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Voulu par le précédent ministre, le nouvel enseignement « Connaissance du monde économique » (CME) est soumis au Conseil supérieur de l’éducation le 28 juin. Le CME, s’il est accepté, pourrait remplacer les enseignements d’exploration de SES et de PFEG (éco gestion) à la rentrée. Son programme, présenté le 19 juin en CTM, comprend 13 questions économiques parmi lesquelles il faut en traiter 4 à 65 et 4 questions sociologiques parmi lesquelles il faut en traiter 2 ou 3. Enfin 5 questions de gestion sont proposées parmi lesquelles on en retiendra 2 ou 3.

Mais les avis divergent sur l’opportunité de cet enseignement. Marjorie Galy, présidente de l’Apses, association des professeurs de SES et Sylvie Cordesse Marot, présidente de l’association des professeurs d’éco-gestion, confrontent leur point de vue sur l’utilité de cet enseignement et sur la position prise par leur association.

Comment avez vous appris la mise en place de l’enseignement de CME ? Avez vous été consultée sur sa création avant l’annonce officielle dans la circulaire de rentrée de Luc Chatel ?

APSES : « Nous l’avons apprise de source syndicale, trois jours seulement avant que le projet ne soit examiné par la commission spécialisée lycée ! », témoigne M. Galy. « Autrement dit, c’est une décision une nouvelle fois venue d’en haut, sans consultation préalable des enseignants qui seraient chargés d’enseigner ce nouvel enseignement d’exploration. En outre, le projet de décret sur la fusion SES-PFEG a été présenté le 20 juin comme permettant d’éviter sur le terrain les « expérimentations sauvages » (entendre par là contraires au cadre réglementaire). Mais faut-il s’étonner que dans de rares lycées ces « expérimentations sauvages » soient envisagées dès lors que le précédent ministre a, dans l’improvisation la plus totale, donné l’injonction d’expérimenter cette fusion dans la circulaire de rentrée, en infraction avec l’article 34 de la loi Fillon (qui ne permet pas de passer outre les contenus nationaux des programmes) ? Etrange procédé rhétorique. Et qui pourrait donner lieu à une jurisprudence plutôt inattendue : inciter chaque établissement à prendre des mesures contraires au cadre national en espérant toujours pouvoirs être couverts a posteriori par l’Institution… »

APEG : « La méthode d’élaboration de ce programme nous laisse perplexes », explique S Cordesse. « Pendant les dernières années, nous avons été souvent « consultés » et jamais écoutés. Puis nous n’avons plus été ni consultés ni informés ce qui n’est pas mieux. Il nous semble essentiel d’informer le plus possible les collègues d’économie et gestion des différents projets. Il faut leur demander d’y réfléchir et de s’exprimer, en particulier à travers leurs associations. C’est un impératif démocratique et aussi un moyen que les professeurs s’approprient les réformes et les fasse vivre le mieux possible. »

Le ministère a présenté ce nouvel enseignement comme permettant de « donner aux élèves une culture économique indispensable à la compréhension du monde actuel » et pour « renforcer le caractère non déterminant du choix opéré pour l’un des deux enseignements ». Qu’en pense votre association ?

APSES : « L’argument avancé sur  » le caractère non déterminé du choix opéré  » est peu convaincant. Comment expliquer en effet que l’on reproche aux seuls enseignements de SES et PFEG de prédéterminer l’orientation des élèves, alors que selon les chiffres mêmes du Ministère, à la rentrée 2011, les trois quarts des élèves de 1ère S avaient un « profil scientifique et technologique » en 2nde (52% ayant suivi MPS), et que les trois quarts des élèves de 1ère L avaient suivi « littérature et société » ou un enseignement artistique ou linguistique ? Et le ministère n’envisage pas pour autant de créer un enseignement d’exploration hybride  » littérature et science  » pour renforcer  » le caractère non déterminant du choix opéré  » !

Par ailleurs, en l’absence de toute consultation, le nouveau programme proposé comporte des incohérences et biais manifestes. Couper et coller à la va-vite 2 programmes montre l’absence de réflexion pédagogique d’ensemble, une nouvelle fois oubliée au profit de préoccupations gestionnaires au centre de la réforme du lycée. on ne peut que constater la marginalisation de la sociologie (dont il ne reste plus que 6 notions sur 60). La sociologie a pourtant tout son intérêt et son utilité pour comprendre le monde contemporain et s’y situer en tant que citoyen, consommateur et producteur de richesses, surtout lorsqu’elle est articulée avec l’économie, ce que ne permet justement pas ce programme cloisonné. Il est à ce titre étonnant de constater qu’alors que l’entreprise devient un thème récurent de ce programme hybride, elle est étudiée sous l’angle économique puis gestionnaire et jamais sous l’angle sociologique. Il y a bien là, à notre sens, l’aveu d’un des buts de cette expérimentation : dissoudre la pluridisciplinarité des SES et son ambition d’initiation à une culture générale économique ET sociale, par fusion-absorption, comme l’avait recommandé Bernard Thomas (conseiller de Luc Chatel et aujourd’hui membre du Haut Conseil de l’Education). Enfin, le projet ignore les conditions d’enseignement et d’apprentissage des élèves en proposant un programme constitué de 8 à 12 chapitres à raison de 90 minutes par semaine.

