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Le vendredi 15 juin, s’est tenue à la Faculté des Sciences d’Orsay, la Journée Formation Continue 2012 dans les locaux de l’Institut de Physique Nucléaire. Cette Journée de Formation Continue en pédagogie est un lieu unique où se retrouvent enseignants du secondaire et enseignants-chercheurs officiant en licence. Elle permet d’évoquer le lien à faire entre ces deux secteurs d’enseignement scientifique évidemment complémentaires. À l’initiative en particulier de Pierre Pansu et de Claude Cabot, enseignants à l’Université Paris-Sud, la manifestation a rassemblé plusieurs centaines de participants. Le thème en était cette année « Après le “nouveau lycée”, faut-il adapter une “nouvelle licence” ? », en lien avec l’achèvement du renouvellement des programmes : de nouveaux programmes de Terminale entrent en effet en vigueur à la rentrée 2012.

L’inspection était bien sûr présente, dans chacune des trois disciplines scientifiques du lycée, représentées par les IPR, mais aussi par l’Inspection Générale, en la personne de Xavier Sorbe, inspecteur général de Mathématiques.

L’évolution des programmes du secondaire

Les évolutions en SVT sont moindres qu’en Physique-Chimie et Mathématiques. Cette discipline a déjà fait sa « révolution culturelle », et les nouveaux programmes n’y marquent pas une solution de continuité importante. C’est tout le contraire en Physique, où les changements sont considérables, et, dans une moindre mesure, en mathématiques, où cette évolution s’inscrit dans un continuum.

En Physique, en effet, les nouveaux programmes mettent en avant l’apprentissage de la démarche scientifique, suivant la direction initiée par exemple par « la main à la pâte » en primaire. Culturellement, pour nombre d’enseignants de physique, une moindre part accordée au quantitatif et au magistral est une évolution notable. Les programmes en appellent à une formation basée sur les compétences « extraire » et « exploiter » dont l’objectif est d’apprendre aux élèves à avoir un regard critique sur des textes et des résultats scientifiques. Des supports d’information multiples leur seront proposés, à charge pour eux d’argumenter un cheminement intellectuel : « l’élève est ainsi amené à raisonner avec méthode et à mettre en œuvre avec rigueur l’ensemble des étapes qui lui permettent de trouver la ou les solutions au problème posé ». Par ailleurs, le programme propose de traiter des thèmes « modernes », tels le rayonnement dans l’univers, les spectres RMN du proton, le temps atomique, la dualité onde-particule, le stockage optique, par exemple.

En Mathématiques, le recours à l’algorithmique perdure, comme préconisé déjà en seconde et première, et la part de l’aléatoire augmente, puisque les probabilités et la statistique représentent le quart du programme de TS, par exemple. L’introduction de la loi normale y est une nouveauté ; corrélativement, disparaissent des programmes l’utilisation des nombres complexes dans la résolution de problèmes de géométrie, la notion de barycentre, celle de suites adjacentes, mais aussi la résolution des équations différentielles. La part croissante de l’algorithmique et de l’aléatoire s’inscrit dans le droit fil des évolutions commencées au collège, et ont pour but de rendre la discipline davantage « expérimentale », avec un ancrage dans le réel plus visible aux élèves. Cette évolution progressive doit tenir compte aussi du fait que le corps enseignant, en secondaire, est parfois encore peu familier de l’algorithmique ou des probabilités, n’ayant souvent pas rencontré ces champs disciplinaires dans leurs études.

La disparition des équations différentielles, pourtant réduites dans les précédents programmes aux équations linéaires du premier ordre, peuvent questionner : outil fondamental dans nombre de domaines, et tout particulièrement en physique-chimie, n’eût-il pas mieux valu conserver une initiation à ces notions en Terminale, d’autant que le temps dédié n’y était pas très important, et que la notion figure quand même en filigrane dans la définition de la fonction exponentielle ?

