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Dans quelques jour , Vincent Peillon lancera la « concertation » qui permettra de rédiger la loi de programmation et d’orientation de l’Ecole. Est-ce un nouvel épisode des grands débats qui viennent régulièrement se pencher sur l’Ecole ? Pour l’historien de l »éducation Claude Lelièvre, l’événement est unique.

Le 5 juillet, une concertation inédite quant à son objet, son ambition, ses modalités et son contexte va être lancée solennellement dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne.

Son objet : c’est la première fois qu’il s’agit de préparer une loi non seulement d’ « orientation » mais aussi de « programmation » pour l’Education nationale avec, qui plus est, l’ambition de « refonder l’Ecole ». Les modalités de cette phase de la concertation sont elles aussi inédites : un aréopage d’environ deux cents personnes ( réunissant des intellectuels, des experts, des membres de l’administration, et des représentants es qualités de nombre d’organisations de la société civile ) vont travailler ensemble jusque début octobre sur quatre thèmes jugés fondamentaux. Enfin, contexte également inédit, ils vont disposer de fait d’un « canevas consistant », à savoir le corpus des déclarations publiques de François Hollande en la matière, partie prenante éminente du programme sur lequel il a été élu ( et base – en principe et par principe – obligée de la « loi d’orientation et de programmation » pour laquelle il s’est prononcé, dans une démocratie représentative ).

Tout cela est bien différent du processus qui a conduit à la « loi d’orientation » d’avril 2005. En 2002, le chef de l’Etat Jacques Chirac n’avait été élu aucunement sur quelque projet public consistant en matière scolaire et éducative. Le 15 septembre 2003, une « Commission nationale du débat pour l’avenir de l’école » est installée par le premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Il est précisé que « l’objectif est, dans un premier temps, de parvenir à un diagnostic partagé par le plus grand nombre sur l’état du système éducatif en France. A partir de là, le Gouvernement pourra proposer au Parlement un projet de loi d’orientation qui fixera les objectifs que la Nation se donne pour les 15 à 20 ans à venir en matière d’Education nationale ».

La commission , présidée par Claude Thélot, est composée de membres qui y participent à titre personnel ( ils ne sont pas les représentants d’organisations ) et siègent donc « intuitu personae » : 8 « usagers de l’école », 16 « acteurs de l’école », 16 « personnalités » ( ‘’intellectuels’’ ou ‘’experts’’ ),trois anciens présidents de fédérations de parents d’élèves et trois membres du monde de l’entreprise. S’y ajoutent 8 « parlementaires associés ».

De novembre 2003 à la mi-janvier 2004 ont lieu quelque 26000 réunions rassemblant plus d’un million de personne dans 15000 sites et donnant matière à 13000 synthèses locales, avec la participation d’environ 300 associations. « Le miroir du débat » qui se veut la synthèse des échanges est remis par la Commission au ministre de l’Education nationale le 6 avril 2004. Le 12 octobre 2004, la Commission remet son rapport ( intitulé « Pour la réussite de tous les élèves » ) au Premier ministre. Le rapport avait été rédigé en toute indépendance du ministère. Et la loi d’orientation va être rédigée en toute indépendance du rapport et de la commission ( même s’il en est tenu compte sur certains points ). Selon son président, Claude Thélot, qui en fait le bilan dans son livre « Débattre pour réformer ; l’exemple de l’Ecole » ( paru chez Dunod en 2005 ), la « loi d’orientation » (dite loi ‘’Fillon’’ ) d’avril 2005 est « très éloignée du rapport de la commission ». Et il distingue plusieurs cas de figure : reprises ( rares ) d’une recommandation de la Commission, absences ( assez fréquentes ) de recommandations préconisées, ou reprises ( mais ‘’altérées’’ ) de nombres d’autres propositions.

La loi « d’orientation sur l’éducation » ( dite « Jospin » ) promulguée à la date o combien symbolique du 14 juillet 1989 n’est nullement le résultat d’un tel processus de « débat » et/ou de « consultation ». Elle fait suite aux contacts classiques entre les diverses parties prenantes organisées de l’Ecole. Là aussi, le chef de l’Etat, François Mitterrand ( réélu en mai 1988 ) n’avait donné aucune indication consistante concernant l’ « orientation » à venir, si ce n’est qu’il avait indiqué lors de sa campagne des présidentielles qu’il fallait accorder la « priorité » à l’Ecole. Le ministre de l’Education nationale avait bien tenté d’obtenir l’aval pour une « loi-programme » ( avec chiffrage, « programmation » ). En vain. Même si le budget de l’Education nationale devient à ce moment là le principal budget de l’Etat .

Curiosité, une « consultation nationale » va suivre ( et non précéder ) cette loi d’orientation., dans un domaine plus ciblé et plus restreint ( en principe ! ). La note ministérielle du 18 octobre 1989 précise ses objectifs : « Le système éducatif doit mener sur lui-même et sur ses méthodes une réflexion qui s’organise, se construit, autour de l’élève dans toute sa spécificité : rythmes d’apprentissage différents, enseignement qui décloisonne les disciplines et permette à l’élève de trouver son chemin dans les apports de savoirs multiples, méthodes d’enseignement diversifiées qui abordent la transmission des connaissances de façon vivante. A ces préoccupations doivent s’ajouter les réflexions sur l’adaptation des programmes aux évolutions des sciences et des techniques et sur l’organisation des filières d’enseignement pour permettre la diversification des voies d’excellence ».

Un questionnaire est distribué à un million d’exemplaires. Une trentaine de colloques régionaux se tiennent à la fin de l’année 1989, préludes au colloque national de janvier 1990 ( qui réunit les présidents et les rapporteurs des colloques régionaux autour du ministre de l’Education nationale Lionel Jospin ).

Pour préparer cette consultation, dès la fin de l’année 1988, une commission de réflexion avait été instituée par Lionel Jospin. Présidée par Pierre Bourdieu et François Gros ( et composée d’une douzaine de membres dont la plupart président des « missions de réflexion » par grandes disciplines »), elle avait reçu pour mission de « procéder à une révision des savoirs enseignés en veillant à renforcer la cohérence et l’unité de ces savoirs » ).

Mais les conclusions de ces travaux ne sont rendus publics que très tardivement ( en décembre 1989 ) et n’irriguent guère les débats de la « consultation nationale » qui se transforme ipso facto en « Etats généraux » de l’enseignement tous azimuts.. Et qui donne à beaucoup l’illusion rétrospective que la loi d’orientation du 14 juillet 1989 avait été précédée d’une vaste « consultation nationale »… O mémoire, o histoire.

Claude Lelièvre