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« La route sera longue ». Jean-Michel Zakhartchouk rappelle la complexité des choses dès que l’on veut s’atteler à l’objectif à la réussite éducative de tous. Il ne suffira pas de parcours personnalisés et de programmes allégés.

Enseignant et pédagogue engagé, je ne peux que me réjouir de la lettre récente de Vincent Peillon aux personnels de l’éducation, où il fixe les grandes lignes du travail à accomplir en vue de cette « refondation » de l’école qu’il appelle de ses vœux. On respire un peu de voir enfin le mot « pédagogie » valorisé, après tant d’années de dénigrement, de lire une définition un peu plus complexe de « l’autorité » que ce à quoi nous avait habitué le discours sécuritaire (d’ailleurs inefficace), de voir reprise fortement l’idée du socle commun malgré les résistances élitistes de droite ou faussement de gauche.

Mais la route sera longue et comme l’a dit le ministre plusieurs fois, les fruits ne seront cueillis que dans un temps long, à l’échelle de deux quinquennats peut-être. Il me semble en tout cas important d’affirmer que l’amélioration de notre système éducatif ne pourra se faire rapidement, d’un coup de menton ou à l’aide d’une recette magique. L’incroyable manipulation des évaluations de fin d’école primaire ou l’interprétation abusive de certaines statistiques, par exemple sur la lutte contre le décrochage, tendaient à faire penser que grâce à la politique « avisée et énergique » des nos Grands Dirigeants, les résultats s’amélioraient de manière considérable, avec des progressions extraordinaires en deux ans, ce qui est absolument impossible…

SI l’on se fixe comme objectif de faire atteindre un niveau de base à tous les petits français sortant de la scolarité obligatoire (disons même 95%), il faudra bien énoncer que cela prendra du temps. Il est essentiel de partir de constats réalistes et objectifs. C’est vrai que beaucoup d’élèves ne parviennent pas à répondre à des questions d’interprétation sur un texte en situation d’autonomie, c’est vrai qu’ils ont énormément de mal à construire par écrit un texte structuré pour justifier leurs propos (fait bien plus grave sans doute que de mal manier l’orthographe, même si cela aussi est bien fâcheux), c’est vrai encore –mais on le souligne trop peu- qu’ils ne savent guère s’exprimer à l’oral sans notes devant un auditoire pendant quelques minutes, ou qu’ils ont du mal à travailler en équipe. On peut allonger la liste. Bien des compétences essentielles pour la citoyenneté du XXI° siècle sont à travailler. Pour y parvenir, il faudra utiliser de nombreuses entrées et ne surtout pas s’imaginer qu’il existe des solutions « simples et pratiques » comme l’avait laissé croire autrefois par exemple JP Chevènement.

Non, il ne suffira pas de redonner aux élèves l’estime d’eux-mêmes. Celle-ci est importante, mais la confiance n’est pas tout. A cet égard, la critique de la notation traditionnelle ne peut se limiter à son côté « traumatisant », on doit surtout en dénoncer le peu de pertinence, la faible information qu’elle donne sur les progrès réalisés ou à réaliser.

Non, donner plus de temps aux élèves faibles n’est pas non plus la panacée. Cela peut être utile, surtout dans les premières années de la scolarité. Mais on doit surtout apprendre aux élèves à trouver « le bon braquet », à savoir aller doucement comme à savoir à aller vite quand il le faut. On peut les entrainer à être plus efficaces ; pour cela ils doivent être libérés du poids de la peur de l’erreur, d’où le lien avec le point précédent.

Non, il ne suffira pas d’alléger les programmes. Il faut revoir ces fameux programmes, mais surtout les concevoir comme des bases de données qui indiquent aux élèves ce qu’ils doivent apprendre plus qu’aux professeurs ce qu’ils doivent enseigner. En réalité, aucune refondation de l’école n’est possible si on ne part pas du principe que ce qui compte, ce n’est pas ce que l’enseignant enseigne, mais ce que l’élève apprend.

Non, la mise en avant des « parcours personnalisés » ne peut être le remède miracle, si cette notion fait oublier les nécessités du travail collectif et de la coopération en classe. Pas plus que l’inverse, qui ferait oublier l’importance de cultiver les talents et potentialités de chacun, sans que ceci soit considéré comme un épouvantable avatar du néo-libéralisme…

L’école « refondée » doit cultiver l’exigence. Mais celle-ci doit être d’abord celle de la rigueur intellectuelle, de l’ambition culturelle bien comprise, celle qui se fonde sur les ponts à jeter entre l’univers des élèves, leurs cultures, et celui de la Culture avec majuscule. Et être sans cesse en conjugaison avec la compréhension, la bienveillance, l’attention à chacun. Cette conjugaison qui, bien des études l’ont montré, est un facteur décisif de réussite.

On le voit bien : pas de solution unique, mais une articulation à trouver entre des pistes diverses et variées, qui vont au-delà du « bon sens » et de la logique binaire. Bon courage, monsieur Peillon et bon courage à nous qui devrons être les acteurs de cette refondation.

Jean-Michel Zakhartchouk

rédacteur aux cahiers pédagogiques, auteur de Enseigner, un métier à réinventer (Yves Michel, 2002)