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La réforme de la voie professionnelle a élargi la notion d’individualisation à la formation par voie scolaire, elle qui était jusque là l’apanage de la formation pour adultes. S’agit il uniquement d’un transfert de pratiques, de méthodes ? Ou les postures de l’enseignant et le contexte scolaire nécessitent t’ils d’inventer de nouveaux modes d’accompagnement ? Chaque année, les acteurs du Système National d’Appui (SNA) de l’enseignement agricole se réunissent lors d’un séminaire de professionnalisation. Missionnés pour accompagner les équipes des établissements afin de mettre en œuvre les évolutions du système éducatif, les chargés de mission du SNA s’interrogent sur « comment accompagner l’individualisation ».

Les actes du séminaire ont été publiés le mois dernier. Ils reflètent les interrogations profondes que suscite le développement de l’individualisation qu’il provienne d’une injonction du système ou de l’initiative d’une équipe. Postures et méthodes, sens du métier et changement de relation pédagogique, de méthodes, la notion d’accompagnement s’avère centrale. Les questions sont soulevées et ces actes apportent des réponses pour aller au-delà du « pour ou contre » et permettre une prise en compte des particularités individuelles dans une dimension socialisante.

Pour éclairer le débat, des experts sont intervenus lors du séminaire. Annie Jézégou, chercheur en sciences de l’éducation à l’Ecole des Mines de Nantes, a exploré la notion d’individualisation en opposant deux concepts, celui de l’individualisation institutionnelle et celui de l’individualisation autonomisante. Patrick Picard de l’Ifé et Patrick Mayen d’AgroSup Dijon se sont intéressés au travail des enseignants et aux changements induits par l’individualisation dans les pratiques professionnelles et dans le vécu du métier. Des acteurs de terrain sont venus témoigner sur la prescription d’individualisation, sa mise en œuvre et les besoins d’accompagnement ressentis.

François Guerrier, co-organisateur du séminaire, chargé d’ingénierie de formation et d’appui à l’enseignement agricole, revient sur les enseignements à explorer de ces rencontres entre représentations des acteurs et changement des métiers.

François Guerrier : « les enseignants, doivent pouvoir s’approprier leurs modes d’organisation, investir les marges d’autonomie dont ils disposent. »

Les actes du séminaire « comment accompagner l’individualisation » viennent d’être publiés. Pouvez- vous nous en dire plus sur ce séminaire destiné aux acteurs du système national d’appui de l’enseignement agricole ?

Ce séminaire de professionnalisation s’inscrit dans le cadre d’un projet cofinancé par le FSE. Ce projet, dont l’intitulé est « accompagner l’enseignement agricole à l’intégration des compétences nécessaires à la croissance verte » est mis en œuvre par des acteurs qui agissent en qualité de « formateurs de formateurs » ou « chargés de missions », en direction d’équipes éducatives, équipe de direction, ou encore comme relais des politiques régionales ou nationales. Ils sont amenés à construire un accompagnement entre le projet institutionnel, le projet d’établissement, et les ou les projets éducatifs et pédagogiques portés par les formateurs et enseignants.

Pendant plusieurs années, nous avons travaillé avec les formateurs de formation continue professionnelle et d’apprentissage en réponse à l’évolution du public et aux attentes des commanditaires notamment des conseils régionaux. Reconnaissance et validation des acquis, adaptation des objectifs de formations, prise en compte de la dimension personnelle et professionnelle des projets des apprenants, des contextes d’insertion et d’emploi locaux, des rythmes, des durées… autant de choses que nous avons beaucoup investies avec les équipes pédagogiques.

Quelles questions pose l’individualisation dans votre fonction d’accompagnement?

Les récentes réformes de la voie professionnelle et de la réforme du lycée, pour ne citer qu’elles, interrogent également des dimensions de la différenciation pédagogique, de l’individualisation ou encore de la personnalisation, en amenant de nouvelles marges de manœuvre aux équipes éducatives, mais cette fois ci en formation initiale. Et, nous nous sommes aperçus que la tentation était grande pour le « politique » de penser qu’il était possible de « transférer » les acquis, les méthodes, les outils et autres concepts de la formation continue à la formation initiale. Aujourd’hui, notre tutelle nous demande donc d’accompagner les équipes de formation initiale

Notre réflexion est partie de là :D’un travail d’accompagnement des acteurs de la formation professionnelle continue pour mettre en place des dispositifs de formation plus pertinents, plus réactifs en réponse à une attente institutionnelle forte, peut-on passer, où plutôt à quelles conditions pouvons nous également travailler pour de nouvelles équipes (nouvelles pour nous) agissant en formation initiale, avec des rythmes, des codes, des publics, des organisations, des statuts différents ? Est-ce facile de faire la transposition ? Et puis, cela nous a permis également de nous réinterroger sur les discours entourant cette notion, notre ambition étant d’éclairer les points de vue pour refuser un dogmatisme du pour ou contre l’individualisation

Existe-il des conditions pour que cette transposition entre formation pour adultes et formation initiale soit possible ?

