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A l’aube de la seconde phase du processus lancé par le gouvernement, que ceux qui n’ont pas eu de vilaine pensée lèvent le doigt : est-ce que ça va servir à quelque chose ? Est-ce que les textes ne sont pas en train d’être écrits ? Est-il raisonnable de penser qu’un texte de loi, même concerté, va faire progresser la démocratisation par l’Ecole ? Et surtout, ne croule-t-on pas déjà sous le poids des milliers de pages de rapports et d’audits déjà écrits sur ces questions, sans pour autant que le politique ne cède aux sirènes du court terme ?

Peu d’indices de ce qui se passe vraiment dans les groupes, sauf les indiscrétions des participants, sous le sceau de la confidence : « Tu comprends, on nous a demandé de ne pas trop en dire, histoire de ne pas jeter en place publique les débats parfois difficiles qui risquent d’avoir lieu dans les groupes »…

Une chose semble cependant certaine : on parle davantage de structures ou de grands principes que des difficultés réelles des élèves ou des enseignants. Comme si le diagnostic ne méritait pas de dépasser la doxa des « 15%-des-elèves-en-grande-difficulté »… Mais quelles difficultés ? Faute de creuser la question en détail, il semble que « l’opinion » (et les différents lobbys qui la composent) prenne parfois le pas sur les savoirs validés par la recherche : « il faut plus de projets », « il faut dépister les dys… », « il faut plus de fondamentaux », « il faut remettre des enseignants spécialisés », « il faut réintégrer l’aide dans la classe, « il faut changer l’orientation », « il faut plus de place pour les parents », « il faut les laisser aller chacun à leur rythme », « il faut faire plus de place aux partenaires », « il faut enfin former les enseignants » , « il faut faire l’Ecole autrement », « il faut changer les enseignants », « il faut sanctuariser l’école », « il faut faire plus ludique », « il faut plus de rigueur », « il faut réinstaurer les BEP », « il faut des structures adaptées pour les élèves sortant de SEGPA », « il faut supprimer les notes et le redoublement », « il faut rétablir le mérite et les vertus du travail »… Gasp…

Somme des intérêts particuliers ? Une idée semble présente dans bien les têtes, malgré l’inflation des demandes de « plus de…» : on sait plus ou moins confusément que les moyens ne seront pas à la hauteur des demandes. Pire même, on sait que l’école n’est ni responsable de la ségrégation sociale grandissante, ni des évolutions économiques qui rendent de plus en plus rares les emplois non-qualifiés. Quelles sont donc les pistes « refondatrices » qui seront vraiment capables de faire progresser la démocratisation ? Bien malin qui le sait. Car si les « experts » choisis par le ministre – et généralement fiers de l’être – représentent chacun les acteurs qui leur ont donné mandat, qui peut prétendre défendre l’intérêt général, voire l’intérêt des élèves qui ont le plus besoin de l’Ecole ? On sait depuis longtemps que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers. Dans les groupes de concertation, chacun cherche d’abord à chercher ses amis : les pédagos dans un camp, les traditionnalo-républicains dans l’autre ?

Pourtant, au dire de plusieurs « concertants », il semble que, parfois, on s’écoute. Lorsqu’un chercheur précise que l’enseignement doit à la fois être explicite et exigeant envers les élèves, chacun se rend compte qu’il ne tire pas forcément les mêmes conséquences de ces grands principes énoncés. On se surprend à être d’accord avec qui se méfie de l’Ecole « à chacun son rythme », alors même qu’on était en phase avec celui qui, quelques instants plus tôt, vantait l’individualisation. On découvre le poids des mots, les définitions tellement peu stabilisées qu’on se demande comment raisonner ensemble avec tant d’idées « préconçues » qu’il faudrait prendre le temps de discuter, au sens scientifique du terme…

Donner la ligne ou faire penser ? Sans doute, les quelques semaines de la concertation ne permettront pas de réduire à ce point les antagonismes pour qu’on puisse parler de consensus. Sans doute le politique se retrouvera-t-il, in fine, devant le vertige de sa responsabilité. Rappelons que durant le Front Populaire, Jean Zay fit voter, en quelques semaines, des lois tellement importantes qu’elles furent le fondement d’une nouvelle étape de démocratisation de l’Ecole. Avec, rappelons-le pour mémoire, des objectifs ambitieux et une très grande liberté d’initiative offerte aux acteurs de l’époque, les instituteurs, pour y parvenir…

Ainsi, ce serait un grand succès démocratique si ces quelques dizaines de réunions, auxquelles vont s’ajouter celles organisées dans les académies, permettaient aussi de comprendre combien manquent les authentiques lieux de controverses sur l’Ecole, aideraient les différents acteurs à faire, eux aussi, culture commune, sans les urgences du rapport de force ou des idées toutes faites. Et enterraient définitivement les lubies des bureaucrates et experts prompts à imposer leurs méthodes simplistes à des professionnels dont on a surtout besoin de soigner la capacité à agir et penser ensemble…

Marcel Brun

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