Des questions relatives au dispositif d’écriture des programmes

D’autre part, en croisant les programmes quelques points laissent perplexes. Pourquoi la loi exponentielle figure-t-elle au programme de TS, avec la décroissance radioactive explicitement indiquée comme application possible, alors que la radioactivité a disparu des programmes de physique ? D’autant que le programme de SVT stipule que « l’interrogation en SVT au baccalauréat ne portera pas sur les formalisations mathématiques et/ou physiques de la radioactivité »… Cet exemple montre bien que les échanges entre les groupes d’experts chargés de l’écriture des programmes n’ont pas dû être suffisamment intensifs pour éviter de tels hiatus. À leur décharge, le calendrier que le ministre d’alors leur a imposé explique largement ces dysfonctionnements.

Plus largement, il faut savoir que, entre 1989 et 2005, les programmes étaient élaborés par une instance large (le Comité National des Programmes) qui pouvait travailler sur le long terme en croisant les points de vues. Or, 1989, c’est l’année de la loi d’orientation sur l’éducation (dite « loi Jospin »), et 2005, c’est celle de la loi « d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école » (dite « loi Fillon »). C’est donc d’une décision proprement politique (réserver l’écriture des programmes à un collège restreint d’experts), que viennent les difficultés d’aujourd’hui. Et l’on peut à bon droit regretter le travail d’élaboration des programmes 2000, où, par exemple, les documents ressource des trois disciplines scientifiques de TS comprenaient une dizaine de pages communes (autour de la radioactivité, justement), invitant les enseignants à un fructueux travail unificateur, permettant aux élèves de mesurer l’unité de la culture scientifique.

On ne peut que souhaiter que le nouveau ministre revienne à un dispositif plus pertinent : c’est en tout cas le souhait formulé par X. Sorbe, et par D. Perrin, professeur à l’université Paris Sud, qui a été associé à l’élaboration de nombreux programmes.

Les programmes de mathématiques des classes préparatoires

Durant l’une des tables rondes qui scandaient ces journées, un changement du programme de mathématiques des classes préparatoires a aussi été évoqué. Du fait de l’accroissement de la part des proba-stats dans les programmes du secondaire l’absence total de traitement de ce domaine en CPGE devenait encore plus embarrassante qu’auparavant. Il faut savoir en effet que les étudiants de licence étudient ce domaine depuis des années, et qu’il est devenu tout à fait fondamental dans nombre de métiers (on estime qu’un mathématicien professionnel sur deux est probabiliste ou statisticien…) : les étudiants de CPGE arrivaient donc en école d’ingénieur sans aucun bagage dans ce domaine, alors même que les proba-stats nécessitent une approche intellectuelle spécifique, qui prend du temps. L’argument avancé jusque là pour justifier cet état de fait était que l’on ne peut proposer une approche mathématiquement correcte des probabilités qu’en ayant travaillé préalablement la « théorie de la mesure », qui ne s’étudie souvent qu’en troisième année de licence. Or, en CPGE, les enseignants de mathématiques prétendent tout démontrer…

C’est un vieux clivage qui ressurgit là : faut-il enseigner des « morceaux » de mathématiques, avec des objectifs pragmatiques de formation, ou bien donner à voir une théorie bien ordonnée (qui plus est, en apparence seulement, dans les faits). Tout (et en particulier ce qui se fait ailleurs qu’en France) donne à penser que seule la première option est viable. Néanmoins, les résistances sont fortes, du fait de la formation des enseignants de mathématiques de CPGE, et des représentations qu’ils se font de leur mission. D’après ce qui s’est dit lors de la table ronde, les proba-stats feraient donc irruption dans les programmes de CPGE : bonne nouvelle, hélas aussitôt tempérée par l’information que seules le discret y serait traité. Or, la plupart des outils pertinents de ce domaine relève du continu, et continueraient à être ignorés des étudiants ; si ce point de vue l’emportait, ce serait sans doute une très mauvaise nouvelle quant à la qualité de la formation donnée à nos futurs ingénieurs.

La journée s’est achevée par une série d’ateliers où enseignants du secondaire et du supérieur ont pu croiser leurs pratiques, ce qu’ils ont trop rarement l’opportunité de faire.

Didier Missenard