Je ne suis pas assez spécialiste de ces questions pour en parler. Dans les discussions, on a souvent un « pour ou contre » l’individualisation. Pour moi, ce débat n’a aucun intérêt. Ce que j’ai pu observer, c’est que l’individualisation n’est en soi ni bonne ni mauvaise. Tout dépend de ce que les personnes en font : au service de quoi, avec quelles valeurs, avec quels principes, pour quels objectifs, à propos de quels objets…

Et je crois que le seul transfert possible entre la formation continue et la formation initiale sur ce domaine c’est le constat de se dire que pour que cela fonctionne, les acteurs, les enseignants, doivent pouvoir s’approprier leurs modes d’organisation, investir les marges d’autonomie dont ils disposent… Bizarrement, je crois que cela se résume au fait que l’introduction de l’individualisation dans les centres de formation continue a permis de réinvestir la question de la pédagogie et de se réapproprier le sens de son travail au sein d’un collectif d’éducation et de formation professionnelle. Je crois que c’est un accompagnement de ce mouvement dont les établissements, et plus précisément nos collègues en établissement ont besoin. Aider à poser un diagnostic, à faire des choix, à prioriser, à travailler ensemble, à évaluer et réguler…

Dans les actes du séminaire, le travail en équipe est mis en avant. Quels changements cela induit sur le travail de l’enseignant?

Je reprendrais ce que Patrick Mayen évoque à partir d’une analyse du travail faite sur des formateurs de l’AFPA et sur laquelle il s’appuie dans la communication rapportée dans les actes de notre séminaire. Dans ce qu’il nous rapporte, et parlant de dispositif en entrée et sortie permanente, il observe que les activités « périphériques » du métier de formateur ont tendance à être à la fois plus nombreuses et plus diverses. Et ceci mettrait en tension le professionnel qui se trouve dans une situation dans laquelle il a le sentiment de ne plus avoir le temps de faire ce qu’il considère être -et qui est- le codeur de son métier, c’est à dire la pédagogie.

Les règles, normes, outils, suivis, contrats, documents de procédures ont en effet tendance à enfler considérablement et tout cela prend un temps important aux acteurs pour une valeur ajoutée pas toujours perçue, ni perceptible. On a également tendance à ajouter, et moins à substituer, voire à éliminer. Cet équilibre entre « formalisation et simplification » est difficile à tenir je crois. Et il faut tenir les deux.

Quelles évolutions sur les fonctions d’accompagnement telles que le SNA les envisage?

Ce qui nous importe dans notre séminaire c’est quelles évolutions du métier de « Formateur » ou de « chargé de mission ». Là, je crois que c’est éclairer, ou aider à éclairer, aider à construire du sens pour soi, son établissement, ses élèves, aider à formaliser, à « marquer » à donner de la valeur ou à évaluer ce qui ce fait, ce que l’on essaye de faire, de mettre en réseau les initiatives et expérimentations, tenir l’équilibre entre équipe-établissement-région-institution, aider à réunir des conditions autorisant une appropriation, une traduction des enjeux et des objets pour mener à bien les projets éducatifs des établissements. Ce n’est pas être dogmatique, et défendre telle ou telle conception de telle ou telle notion.

Le prochain séminaire aura lieu en septembre. Quel sera son thème ?

Dans la lignée de ce séminaire, nous avons souhaité faire un focus sur l’accompagnement de l’innovation pédagogique, pour poursuivre nos réflexions et notre « analyse » des contours de notre métier, car si comme on l’entend souvent dire le métier des enseignant est amené et est en train d’évoluer et de se transformer, le notre me semble l’être également. Ce qui ne veut pas dire renoncer à un « avant », mais en tirer partie pour maintenant et un plus tard.

Propos recueillis par Monique Royer

Les actes du séminaire « Comment accompagner l’individualisation »