APEG : « Il est temps de développer la culture économique en France et que les jeunes acquièrent massivement au cours de leur formation des éléments de référence qui développent leurs connaissances et leur esprit critique. Par exemple, dans le contexte de crise actuel où l’idée de la diminution des dépenses publique comme la baisse des charges de entreprises, sont présentées comme des évidences, questionner le rôle de l’Etat, les mécanismes économiques ou réfléchir sur la création de richesses est essentiel. Associer à cette réflexion des éléments de gestion et de sociologie est excellent. Cet enseignement devrait être intégré au tronc commun, proposer au moins deux heures hebdomadaires et obtenir des moyens systématiques en dédoublements ».

« A l’heure actuelle, les enseignements d’exploration jouent un rôle de pré-orientation : les parents d’élèves les mieux informés cherchent la meilleure option pour mieux préparer le bac qu’ils souhaitent. SES et PFEG (dont les programmes sont assez proches) ne sont pas choisis pour l’intérêt de leurs contenus mais pour anticiper sur l’orientation vers une voie générale et technologique. Un seul enseignement obligatoire en économie permettrait à tous les lycéens de découvrir différents aspects de l’approche économique. Il éviterait donc les pré orientations. Les lycéens orientés en STMG sauront enfin que les disciplines qu’ils vont étudier ont la même dignité et le même intérêt que les autres. Ce sera un recul de l’orientation par l’échec et de la hiérarchie des filières. »

Quel effet pourrait avoir ce dispositif sur l’évolution des effectifs élèves dans l’avenir ?

APSES : « S’il ne s’agissait que du choix des élèves, nous n’aurions aucune crainte. Nous avons la chance d’enseigner une discipline qui est véritablement plébiscitée par les élèves », nous confie M Galy. « L’expérimentation de l’enseignement CME pourrait donc n’être qu’un épiphénomène. A moins qu’elle ne pose la première pierre d’une généralisation. Auquel cas les élèves n’auraient alors plus rien à choisir. »

APEG : Les lycéens choisiront la 1ère STMG en ayant une idée positive de ce qu’on y enseigne. Au niveau qualitatif, l’évolution est positive. Et au niveau quantitatif ? C’est difficile de faire des pronostics. Il ne s’agit donc pas d’avoir une volonté hégémonique sur d’autres orientations. Il serait aberrant de nous sentir en concurrence avec les collègues d’autres disciplines pour recruter plus. Nous sommes des fonctionnaires au service de l’intérêt collectif.

Quelles consignes allez vous donner a vos adhérents en vue de l’installation de cet enseignement ?

APEG : « Depuis la mise en place de la réforme en 2nde nous sollicitons nos collègues pour que de façon expérimentale des enseignements communs PFEG et SES soient mis en place dans leurs lycées », nous dit S Cordesse. « Certains ont joué cette carte dés le début et le résultat est positif puisque les choix d’orientation des élèves se font de façon plus lucide. Nous allons encourager les collègues d’économie et gestion à continuer dans cette stratégie. Nous allons solliciter leurs critiques pour demander des évolutions au programme de CME. De plus nous réfléchissons sur la mise en place de l’épreuve de sciences de gestion en première pour demander des évolutions lors de notre audience demandée au cabinet du Ministre. »

APSES : « Nous espérons d’abord que ce projet soit rejeté par le Conseil Supérieur de l’Education le 28 juin, et que le Ministre décide de ne pas l’appliquer », explique M. Galy.. Dans l’hypothèse inverse, nous aiderions l’ensemble des enseignants de SES à faire refuser le projet en conseil d’administration. Nous pourrions également envisager des recours juridiques, car il est très peu probable qu’un lycée puisse proposer à la rentrée de septembre l’enseignement de CME en ayant respecté le cadre réglementaire en vigueur. N’oublions pas qu’il faut pour expérimenter ce projet avoir réuni le conseil pédagogique et le conseil d’administration, pour se prononcer avant septembre sur la base d’un texte qui ne paraîtrait au journal officiel qu’en plein été !

Propos recueillis par François Jarraud