur d’activités, fiches-métiers, image de soi et de ses compétences, représentation du prestige et du genre des professions, questionnaires à adresser aux professionnels…- rend ce travail tout à fait transposable à d’autres secteurs et d’autres bassins d’emploi.

Alors que certains de ces ados connaissent des difficultés scolaires, ils vont sans s’en apercevoir travailler les compétences transversales exigées pour réussir dans les champs disciplinaires. La démarche de la recherche documentaire : les élèves, toujours dans le but de préparer une rencontre, font une recherche sur Internet. Ils doivent s’appuyer sur leurs propres connaissances du domaine pour pouvoir poser des questions pertinentes et vérifier leurs hypothèses. La prise da parole, l’expression orale : le professeur n’intervient au cours des rencontres avec les professionnels que pour relancer le débat ou poser des questions au même titre que les élèves. La prise de notes, la reformulation, avec la rédaction d’articles qui rendent compte des rencontres et des visites. La compréhension de l’écrit, l’analyse de texte, l’esprit critique, en comparant des articles parus dans la presse avec ce qu’eux-mêmes ont retenu des rencontres et conférences. L’esprit civique et l’esprit d’échange, en remerciant les visiteurs bénévoles par des boissons et gâteaux confectionnés par leurs soins, puisque ce projet ne bénéficie d’aucun budget, et en adoptant un comportement responsable lors des visites. La curiosité, l’esprit d’ouverture, en s’intéressant à des systèmes complexes comme celui du fonctionnement d’une entreprise.

« Ils sont très contents de sortir du collège, de partir en visite au CFA, au Forum des métiers, au lycée, à l’université ou dans une raffinerie, mais ils sont aussi très contents d’y revenir pour mettre en forme toutes leurs découvertes et préparer les suivantes », assure Aurélie. Le collège prend en charge le financement des sorties (transport). Toutes les interventions au collège sont faites gracieusement par les professionnels, pas toujours faciles à faire déplacer pour quelques collégiens, car ils ont tous des obligations, évidemment, et un emploi du temps chargé. « L’année dernière, j’ai passé l’été au téléphone, à essayer de convaincre de l’importance de ces rencontres. Je suis en train de construire mon réseau, ce n’est pas facile, car je n’assure ce cours que depuis l’an dernier. Mais, tous ceux qui étaient venus l’an dernier sont immédiatement revenus. Et toutes les visites nous ont été offertes. A titre d’exemple, chez Arkema, une dizaine de personnes ont banalisé leur matinée pour nous faire découvrir le centre de recherche », explique Aurélie. L’UIC (l’Union des Industriels de la Chimie) et l’association 100 000 entrepreneurs m’ont bien aidée dans mes prises de contact. »

Et ensuite ?

« Avant la DP3, j’ai toujours été très impliquée dans des dispositifs d’accompagnement à la construction du projet personnel d’orientation: 4° Aide et Soutien, puis 4° Alternance et 3° Alternance et je suis prof. Principale en 3° depuis 8 ans !!! J’aime vraiment porter ces dispositifs car c’est là où je me sens le plus utile. J’ai pris contact avec Yves Chauvin (Prix Nobel de Chimie), que nous avions écouté lors de notre première sortie au symposium « Demain vers une chimie choisie », pour lui présenter mon projet et voir s’il pouvait être « notre correspondant Prestige » l’année prochaine afin d’échanger avec lui grâce à un blog et le faire venir pour un café débat avec d’autres intervenants ».

Béatrice Crabère