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Entre Etat et collectivités territoriales, comment améliorer la gouvernance des académies ? C’est une des taches de la concertation nationale sur la refondation de l’Ecole que de proposer des solutions. L’enjeu est de taille : coordonner les actions des acteurs locaux et nationaux, dégager des moyens pour les établissements, permettre un véritable pilotage éducatif. Anciens recteurs, Alain Bouvier et Bernard Toulemonde présentent plusieurs solutions qui vont de la régionalisation au centralisme renforcé. Ils proposent la création d’établissements publics régionaux d’enseignement, une structure nouvelle qui associerait Etat et collectivités territoriales.

La situation actuelle des académies est insatisfaisante : d’une part le ministère de l’Éducation nationale et lui seul a autorité sur ses services déconcentrés, les services académiques ; d’autre part, sur le terrain académique, les collectivités territoriales et les autres services de l’État participent de façon de plus en plus étroite au fonctionnement et au financement des établissements d’enseignement. Ceci se fait sans instances efficaces de dialogue : les seules existantes, les Conseils académiques de l’éducation nationale (CAEN) et leurs homologues départementaux (CDEN), sont, de l’avis général, inaptes à une réelle concertation et surtout sont inadaptées au pilotage académique, tant par leur composition que par leur mode de fonctionnement. Il est donc nécessaire de réfléchir à la poursuite de la mise en place d’une nouvelle gouvernance des académies et à son amélioration, puisque celle-ci vient de franchir une étape (1) en janvier 2012.

La suite de cette évolution peut revêtir différentes formes, depuis le quasi statu-quo jusqu’à une situation totalement inédite que nous présentons. Nous distinguerons ici cinq scenarii ; sans doute peut-on en imaginer d’autres. Tous combinent réglementation, administration et pilotage, dans une logique contemporaine de gouvernance (2) . Tous concourent, mais de façon différente, à mettre plus de liens effectifs entre les diverses parties-prenantes au niveau local, ce que le niveau national ne peut réaliser. Les deux scenarii présentés qui font apparaître le recteur comme un directeur régional se distingent entre eux suivant que ce dernier relève de l’État ou de la Région.

1/ Le quasi statu quo : un service déconcentré de l’Éducation nationale

Dans la situation qui résulte d’une pratique de deux siècles, l’administration territoriale de l’Éducation nationale est confiée à un recteur d’académie, nommé en conseil des ministres par le Gouvernement ; il est seul responsable de « l’action éducatrice » dans sa circonscription –responsabilité qui a été explicitée et renforcée récemment par le décret du 5 janvier 2012 relatif à l’organisation académique.

Cette situation présente deux caractéristiques : la verticalité et l’autonomie des services académiques. À l’échelle géographique qui est la sienne et sous réserve de quelques exceptions, l’organisation rectorale se trouve en harmonie avec les autres administrations de l’État, qui sont situées au niveau de la circonscription régionale et, d’une certaine façon, avec la Région, qui accroit peu à peu ses pouvoirs dans les domaines stratégiques (aménagement du territoire, emploi, formation, recherche). Cette évolution n’est pas sans compliquer les relations du rectorat avec non seulement les Conseils généraux et les municipalités, mais aussi avec les métropoles dont le pouvoir économique est patent et leur influence aujourd’hui considérable sur l’enseignement supérieur (3) sera demain peut-être très marquée sur l’enseignement scolaire. Le pouvoir des Régions est le pendant territorial de la montée en puissance du préfet de région (et réciproquement, pourrait-on dire), qui dispose d’une autorité croissante sur l’ensemble des services régionaux de l’État à travers le Comité de l’action régionale (CAR) qu’il préside. Par contre, force est de constater l’absence de structure adéquate de collaboration du recteur avec le président de la région et ses services, ainsi qu’avec les autres responsables des collectivités territoriales.

Sur le terrain, jusqu’à un passé récent, l’essentiel d’un point de vue stratégique se jouait dans le contrat État-Région. Il réside aujourd’hui dans des contrats de projets État-Région. Hier comme aujourd’hui, la nature des relations est laissée à la bonne volonté et au caractère des responsables – ce qui n’est pas sain – . En d’autres termes, le dialogue est abandonné aux personnes. Notons que ceci est aussi le cas dans les deux prochains scenarii présentés ici, sauf dans les deux derniers, en grande partie imaginé pour remédier à cela. Cette situation conduit parfois à des conflits ouverts, préjudiciables au bon fonctionnement du service public, d’autant plus que les relations entre le rectorat et d’autres services de l’État (culture, justice, police, agriculture, sport…) ne font que se mutiplier et s’intensifier, toujours sans instance ad hoc pour en traiter, si ce n’est le Comité d’action régionale (CAR) dont ce n’est pas vraiment le rôle. Observons encore que pour la France métropolitaine, les territoires académiques et régionaux coïncident, mais pas toujours. Les exception ne sont pas dans les moindres académies : région parisienne (trois académies), région Rhône-Alpes (deux académies), région Provence-Alpes-Côte d’Azur (deux académies), ce qui peut aviver certaines tensions entre des personnes ou des institutions.

2/ L’insertion dans les services régionaux de l’État : le directeur régional de l’enseignement scolaire

Pour tenter de remédier à cela, une première solution (souvent imaginée par les préfets) consiste à rapprocher les services académiques des autres services de l’État : le recteur est alors placé sous l’autorité du préfet de région, comme les autres chefs de services régionaux de l’État. Cette solution a l’avantage de faciliter une politique unique de l’État dans la circonscription régionale, d’intégrer l’éducation dans le concert des politiques conduites par l’État (économie, emploi, social), de faciliter les relations des services académiques et des établissements avec les autres acteurs participant à l’éducation (DRAC, affaires sociales, sports, police, justice…), particulièrement nécessaire par exemple dans le cadre des ZEP (ou de ce qui les a remplacé) et de certains projets éducatifs locaux.

Pour l’essentiel, cette solution cantonne le recteur à l’enseignement scolaire (primaire et secondaire) : mais n’est-ce pas de plus en plus le cas avec l’autonomie croissante des universités à l’égard desquelles le rôle du recteur, en tant que chancelier, se limite en fait à un contrôle de légalité (et encore…) et parfois à un rôle de fédérateur, facilitateur (en cas de pluralité des universités), lorsqu’il est un habile négociateur ? Suivant les académies, on note d’importantes différences de situation concernant le Directeur régional de la recherche et de la technologie (DRRT). Aujourd’hui, devenu un chef de service régional, il est placé sous la responsabilité du préfet de région. Celui-ci peut associer le recteur au choix de la personne et la mettre à sa disposition partielle pour l’aider sur certains sujets, mais ce n’est pas toujours le cas. De plus, les universités entretiennent des relations directes avec le ministère de l’enseignement supérieur, à la fois pour leurs accréditations et pour l’allocation de leurs moyens, sans intervention du recteur. Sans oublier la complexité des projets de recherche qui sont le plus souvent internationaux (organismes internationaux, universités étrangères, entreprises multinationales), mixant secteur privé et secteur public.

Deux problèmes subsistent, qui impliquent le recteur à un titre ou à un autre, et doivent alors être réglés : celui des classes post-bac des lycées, qui relèvent de l’enseignement supérieur, et celui de la formation des enseignants, désormais confiée aux universités (situation qui peut évoluer ces prochaines années avec la création d’écoles professionnelles, probablement internes aux universités).

Ce schéma ne modifie pas la nature des relations du recteur avec la Région, sauf à inventer de nouvelles instances sans doute complexes et peu efficaces. Comme dans le précédent scénario, le dialogue reste sur ce point abandonné aux personnes.

En revanche, le recteur, placé désormais sous l’autorité hiérarchique du préfet de région, subit, d’une certaine manière, une capitis diminutio, même si sa nomination peut continuer à être effectuée en conseil des ministres (sauf à réviser la Constitution…) ; mais alors à quoi bon ? La principale conséquence de ce scénario est de mettre fin au dialogue singulier entre le ministre de l’Éducation nationale et ses services déconcentrés : désormais, comme pour les autres directions régionales des services de l’État, toutes les correspondances et instructions transitent par le préfet.

Ainsi, cette solution met un terme à deux siècles d’autonomie, instituée par Napoléon, de la hiérarchie administrative de l’Éducation nationale par rapport aux préfets.

3°/Le transfert à la Région : le directeur régional de l’enseignement scolaire

De façon politiquement plus radicale, on peut imaginer de transférer l’essentiel des compétences des services académiques à la Région : celle-ci disposerait alors d’un directeur des services chargé de l’enseignement (lycées, collèges et écoles). Ce transfert ne pourrait porter que sur les questions de fonctionnement matériel et de gestion de personnels : on imagine mal, en France, que la définition des horaires et programmes et la délivrance des diplômes puissent être décentralisées (compte tenu des termes de la Constitution et du fait qu’il s’agit de fonctions quasi régaliennes). En outre, le contrôle des actes des universités échapperait officiellement au recteur puisqu’il ne peut relever que des services de l’État.

Ce système supprimerait des « doublons » souvent critiqués entre l’État et les collectivités locales. Il impliquerait la quasi disparition du recteur d’académie (à l’image de la situation que connaissent certains territoires d’outre-mer, qui ont reçu compétence sur l’enseignement), au profit d’un fonctionnaire territorial nommé par la Région pour une durée précise et renouvelable. Pour faciliter une saine coopération netre l’État et la Région, cette nomination pourrait se faire soit à partir d’une liste de personnes proposées par le ministre, soit par une nomination conjointe. On peut imaginer plusieurs schémas pour donner plus ou moins de poids à l’État dans le choix de la personne.

Ce schéma supposerait une véritable révolution politique et culturelle, tant dans l’organisation de l’État (régionalisation des compétences en matière d’éducation) qu’au sein des collectivités territoriales, la Région devenant chef de file de toutes les autres qui ne sont probablement pas prêtes ou peu favorables pour accepter cette subordination. Ce scénario s’inscrit donc comme une perspective lointaine et assez hypothétique… On pourrait dire qu’elle est presque contre-culturelle, mais sait-on jamais ?

4°/Une nouvelle forme de coopération : la Conférence régionale de la formation

Il s’agit alors de mettre en place une forme de coopération souple entre les responsables de la formation dans une académie/région : la « Conférence régionale de l’éducation ». Celle-ci serait composée des représentants des collectivités autour du président de région comme chef de file, des représentants de l’Etat autour du préfet de région comme chef de file, assisté du recteur et des chefs des services régionaux concernés (directeur régional de l’agriculture…), du président du PRES (4) (représentant l’enseignement supérieur et la recherche) et de celui du Conseil économique social et environnemental régional (CESER) (représentants les milieux économiques et sociaux).

Cette conférence aurait pour objet de construire une politique coordonnée de formation articulant l’action de l’Etat et de la Région, de piloter la mise en œuvre du Contrat de plan de développement des formations professionnelles (5) (CPRDF) et notamment la carte des formations professionnelles initiales, l’apprentissage et la formation continue des adultes.

Cette formule ne modifie ni la distribution des institutions administratives et politiques ni leurs compétences. C’est une simple structure de concertation et de coordination permettant, d’une certaine façon, à apprendre à mieux travailler ensemble. Elle pourrait être dotée ultérieurement de pouvoirs de décision et apparaitre alors comme une institution de transition vers une structure plus intégrée, que nous envisageons ci-dessous.

5°/Une nouvelle institution : l’établissement public régional d’enseignement

Comme nous l’avons noté avec insistance, le principal problème à résoudre dans les académies est celui du travail en commun des acteurs locaux que sont l’État (et ses différents services) et les collectivités territoriales en matière d’éducation. Sur le terrain, l’État est multiforme : enseignement scolaire, enseignement supérieur, agriculture, police, santé, culture et autres secteurs. Une solution nouvelle pourrait prendre la forme d’un établissement public régional, dont les contours sont à inventer.

Juridiquement, la création d’un établissement public consiste à donner une certaine autonomie à un service public : celui-ci est alors doté de la personnalité morale, d’organes propres de gestion, d’un budget et d’une liste de compétences. En vertu de la Constitution, il appartient à la loi de créer une nouvelle catégorie d’établissement public –ce qui serait le cas en l’espèce- et, à cette occasion, de fixer ses règles générales constitutives, un décret définissant plus précisément son statut (comme, par exemple, il fut fait pour les EPLE en 1983/1985).

En l’occurrence, il s’agirait d’ériger les services académiques en établissement public régional d’enseignement (EPRE). Cette idée a été avancée en 2002 et surtout proposée en 2003/2004 au ministère de l’Éducation nationale, qui a alors refusé. Elle mérite d’être à nouveau examinée : dix ans après, le contexte a évolué ; les esprits également.

Dans ces conditions, on peut imaginer soit une structure unique, la même pour toutes les académies (comme, de tradition, on aime le faire en France), soit des structures adaptées selon les régions, après négociations (géométrie variable en fonction du nombre de départements ou d’une volonté plus ou moins décentralisatrice par exemple). Cette seconde option n’est pas habituelle dans notre pays. Pourtant, l’expérimentation, rendue possible depuis l’acte II de la décentralisation, est peut-être une voie pour explorer les différentes possibilités régionales.

En tout état de cause, plusieurs questions doivent être résolues :

la composition du Conseil d’administration (ou Conseil stratégique) : la représentation des collectivités territoriales (au moins les présidents des conseils régional et généraux, un ou plusieurs maires), de l’État (services académiques et régionaux), de la communauté éducative et du monde économique et social (le président du Conseil économique social, environnemental régional par exemple). Là où il en existe un, le président du PRES (6) devrait en être membre. Ailleurs, les présidents d’université pourraient désigner l’un d’entre eux pour siéger.

La présidence du CA pourrait être assurée alternativement par le préfet de région et le président de région (ou envisager une forme de co-présidence ?). Le recteur serait le directeur général de cet établissement public et le chef des services académiques. Il pourrait être nommé par l’État (par le ministre ou en conseil des ministres) après un avis du CA (éventuellement sur plusieurs candidatures) ou après un accord du président de région et du préfet. Son mandat serait de 5 ans (comme celui des élus régionaux). Il serait membre du CA, mais sans droit de vote.

Pour ne pas reproduire la situation actuelle des universités françaises après la mise en œuvre de la loi LRU, la gouvernance académique aurait besoin de disposer de deux outils distincts. D’abord, d’un conseil d’administration (ou conseil stratégique) assez réduit, en tout état de cause n’excédant pas 30 personnes que nous venons d’évoquer. Devrait aussi exister une sorte de « Sénat » plus large, présidé par le recteur, où participeraient les représentants des syndicats de personnels, des syndicats étudiants, les associations de spécialistes, les associations de parents d’élèves et des représentants des élèves, les services sociaux et médicaux… Ce Sénat serait consulté en amont des décisions soumises au vote du Conseil d’administration et sur l’appréciation du fonctionnement de l’EPRE ainsi que sur l’évaluation des résultats du système éducatif à l’échelle régionale.

Les compétences du conseil d’administration : elles porteraient essentiellement sur les questions stratégiques à l’échelle du territoire : projet éducatif régional, répartition générale des moyens, aménagement du territoire éducatif… Le recteur et les services académiques seraient alors chargés d’appliquer les orientations données par le CA dans le cadre de la politique nationale et de lui rendre compte. L’EPRE ayant la personnalité morale pourrait contracter et contractualiser, notamment avec l’État, les collectivités territoriales, les établissements scolaires et universitaires, les chambres consulaires, etc…

Le budget : il serait constitué d’abord de la dotation de l’État : actuellement, les quatre BOP académiques (enseignement primaire public, enseignement secondaire public, vie de l’élève et soutien), auquel il conviendrait d’ajouter un BOP enseignement privé (actuellement géré au niveau national). L’idéal serait même de revoir la structure de la LOLF et de fusionner les BOP académiques actuels en un seul BOP régional d’enseignement. Un jour peut-être, si l’établissement public régional fait ses preuves, pourrait aussi figurer dans son budget la part des collectivités territoriales affectée aux établissements scolaires, à condition de faire en sorte de ne pas compliquer la gestion.

La question de l’enseignement supérieur

Dans tous les scenarii, la question de l’enseignement supérieur (et surtout de la recherche) se pose : soit celui-ci conserve son statut actuel (c’est le plus probable) et il n’est pas (ou très peu) concerné par ces évolutions des académies, soit une décentralisation intervient (rien de tel, pour l’instant, ne semble envisagé) et il est alors inclus dans les compétences d’une entité régionale. En tout état de cause, d’ores et déjà, les régions et les autres collectivités locales interviennent massivement en matière d’enseignement supérieur et de recherche – ce qui justifie que ces domaines fassent partie du « projet éducatif régional ».

Pour résumer nos propos et conclure ce texte, le premier scénrio n’est que la poursuite d’un pilotage étatique centralisé ; le deuxième s’inscrit dans une perspective de déconcentration au niveau académique ; le troisième propose une décentralisation politique au niveau régional ; le quatrième est une propédeutique vers une décentralisation fonctionelle ; enfin, le cinquième présente des possibilités de décentralisation fonctionnelle par un établissement public régional à créer. Le choix relève donc clairement du niveau politique.

Alain Bouvier

Bernard Toulemonde

Anciens recteurs, présidents d’honneur de l’AFAE

Voir :

Bouvier A. (2012) : La gouvernance des systèmes éducatifs, Collection politique d’aujourd’hui, 2e édition, Paris, PUF.

Toulemonde B. (2012) : De nouveaux modes de gouvernance, Cahiers français N° 368, pp 47-53

Notes :

(1) Cf Toulemonde B., 2012

(2) Cf Bouvier A., 2012

(3) Pour s’en convaincre, il suffit de rapprocher la carte des métropoles et la carte des PRES.

(4) Là où il en existe un.

(5) Selon la loi du 24 novembre 2009

(6) Ou le président d’un PRES pour la région parisienne

Sur le site du Café pédagogique

Alain Bouvier : Vive l’Etat régulateur !

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/05/1[…]

Quelle autonomie pour les établissements ?

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/11/auto[…]

Sur le site du Café